1.6 La désambiguïsation des entités nommées
2.1.7 Autres cartulaires utilisés
Nous savons aujourd’hui que dans la Bourgogne médiévale, entre le XIe et le
XVe siècle, environ 170 cartulaires ont été produits mais une partie importante est
perdue
170. Les cartulaires de Cluny, dont nous venons de dessiner la composition,
ne sont certainement pas la règle et les cartulaires qui nous sont parvenus sont
généralement beaucoup plus petits ou constitués de fragments en raison des multiples
interventions dans leur tradition manuscrite. Dans d’autres cas les pièces autrefois
compilées dans un cartulaire nous sont parvenues par des copies modernes des
XVIIIe et XIXe siècles ou organisées dans des recueils factices de pièces jugées
importantes au détriment d’autres considérées comme banales. Malgré tout, la
quantité de documentation disponible est exorbitante si l’on considère qu’il s’agit de
cartulaires régionaux, focalisés sur cinq diocèses : Mâcon, Autun, Langres, Châlon
et Nevers, qui forment les centres des domaines de Cluny, Cîteaux et Clairvaux,
trois institutions religieuses très prolifiques dans la production documentaire et qui
deviennent rapidement des centres de culture et de production du savoir.
Cependant, seuls une cinquantaine de ces cartulaires ont fait l’objet d’une édition
érudite, qui consiste parfois en une simple transcription, sans autre appareil critique
que l’introduction historique des pièces. La plupart de ces éditions — quarante-trois
— ont été incluses dans la base de données CBMA et sont disponibles dans leur
intégralité. Notre étude sera étendue à quatre de ces éditions : Saint-Vincent de
Mâcon, Marcigny-sur-Loire, Paray-le-Monial, Saint-Marcel-de-Châlon, et à une édition
d’un recueil factice, celui de l’Yonne (voir figure 2.4). Les quatre premiers cartulaires
appartiennent à l’orbite de Cluny et montrent des liens directs du point de vue de
la documentation, élément capital pour la réalisation d’études conjointes. Le recueil
d’actes concernant l’Yonne, bien que plus éloigné de l’orbite clunisienne, constitue un
des ensembles documentaires les plus complets en dehors de celui de Cluny et peuvent
offrir un portrait contrasté des évolutions du vocabulaire, de la conception de l’espace
et des formes rédactionnelles. Au total, les documents de ces ensembles comptent
environ 4 000, ce qui en fait un ensemble de taille similaire à celui analysé à Cluny.
En ce qui concerne les quatre cartulaires : Saint-Vincent de Mâcon est un cartulaire
de chapitre cathédral. Le cartulaire rédigé vers la fin du XIIe siècle a été détruit lors
des troubles huguenots de 1562, et il a été l’objet d’une édition érudite réalisée au
XVIIIe siècle à partir de la copie d’une copie réalisée probablement au XVIe sur le
livre enchaîné du trésor de la cathédrale
171. La copie a été découverte dans les archives
préfectorales de Saône-et-Loire par son éditeur moderne Camille Ragut au cours du
XIXè siècle. Plus tard, un autre exemplaire du cartulaire, conservé dans la Bibliothèque
impériale permettra de collationner quelques séries de chartes. L’édition est un recueil
de 633 chartes s’échelonnant, comme pour les premiers cartulaires de Cluny, du Xe
au XIIe siècle. Étant donné que les transactions sont effectuées dans le même temps
et le même espace que celles mentionnées dans le cartulaire de Cluny, il est habituel
de trouver, dans cet ensemble documentaire, les mêmes maîtres du sol. Cependant,
170. Rosé, “Panorama de l’écrit diplomatique en Bourgogne : autour des cartulaires (XIe-XVIIIe siècles)”
171. ibid. ; Camille Ragut et Théodore Chavot. Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon : connu
le cartulaire de Saint-Vincent, sans doute à cause de la perte totale des originaux et
parce qu’il nous est transmis par la copie d’une copie, exhibe des sérieux problèmes
dans sa chronologie. Cette problématique a été abordée par l’éditeur moderne, mais
parfois avec un manque de rigueur scientifique.
Les cartulaires de Marcigny-sur-Loire et de Paray-le-Monial ont été compilés par
deux prieurés bénédictins
172. Isabelle Rosé a mis en évidence pour ces deux cas, ainsi
que pour Saint-Marcel, une circulation institutionnelle des modèles d’organisation d’un
cartulaire, ces trois cartulaires présentant des similitudes sur plus d’un plan. Marcigny
est l’un des plus anciens cartulaires de la Bourgogne, écrit vers 1095, moment crucial
dans les écrits clunisiens. I. Rosé a trouvé des similitudes substantielles entre la forme
et l’organisation de ce cartulaire et ceux de Cluny, pointant notamment une même
vocation à servir de recueil de gestion et de mémoire
173. Une circonstance qui se répète
dans le cas du cartulaire de Paray, commencé vers la fin du XIe siècle et qui s’apparente
également au modèle établi par les premiers cartulaires de Cluny. Les deux cartulaires
– Marcigny et Paray –proviennent, il est vrai, de monastères de fondation clunisienne,
Marcigny étant une fondation personnelle de l’abbé Hugues (1055), et ils se trouvent
tout deux dans l’orbite d’influence de l’abbaye-mère, dans un rayon de 50 km. Dans
ces cartulaires et celui de Cluny, il existe en fait un nombre important d’acteurs ayant
des propriétés dans toute la région allant de la Petit Grosne à la Loire. Les éditions
intégrées dans le CBMA comprennent 307 documents rédigés entre 1044 et 1145 pour
Marcigny, et 200 rédigés entre 977 et 1315, pour Paray, bien que la plupart des actes ne
soient pas datés. Les événements de la Révolution ont conduit à la disparition des deux
cartulaires, dont les éditions sont basées sur des copies modernes. Marcigny, comme
l’indique le titre de l’édition “Essai de reconstitution d’un manuscrit disparu”, est le
produit des travaux de collecte et de reconstruction de deux des meilleurs connaisseurs
de la Bourgogne médiévale, Jean Richard (1957) et Ulysse Chevalier (1851) à partir
de copies modernes du cartulaire.
Le cartulaire de Saint-Marcel-lès-Chalon, bien que faisant partie de cette même
orbite documentaire clunisienne, est un peu plus tardif et présente certaines différences.
Cette abbaye devint dépendante de Cluny vers la fin du Xe siècle par donation comtale
et le cartulaire a dû être rédigé vers 1120
174. Il se compose de 119 pièces avec des
documents datant principalement des Xe et XIe siècles, avec quelques diplômes du
XIe siècle. L’édition moderne est une publicationpost mortem (1851) réalisée à partir
des papiers laissés par Chizy de Canat, qui l’a édité à partir de 6 copies différentes
réalisées au XVIIIe siècle
175. L’ordre suivi dans ce cartulaire n’est pas chronologique
mais se fonde sur l’importance institutionnelle, ce qui constitue une innovation dont
172. FranzNeiske. “Les débuts du prieuré clunisien de Paray-le-Monial”. In :Paray-le-Monial actes du colloque (1992), p. 1-12 ; Nicolas Reveyron. “Marcigny, Paray-le-Monial et la question de la chapelle mariale dans l’organisation spatiale des prieurés clunisiens au XIe–XIIe siècle”. In :Viator (English and Multilingual Edition) 41 (2010), p. 63-94
173. Rosé, “Panorama de l’écrit diplomatique en Bourgogne : autour des cartulaires (XIe-XVIIIe siècles)”
174. ChristianSapin. “Saint-Marcel-lès-Chalon (Saône-et-Loire), église Saint-Marcel”. In : Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre| BUCEMA10 (2006)
175. Marcel Canat de Chizy et Paul Canat de Chizy. Cartulaire du prieuré de Saint Marcel