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5.4 Facteurs déterminant l’usage de l’invocation dans les actes

5.4.2 Les invocations dans la charte de donation

L’invocation est alors un élément intimement lié à la charte, mais celle-ci étant

si répandue, les situations d’usage sont multiples. Les chartes de ventes et échanges

peuvent utiliser l’invocation mais de façon minoritaire. La charte de donation, elle, fait

un usage très prolifique de l’invocation, qui est présente dans 45 % des actes écrits, et

particulièrement pendant les Xe et XIe siècles. Ensuite, lorsque la charte commence à

disparaître et à adopter des nouvelles formulations durant le XIIe siècle, l’invocation

tombe en désuétude.

Il existe, bien évidemment, d’autres facteurs impliqués dans l’usage de l’invocation,

mais il faudra explorer plus avant la charte de donation, qui constitue le noyau

et l’ensemble le plus large de notre corpus (environ 2 400 documents) et dont les

changements affectent sérieusement le graphique général du corpus.

ayant comme bénéficiaire l’abbaye de Cluny (AB) ou un autre quidam (QU). Cela

limite l’ensemble à plus ou moins deux mille documents (∼ 38 % du corpus), et nous

offre un tableau qui permettra de bien mettre en évidence les variations du fait de son

homogénéité. Il est en effet composé d’actes ayant les mêmes chronologie, typologie,

action juridique, commanditaires et bénéficiaires.

Figure 5.5 – Place des invocations dans les chartes privées de donation. Légende : les

invocations sont ici représentées suivant leur place dans l’acte, en fonction du nombre de

mots qu’elles occupent entre leur début (nommé « position de départ ») et leur fin (nommé

« position finale ») du document.

Une première analyse consiste à relever les invocations employées dans ces chartes

et les classer selon les quatre modèles définis plus haut. La répartition est comparable

à celle observée au niveau du corpus :

Invocation christologique : 274 documents, 31.5 %)

Invocation trinitaire : 87 documents. 10 %)

Invocation au nom de Dieu : 75 documents, 8.5 %)

Invocation dans la suscription : 434 documents, 50 %)

Le seul point discordant est l’invocation trinitaire qui représente 18 % du total

d’invocations dans le corpus, mais seulement 10 % dans la charte de donation ; cette

différence est bien expliquée par le fait que cette invocation est surtout utilisée dans

les diplômes, comme on l’a vu plus tôt, et que ceux-ci ne sont pas représentés dans ce

graphique.

Un point intéressant est révélé par la place occupée par chaque invocation dans la

charte, en s’intéressant tout d’abord à la longueur de celle-ci : nous nous concentrons

5.4. Facteurs déterminant l’usage de l’invocation dans les actes 191

donc sur la représentation verticale en position de départ 0. Les invocations au nom

de Dieu, trinitaires et christologiques n’apparaissent, à quelques exceptions près,

qu’en tête de charte, leur position de départ étant donc 0. Il existe une très forte

concentration de ces trois invocations ayant une position finale comprise entre 0 et 8,

ce qui correspond au développement normal des types les plus simples d’invocation

en tête de charte, comprenant un nombre réduit de mots, tels que (In nomine Verbi

incarnati, In nomine Sanctae et individue Trinitatis). Le groupe d’invocations ayant

une position finale entre 10 et 15 est moins dense et correspond aux sous-versions

plus longues qu’on a renseigné auparavant telles que : (par ex. In nomine Dei Summi

Patris, et Filii et Spiritus Sancti.), (voir 6.2). Finalement, les invocations finissant

entre les positions 16 et 28 correspondent à des exemples particulièrement longs et des

invocations uniques, par exemple fusionnées avec d’autres formules.

L’invocation dite dans la suscription peut aussi apparaître en tête de charte comme

ici : “Ego (Nos), in Dei nomine,”. Il y a 79 documents qui commencent ainsi et dans

dix cas la conjonction (quapropter), usage de formulaire, est présenté comme premier

mot. L’invocation de suscription ne devrait même pas être considérée comme faisant

partie du protocole puisqu’elle constitue en réalité le début du dispositif ; elle conduit

immédiatement à l’exposition du fait de l’action juridique et il n’y a presque jamais

d’autres formules au milieu, exception faite de la formule de motivation (pro anima

mea, pro redemptionis anima, etc.). Ce rapport entre le dispositif et l’invocation est

très normé dans les chartes de donation. Lorsque l’invocation non-suscriptrice apparaît

en tête de charte, on ne voit pas souvent mobilisées d’autres parties protocolaires,

exception faite de la notification, normalement dans sa version universelle (In Dei

nomine, notum sit omnibus quod) ; et évidemment l’utilisation de l’invocation de

suscription est liée à l’apparition, auparavant, d’autres parties du discours à différents

degrés de complexité.

Le graphique (figure 5.5) illustre ainsi la place occupée par l’invocation par

suscription dans le protocole, en s’intéressant aux différentes positions de départ qu’elle

peut occuper, et à sa longueur (figurée par la coordonnée entre position de départ

et position finale). La plupart de ces invocations démarrent après la position 5 de

la charte (soit après 5 mots). Quand elle débute entre les positions 5 et 15 elle est

normalement précédée soit par une adresse du type : Dilecta uxore mea, nomine, soit

par une notification individuelle du type : notum sit omnibus quod. La majorité des

invocations par suscription débute entre les positions 15 et 35 : ici l’invocation est

précédée par différentes parties du discours, normalement la notification à l’abbaye

du type : “Sacrosancto et exorabili loco Cluniensi cenobio, in honore beatorum

apostolorum Petri et Pauli consecrato...” dans les deux modèles très formulaires :

"notification + adresse" et parfois de courts préambules. Plus l’invocation est précédée

par d’autres formulations, plus les conjonctions et adverbes de coordination igitur et

quapropter prennent place comme premier mot de l’invocation. Les invocations de

suscription débutant après la position 36 n’apparaissent pas dans le graphique. Il

s’agit d’une cinquantaine d’invocations : certaines mobilisent l’outillage complet des

parties protocolaires, et d’autres consistent en des exposés et récits riches en citations

bibliques.

Dans quelques rares cas le scribe ajoute un attribut au nom de Dieu (summus,

omnipotens), mais en général Ego, in Dei nomine est la seule version observée. En

fait, lorsque l’invocation christologique et trinitaire sont utilisées en tant qu’invocations

de suscription, comme on le voit dans le graphique, elles le font adoptant ce même

modèle : Ego, in Christo nomine et Ego, in Trinitatis nomine.