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5.3 Analyse des formules

5.3.1 Les invocations

L’invocation introduisait l’élément le plus simple de sacralité religieuse dans l’acte

juridique. Il s’agit, comme on le verra, d’un élément du discours très utilisé pendant les

Xe et XIe siècles dans les scriptoria clunisiens, bien ancré dans la charte de donation

et les diplômes , et qui pourtant, dans notre corpus, est abruptement abandonné

au début du XIIe siècle. L’attention portée à cet élément du discours dans les

études diplomatiques est souvent insuffisante en partie parce que l’invocation, en tant

qu’élément de communication idéologique, n’est pas le plus expressif, ce rôle étant

réservé aux préambules et exposés, qui ont attiré l’attention dans la majorité des

études des protocoles des chartes

377

. Formule brève et assez répétitive, l’invocation

qui apparaît déjà dans les plus anciens formulaires, est un élément parfois ignoré

ou abrégé (in Dei nomine, etc.) par les scribes eux-mêmes et souvent remplacé par

l’invocation monogrammatique (chrismon). Mais, comme on verra, les usages, la

composition et en général les manières de mobiliser l’invocation par rapport au reste

du document étaient très bien réglés dans les habitudes et la conscience des scribes

du réseau clunisien. Les observations faites sur le plan général, comme base à une

étude statistique qui relève des outils de récupération automatique, nous autorisent

à tirer quelques conclusions à propos du mouvement global des usages invocatoires

dans les documents et pourraient également nous permettre, une fois défini ce qui

était topique, de repérer rapidement des usages plus variés à certaines époques et dans

certaines régions ; toutes informations qui peuvent contribuer à mieux comprendre

certaines dynamiques internes des pratiques de l’écrit.

Dans le portrait général esquissé ci-dessous (Figure 5.1), l’usage de l’invocation

est commun dans la production générale de chartes dans l’abbaye de Cluny jusqu’à

l’avènement du XIIe siècle. On la rencontre avant même la fondation de l’abbaye, dans

le dernier tiers du IXe siècle dans les diplômes de donation de Charles le Chauve

378

et son usage à cette époque est presque exclusive aux diplômes, préceptes et chartes,

qui sont très formalisées jusqu’au début du Xe siècle. À partir de là, son usage se

multiplie en même temps que la production des chartes de donation des particuliers et

l’invocation, dans toutes ses formes, mais spécialement la plus simple (in Dei nomine),

apparaît dans le protocole de presque la moitié de la production de l’abbaye vers la

fin du Xe siècle.

Pendant un siècle, entre l’an 920 et l’an 1010, l’invocation garde une très forte

densité d’usage. Après la décennie 1010, l’observation se complique parce que le recueil

clunisien souffre d’une forte baisse de production qui implique aussi des changements

assez profonds dans la nature des documents. On perd le style assez régulier et très

attaché au formulaire qui avait caractérisé les actes du Xe siècle, au profit d’une forte

377. Voir au sujet des invocations les travaux deZimmermann, “Protocoles et Préambules dans les documents Catalans du Xe au XIIe siècle : évolution diplomatique et signification spirituelle I Les protocoles” ; Robert-HenriBautier. “Caractères spécifiques des chartes médiévales”. In :Publications de l’École Française de Rome 31.1 (1977), p. 81-96 ; Rio, “Les formulaires et la pratique de l’écrit dans les actes de la vie quotidienne (vie-xe siècle)”

5.3. Analyse des formules 177

Figure 5.1 – Fréquence des actes présentant une invocation dans le recueil de l’abbaye de

Cluny.

augmentation de la production des notices, dont le nombre dépasse à certains moments

celui des chartes. La production de chartes reprend au cours de l’abbatiat de Hugues

(1049-1109), sans toutefois revenir aux niveaux observés pendant l’abbatiat de Maïeul

(954-994). Mais l’invocation est déjà entrée en déclin et son utilisation est bannie

de l’acte après les premières décennies du XIIe siècle. Après cette époque, elle est

pratiquement abandonnée dans le document privé, mais on peut encore la retrouver

dans certains diplômes et chartes très formelles pendant le XIIe siècle, par exemple dans

deux diplômes de Philippe II Auguste délivrées en 1180

379

, de Louis IX en 1230

380

,

dans quelques lettres datées du XIIIe siècle

381

ou des chartes provenant de Castille ou

d’Aragon

382

. De fait, après les premières décennies du XIIIe siècle l’abbaye ne l’emploie

plus que dans quelques documents d’usage interne ou procès-verbaux : sentences

383

,

visites

384

, litiges

385

, etc.

La disparition relativement abrupte de l’invocation entre le XIe et le XIIe siècle,

schématisée par le graphique, est expliquée par deux raisons qu’on détaillera dans

le chapitre qui suit. Succinctement, on peut dire ici que, d’une part, sa disparition

coïncide avec celle de la charte privée de donation qui était l’action juridique la

mobilisant le plus ; d’autre part, les cartulaires, et spécialement C et D, témoignent

d’une attention particulière à recueillir d’autres types d’actes juridiques, notamment

379. CBMA 5714, 5715 380. CBMA 6047, 381. CBMA 5868, 6008, 6915 382. CBMA 5966, 6007, 6318 383. CBMA 5816, 1198, 6302 384. CBMA 6312 385. CBMA 6881, 6895, 6914, 6945, 6971

des notices, et une documentation provenant des autorités, en particulier la papauté

et les évêchés sous la forme de lettres, bulles et privilèges, tous types de documents

qui rejettent presque entièrement l’utilisation de l’invocation. La notice, on l’a déjà

expliqué, privilégie le dispositif et se débarrasse de la plupart des éléments de la

panoplie diplomatique de la charte, y compris les invocations ; pour leur part lettres

et bulles utilisent rarement les invocations, la réservant pour quelques cas de litiges

386

et testaments.

Dans le recueil clunisien (env. 4 700 documents entre 842 et 1253) nous avons

récupéré 1519 formules d’invocation qui correspondent à un nombre à peu près

similaire de documents. Il existe en effet des documents portant des formules doubles

d’invocation. C’est le cas de quelques diplômes carolingiens qui portent une invocation

finale sous la forme d’appréciation dans l’eschatocole (in Dei nomine feliciter)

387

ou

de quelques documents qui, ayant utilisé une invocation dans la tête de la charte, la

répètent dans la souscription (Ego, in dei nomine, X, episcopus....) ou plus rarement

dans la date, mais il s’agit de cas atypiques. L’invocation généralement utilisée une

seule fois dans le document et la place qu’elle occupe implique presque toujours l’usage

d’un style rédactionnel particulier. Elle est normalement placée en tête de la charte, se

présentant dans de nombreux cas, chronologiquement bien situés, en combinaison avec

le tandem « notification + adresse ». Elle peut se présenter aussi à la suite d’un exposé

ou d’une narration, suivant le même modèle, mais cette combinaison est minoritaire.

Plus commune est l’invocation dans la souscription (voir point 5.4) qui se présente en

tête du dispositif sous une forme assez simple. Très rarement elle se trouve au milieu de

la charte ou dans l’eschatocole, exception faite des cas de chartes doubles ou de chartes

comportant des extraits d’autres chartes qui, elles, peuvent inclure l’invocation ; dans

toutes ces situations, qui ne représentent qu’un faible pourcentage des cas, l’invocation

est bien plus difficile à détecter parce qu‘elle se présente imbriquée dans d’autres

formulations.

Comme on l’a expliqué précédemment, il est de bonne pratique de classer ces

formules suivant les sous-types proposés par les études diplomatiques. Ainsi, pour

nos 1 519 invocations, nous considérons quatre styles d’invocations, qui correspondent

schématiquement aux sous-types présents dans les formulaires :

1. L’invocation trinitaire (264 documents)

2. L’invocation christologique (432 documents)

3. L’invocation divine au nom de Dieu (246 documents)

4. L’invocation divine de souscription (542 documents)

L’invocation trinitaire

L’invocation trinitaire connaît deux versions, l’une abrégée sous le concept de la

Trinité et l’autre plus développée et mentionnant chaque personne de la divinité. La

première se présente comme :

[’In’, ’nomine’, ’sancte’, ’et’, ’individue’, ’Trinitatis’]

386. (CBMA 6955, 6971, 6972

5.3. Analyse des formules 179

[’In’, ’nomine’, ’summe’, ’et’, ’individuæ’, ’Trinitatis’]

La version portantsanctus est la plus utilisée, les deux du total se rapportent à ce

modèle qui est au début du corpus presque exclusivement employé dans les diplômes.

En fait, les diplômes et préceptes se servent très rarement des autres versions trinitaires.

Le modèle est rapidement transféré vers les chartes provenant de la noblesse aux

environs de la fin du IXe siècle. La version avec summus est bien moins utilisée, et

exclusive de la charte ; on la retrouve depuis le début du Xe siècle.

La version trinitaire élargie est plus tardive, on l’utilise depuis la deuxième moitié

du XIe siècle jusqu’à une bonne partie du XIIIe siècle. On détecte deux sous-versions,

mais qui sont parfaitement interchangeables : on les retrouve indistinctement dans les

mêmes lieux et aux mêmes dates.

[’In’, ’nomine’, ’sancte’, ’et’, ’individue’, ’Trinitatis’, ’Patris’, ’et’, ’Filii’, ’et’,

’Spiritus’, ’Sancti]

[’In’, ’nomine’, ’Patris’, ’et’, ’Filii’, ’et’, ’Spiritu’, ’sancti’]

Quelques notices, concernant toujours des donations importantes, portent le

premier sous-type pendant le XIe siècle. Ensuite on le retrouve plus rarement dans

les notices, sous une forme très abrégée :

[In’, ’nomine’, ’Sancte’, ’Trinitatis’]

Par ailleurs, la formule trinitaire peut se terminer par la réaffirmation Amen à la

fin. Il s’agit d’un usage tardif, qui apparaît pour la première fois dans un diplôme de

Philippe Ier en 1078

388

et devient usuel dans les invocations du XIIème siècle, surtout

dans les diplômes.

Le modèle trinitaire est le plus riche, mais comme tous les autres modèles

d’invocation trouvés dans le recueil il se montre très rigide. On ne dénombre qu’une

vingtaine de formulations différentes du modèle cité plus haut, qui s’éloignent de

celui-ci par l’emploi de mots de très faible incidence ; ceci est généralement le cas dans

des formules très allongées. Ces usages souvent sérialisés apparaissent et disparaissent

au cours d’une même décennie, ce qui nous permet d’inférer que leur usage est lié à

un scribe ou àscriptorium en particulier. Dans d’autres occasions, surtout pendant le

XIIe siècle, ils peuvent être introduits dans notre corpus par des chartes des scriptoria

étrangers :

Quelques exemples :

Avec la déclaration expresse de l’unité divine :

[’In’, ’nomine’, ’sancte’, ’et’, ’individue’, ’Trinitatis’, ’Patris’, ’et’, ’Filii’, ’et’,

’Spiritus’, ’Sancti’, ’qui’, ’est’, ’trinus’, ’in’, ’nomine’, ’et’, ’unus’, ’in’, ’numero’]

389 388. CBMA 4923

389. CBMA 4941, 4987, 4964, 5007, 5358, 5401. Un bon nombre de versions trinitaires très allongées vient des préceptes et chartes castillanes dont la chronologie est concentrée dans les décennies 1070-1080 et toujours concernant des donations tant privées que royales d’églises et monastères à Cluny

Figure5.2 –Évolution chronologique de l’invocation trinitaire selon le type d’acte juridique.

[’In’, ’nomine’, ’Genitoris’, ’et’, ’Geniti’, ’simul’, ’et’, ’ex’, ’ambobus’, ’procedentis’,

’Spiritus’, ’Sancti,’, ’qui’, ’est’, ’trinus’, ’in’, ’unitate’, ’et’, ’unus’, ’in’, ’deitate’]

390

Avec clause de perpétuité finale

391

:

[’In’, ’nomine’, ’Patris’, ’et’, ’Filii’, ’videlicet’, ’et’, ’Spiritu’, ’Sancti’, ’uni’, ’Deo’,

’in’, ’Trinitate’, ’conregnanti’, ’per’, ’numquam’, ’finienda’, ’secula’, ’seculorum’,

’Amen’]

392

Avec des attributs de la royauté :

[’In’, ’nomine’, ’sanctæ’, ’et’, ’individuæ’, ’Trinitatis’, ’potenter’, ’cuncta’,

’regentis’, ’atque’, ’disponentis]

393

Version hellénisée :

[’In’, ’nomine’, ’Dei’, ’Patris’, ’omnipotentis’, ’filiique’, ’eius’, ’Iesu’, ’Christi’,

’Domini’, ’nostri’, ’Salvatoris’, ’et’, ’Spiritus’, ’Sancti’, ’paracleti’, ’ab’, ’utroque’,

’procedentis’]

394

390. CBMA 4876, 4916

391. Une clause de perpétuité exprime le désir de l’auteur de l’acte d’assurer à celui-ci une valeur perpétuelle : ici « secula, seculorum »

392. CBMA 4932, 4964, 5007

393. CBMA 2908, 3336, 3353, 3347. Les deux premiers actes ont été élaborés par le même scribe

Iterius levite et monachi. Les autres deux viennent des diocèses d’Autun et Dijon respectivement 394. CBMA 2452, 3301, 2568, 3289. Les deux premiers actes suivent le même modèle d’acte formule par formule, donation d’un curtil avec un serf. Les deux derniers ont été écrits par le même scribe :

5.3. Analyse des formules 181

L’invocation christologique

L’invocation christologique mentionne la plupart du temps la seule personne du

Fils, mais peut, dans de rares chartes, être intriquée avec une invocation trinitaire ou

du Père. Nous considérons trois sous-types pour cette invocation :

Le premier sous-type se présente comme une déclaration de foi du dogme de

l’incarnation et représente plus ou moins la moitié des invocations christologiques. On

le retrouve exclusivement dans les chartes et trois notices seulement ; aucun diplôme

ne le porte. Cette invocation est attestée depuis les premières décennies du Xe siècle,

mais elle est très ancrée dans deux périodes assez spécifiques : principalement entre

990 et 1010, et entre 1080 et 1090.

[’In’, ’nomine’, ’Verbi’, ’incarnati’]

Le deuxième sous-type se présente avec nom et épithète dans un rappel de la

majesté du Christ ; une sous-version allongée inclut le titre de Sauveur.

[’In’, ’nomine’, ’Domini’, ’nostri’, ’Iesu’, Christus’]

[’In’, ’nomine’, ’domini’, ’nostri’, Christus’]

[’In’, ’nomine’, ’Domini’, ’Dei’, ’et’, ’salvatoris’, ’nostri’, ’Iesu’, ’Christi’]

La première sous-version est la plus utilisée et on la retrouve dans une centaine de

documents depuis la deuxième moitié du Xe siècle jusqu’aux alentours du XIVe siècle,

dans un ensemble de lettres de la papauté. La version avec le terme sauveur est, elle,

peu usitée. Son usage est attesté dans une vingtaine de chartes depuis la deuxième

moitié du XIe siècle, notamment dans un groupe de huit chartes provenant de Pavie.

Finalement, un troisième sous-type est attesté, moins utilisé que les deux

précédents. Cette dernière invocation est très abrégée et imite la formule la plus

répandue d’invocation : In Dei nomine; elle est de fait employée dans les mêmes

circonstances que celle-là :

[’In’, ’Christi’, ’nomine’]

Elle est utilisée aux mêmes dates que l’invocation par l’incarnation et s’ancre

dans presque les mêmes périodes : 970-1000 et 1080-1100, ce qui la rend parfaitement

interchangeable avec celle-là. Normalement située en tête de la charte elle peut aussi se

présenter dans le corps des chartes, à la manière de l’invocation divinein Dei nomine,

mélangée avec la suscription.

[’ego/nos’, ’quidem’, ’in’, ’Christi’, ’nomine’]

Aussi rigide que l’invocation trinitaire, l’invocation christologique présente très peu

d’exemples de variation dans ses termes et modèles. De nouveau, les variations sont

souvent liées à un scribe ou un scriptorium étranger. Voici quelques-uns parmi les plus

intéressants :

Figure 5.3 – Évolution chronologique de l’invocation christologique selon le type d’acte

juridique.

[’In’, ’nomine’, ’Domini’, ’Jesu’, ’Christi’, ’et’, ’beate’, ’Mariæ´,’semper’, ’virginis’,

’et’, ’beatorum’, ’apostolorum’, ’Petri’, ’et’, ’Pauli’]

395

Recours à la formule d’origine biblique (Jean 8 :42) de réaffirmation trinitaire,

popularisé par Saint Ambroise

396

[’in’, ’nomine’, ’Verbi’, ’incarnati’, ’ex’, ’corde’, ’Patris’, ’eructuatum’]

397

Avec l’attribut de la Clementia dans une charte de donation royale provenant de

la chancellerie aragonaise (1145)

[’In’, ’Christi’, ’nomine’, ’et’, ’eius’, ’divina’, ’clementia’]

398

Invocation avec citation à l’occasion d’une charte de donation par fiançailles.

399 395. CBMA 2027. Il s’agit d’une réutilisation de la formule d’adresse très usitée, pendant le Xe siècle :Sacrosancto et exorabili loco in honore Dei omnipotentis et beatæ Mariæ virginis ac beatorum apostolorum Petri et Pauli consecrato.

396. “Quomodo paterno generatus ex utero, quomodo eructuatum ex corde uerbum legitur nisi ut ex intimo et inaestimabili patris intellegatur, ut scriptum est, prodisse secreto ?”, Ad Decretum Gratianum, 53

397. 2462, 2482, 2519, 4060, CBMA 2454. Les trois premiers actes rédigés par le même scribeEvrardus levita indignus scripsit, en 991-992. Les deux derniers également écrits par la main d’un même scribe :

Ego frater Pontius scripsi, ad vicem cancellarii, 981-992

398. CBMA 5541. Charte d’origine aragonaise, an 1145. "Divina favente clementia rex" est d’ailleurs une formule de dévotion royale utilisée depuis le Xe siècle. CBMA 1446,1809,2102, 3628, 4873, etc.

399. CBMA 3696. La citation de Matthieu apparaît dans les préambules de quelques chartes de donations entre conjoints de la fin du Xe siècle. CBMA 2118, 2138, 2836, 3454, 3875

5.3. Analyse des formules 183

[’In’, ’nomine’, ’Domini’, ’et’, ’Salvatoris’, ’nostri’, ’Jesu’, ’Christi’, ’qui’, ’vul’,

’omnes’, ’salvos’, ’fieri’, ’et’, ’acnicionis’, ’veritatis’, ’venire’,

400

, ’et’ ’quod’, ’Deus’,

’iunxit’, ’homo’, ’non’, ’separet’]

401

L’invocation au nom de Dieu

L’invocation la plus usitée est la plus simple et de la plus ancienne tradition.

L’invocation à Dieu utilisant l’ablatif instrumental apparaît tôt dans le corpus, depuis

les premières décennies du Xe siècle, et son usage est attesté jusqu’aux alentours du

XIIIe siècle. Nous avons distingué deux sous-types dans cette invocation qui revêtent

en réalité la même terminologie, mais qui se distinguent par leur fonction et leur place

dans le document :

Le premier apparaît presque toujours en tête du document sous deux formes

simples, la première étant préférée pendant le Xe siècle, mais non abandonnée par

la suite, et la deuxième pendant les XIe et XIIe siècles : [’In’, ’nomine’, ’Dei’]

[’in’, ’nomini’, ’domini’]

A ces deux formulations quelques attributs divins peuvent être ajoutés, notamment

summus, omnipotens et eternus, spécialement dans les chartes de la deuxième moitié

du XIe siècle.

La deuxième version n’est pas plus riche, mais nous amène vers une rhétorique

différente. Elle est très caractéristique du corpus clunisien et se présente fusionnée

avec la suscription personnelle, comme cela était proposé dans plusieurs formulaires

altimédiévaux sous la forme :

[Igitur, in Dei nomine, ego]

[Quapropter, in Dei nomine, ego ]

[Idcirco, in Dei nomine, ego]

La liste de conjonctions et adverbes est bien plus longue : enim, sic, quamobrem,

unde, quocirca, quidem,etc. Et ils peuvent apparaître le plus souvent comme premier

terme, ou précédés par le pronom :

[’nos’, ’enim’, ’in’, ’deus’, ’nomen’]

Cette invocation apparaît parfois en tête de la charte, mais est le plus souvent

précédée, soit par une adresse individuelle :

[’Domino’, ’fratribus’, ’Leotbert’, ’et’, ’uxore’, ’sua’, ’Adalgelt’, ’emptores’, ’Igitur’,

’in’, ’Dei’, ’nomen’]

Soit par une adresse collective :

[’Sacrosancto’,’monasterio’,’qui’,’est’,’constructus’,’in’,’honore’beatorum’,

’apostolorum’,’Petri’, ’et’, ’Pauli’]

400. 1 Timothée 2,4 : “Qui omnes homines vult salvos fieri et ad agnitionem veritatis venire” 401. Matthieu 19, 6 : “Itaque iam non sunt duo sed una caro quod ergo Deus coniunxit homo non separet”

Soit par un préambule, qui déplace l’invocation à un deuxième rang. Cette

formulation est très utilisée dans les chartes de donation de la deuxième moitié du

Xe siècle :

[’Inspirante’, ’omnium’, ’rerum’, ’Creatore’, ’divinaque’, ’benignitate’, ’favente’,

’cunctis’, ’bona’, ’temporalia’, ’possidentibus’, ’concessum’, ’atque’, ’attributum’,

’constat’, [...], ’Igitur’, ’in’, ’Dei’, ’nomine’, ’ego’...]

Dans les deux cas l’usage de la conjonction consécutiveigitur et dans une moindre

mesurequapropter pourrait sembler superflu ou déplacé si elle n’était pas une particule

obligatoire dans les formulaires anciens. Ce dernier adverbe est particulièrement

rencontré dans les documents de ventes ou de donations-ventes de la deuxième moitié

du Xe siècle.

La majorité des invocations rédigées sur ce modèle intégré dans la suscription se

fait à la première personne, mais il n’est pas rare de trouver le pluriel nos quand

il s’agit d’une donation collective, notamment des couples, même si ensuite le récit

revient au singulier.

Par ailleurs, la réaffirmation Amen qui est utilisée dans les diplômes portant

l’invocation trinitaire pendant les XIe et XIIe siècles et qui apparaît souvent associée

à l’invocation, n’est presque jamais retrouvée ici. Il n’existe que trois documents la

portant, provenant de notaires apostoliques en 1246

402

.

Figure5.4 – Évolution chronologique de l’invocation divine selon le type d’acte juridique.

Enfin, si les invocations trinitaires et christologiques étaient déjà peu sujettes à

l’inventivité et à l’altération de la part des scribes, dans le cas de l’invocation divine

5.4. Facteurs déterminant l’usage de l’invocation dans les actes 185