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Chapitre 2. De l’annonce au profil de poste : un fonctionnement hybride entre monde

1. Une offre limitée versus une forte demande

1.4. Typologie des modes de recrutement : autant de pratiques que de catégories

Une fois l’ouverture de poste décidée, les annonces sont diffusées et un profil de poste est joint. Cette publication se fait sur les sites internet d’une part de l’ONG qui recrute, d’autre part sur les réseaux sociaux des partenaires nationaux et internationaux et enfin sur des plateformes

295 Commission Coopération Développement, Argent et organisations de solidarité internationale 2004-2005,

septembre 2008.

296 Loquercio (David), Hammersley (Mark) et Emmens (Ben),Understanding and addressing staff turnover in

humanitarian agencies, Commissioned and published by the Humanitarian Practice at ODI, Humanitarian Practice

Network number 55, June 2006

297 People In Aid, Rehausser la Qualité de la gestion des ressources humaines dans le secteur humanitaire – un

guide pratique Manuel 2, Mai 2004

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qui centralisent les offres d’emplois dans l’humanitaire et qui proposent des cv thèques sur leurs sites internet299. La diffusion d’offres de volontariat et d’emploi dans la solidarité internationale

se fait également de bouche à oreille.

Le MAEE, en tant que principal bailleur du VSI, s’intéresse aux méthodes de recrutement qu’il covalide avec les associations agréées, notamment lors des réunions de la commission qui examine les demandes d’agrément300 (composée de 6 représentants de l’Etat et de 6 représentants

des associations agréées) sans pour autant imposer un mode de recrutement. C’est ainsi que le ministère (2009, p.69) demande aux associations d’envoi de volontaires de préciser dans le dossier de demande d’agrément les méthodes de sélection et de recrutement des volontaires. Or, force est de constater que « les modalités de mise en œuvre (formations, contrats, suivi, appui

retour) ne sont pas précisées. En outre les modalités de suivi et d’évaluation par le MAEE de la manière dont les associations d’envoi mettent en œuvre ces différents aspects ne sont pas non plus prévues. » (p.69).

En effet, les pratiques de recrutement varient selon les caractéristiques des ONG à savoir : - la taille,

- les ressources humaines et financières, - la réputation et le prestige,

- le choix organisationnel,

- les procédures internes et externes, - la politique de fidélisation,

- l’histoire/genèse de l’ONG et de ses fondateurs, - et les catégories de personnel.

Comme le rappelle Yala (2005) « la diversité des modes d’intervention et des domaines d’activité

des organisations non gouvernementales induit de facto la diversité des problématiques des ressources humaines. En effet, les statuts et les modalités de gestion de l’ensemble du personnel sont très variés, et ce y compris au sein d’une même association. » (p.27). Concrètement, le

recrutement d’un volontaire ne sera pas le même que celui d’un salarié, car les enjeux et les coûts ne sont pas similaires même si de manière générale les procédures ne sont pas différenciées (CV et lettre de motivation).

Nous avons repéré six pratiques de recrutement pour le personnel que nous avons rencontré : volontaires (VSI et SVE), salariés expatriés et marocains, bénévoles et stagiaires. Rappelons que notre échantillon étant restreint, ce sont donc des observations de type monographiques que nous souhaitons présenter et analyser. La typologie des pratiques que nous

299 Liste des sites internet proposant des postes :

www.portail-humanitaire.org/emploi/php/ www.coordinationsud.org/espace-emploi/ www.hacesfalta.org

https://empleo-solidario.trabajo.infojobs.net/ofertas-remuneradas

https://cooperablog.wordpress.com/2013/02/01/referencias-de-webs-para-encontrar-trabajo-en-ong/

300 Ce sont 27 associations agréées qui se répartissent les postes cofinancées par le MAEE. Il y a peu de nouveaux

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allons décrire est à considérer comme un idéaltype au sens wébérien et non comme des pratiques pures. Aux difficultés liées à l’échantillon restreint, s’ajoute la diversité des statuts et des pratiques que nous avons pu recenser dans les entretiens. C’est pourquoi ces modes de recrutements ne sont pas exclusifs et certaines associations les cumulent en fonction du statut du personnel à recruter, des contextes et des recruteurs. Et c’est cette interaction qui va déterminer le type de recrutement utilisé. Cette diversité de modalités d’embauche trouve également une explication dans la diversité des candidats (profils, parcours et motivations) et le nombre important de demandes de volontariat et de salariat.

Pour les volontaires de solidarité internationale et les salariés expatriés, deux tendances301 de

recrutement se dessinent :

- soit les associations partent du projet et d’un profil de poste et recherchent la personne adéquate (pratique dominante dans les associations à projets),

- soit elles partent du profil du candidat et recherchent le projet en fonction des structures partenaires nationales et marocaines (pratique dominante dans les associations d’envoi). Certaines structures utilisent ces deux modes de recrutement lorsqu’elles veulent fidéliser ou concrétiser un engagement qu’elles ont repéré.

Nous verrons dans le chapitre suivant qu’une fois sur le terrain, il arrive que les personnes recrutées pour une activité dont elles ont les compétences « s’arrangent/se débrouillent » pour mener d’autres activités qu’elles souhaitent développer/acquérir jusqu’à parfois empiéter sur les activités et le profil de poste d’un collègue. Cette situation peut mener à des conflits que nous analyserons.

En ce qui concerne les volontaires du SVE, une pratique se dessine qui correspond aux principes de ce volontariat à savoir « l'accessibilité universelle au SVE : les structures d'accueil ne peuvent

spécifier que les volontaires devraient appartenir à un groupe ethnique spécifique, avoir une religion, une orientation sexuelle ou des opinions politiques particulières. Il ne peut pas non plus subordonner la sélection des volontaires à des qualifications ou un certain niveau d'instruction. »

(Charte SVE302, p.7). Alors que le service volontaire européen, dont l’objectif assumé (outre la

mobilité de jeunes Européens) constitue l’insertion professionnelle et sociale des jeunes via une expérience de solidarité internationale, la sélection se fait sur la réussite de la création de la mission de volontariat en partenariat avec l’association locale et l’appui de la DJEVPA. Les principes liés à l’accessibilité et à l’inclusion constituent la base du recrutement. Et, il est même proposé, aux personnes moins dotées culturellement, une préparation pour concrétiser leur projet

« si le projet concerne des volontaires ayant moins d’opportunité, une facilité et une capacité à fournir une préparation et un soutien sur mesure doivent être mises en place. » (p.3).

301 Ces tendances ont été étudiées par le MAEE dans son évaluation des VSI et par Leroux dans sa thèse. 302 Charte Service Volontaire Européen (février 2015)

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Alors que le formalisme de la lettre de candidature et de l’envoi du curriculum vitae semble être de rigueur pour les salariés et les volontaires, il n’en est pas de même pour les stagiaires, qui « créent eux-mêmes » la mission de stage en proposant leurs services. Aucun des stagiaires rencontrés n’a été engagé suite à une offre de stage formelle. Et comme nous l’avions indiqué, un seul stage correspond administrativement à véritablement un stage. Les deux autres cas relèvent plutôt d’un « sous-emploi » ou d’un « un super bénévolat » (Simonet, 2010).

Quant aux bénévoles rencontrés, ces derniers s’engagent en dehors de toute procédure formalisée. Ce sont le plus souvent des cooptations entre personnes qui se connaissent et qui entretiennent des relations amicales et professionnelles. Les deux adolescents bénévoles qui suivent le programme Protection Judiciaire de la Jeunesse303 (PJJ) « séjour à l’étranger », et qui ont participé

à la mission de distribution dans le village, ont reçu une prescription pour suivre ce programme sans qu’ils soient véritablement candidats à cette mission de solidarité internationale même si ils y ont été préparés.

Pour le recrutement du personnel marocain, nous relevons la tendance à la cooptation et à la recommandation. En effet, les personnes rencontrées ont été très actives en sollicitant leur réseau professionnel et personnel sans attendre l’ouverture de poste. C’est ainsi que Rachida (diplômée en finances 304) relate son recrutement dans une ONG française à Rabat « j’ai connu l’association par le biais de Jean. Il y avait des volontaires à l’association marocaine dans laquelle je travaillais305. Je lui ai demandé en décembre, car il avait du réseau. Quelques jours après, il m’a

contacté. Il venait de s’installer, il travaillait seul chez lui et c’était sa femme qui l’aidait. Et il a demandé au siège de l’aider en recrutant une assistante. » (Rachida, salariée, marocaine, 34 ans).

De même Saïda306, diplômée en finance audit contrôle, raconte son entrée dans l’ONG

internationale dans laquelle elle est en poste au moment de l’entretien « mon premier travail :

assistante administrative et financière dans une clinique à Agdal. Pour l’ONG française dans laquelle je travaille, j’ai entendu dire qu’il cherchait quelqu’un pour remplacer la responsable administrative et financière Rachida pour les 3 mois de congés de maternité. Le directeur était satisfait et il voulait que je reste. Il m’a proposé l’accompagnement des volontaires. Je me suis dit pourquoi pas et je suis toujours là. » (Saïda, salariée, marocaine, 28 ans). Cette pratique de

recrutement est également utilisée dans d’autres associations et pour d’autres catégories de personnel volontaires et salariés. L’importance du bouche à oreille est également à relever. C’est ainsi que Safi explique que c’est grâce à sa femme, coiffeuse dans un salon fréquenté par des étrangers, qu’il a été au courant du poste de chauffeur logisticien qu’il occupe dans l’ONG canadienne après plus de 10 ans dans le privé « je cherchais du boulot à droite à gauche. Il y

avait une fille qui travaille à l’ambassade espagnole. Le samedi et le dimanche, cette fille vient

303 « Organisation des séjours et des camps », Bulletin officiel du Ministère de la Justice n° 78, 1er avril - 30 juin 2000,

www.justice.gouv.fr/bulletin-officiel/dpjj78.htm

304 Rachida a un diplôme marocain et un autre français. C’est une femme qui n’est pas insérée dans le milieu associatif

et qui a choisi les ONG après une expérience professionnelle de plus de 4 ans dans une banque.

305 Association dans laquelle Rachida était en poste et dont la mission sur laquelle elle était positionnée fermait. 306 Saïda est la fille d’un responsable d’ONG marocaine importante. Elle a participé depuis son enfance à des actions

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au salon. C’est une cliente copine à ma femme et c’est elle qui lui a dit qu’ils ont besoin de quelqu’un qui conduit, qui connaît les trajets ça et ça. Ce n’est pas moi qui utilise internet c’est ma femme. Elle m’a dit : tu fais ton CV. J’ai fait mon CV. Ils m’ont appelé. J’ai fait un entretien. »

(Safi, salarié, Marocain, 43 ans). De même pour le stagiaire Jed, c’est une amie italienne qui lui parle de l’ONG italienne dans laquelle il travaille actuellement « comme j’ai beaucoup d’amis

étrangers, j’ai l’occasion de glaner quelques informations par-ci par-là. Et une amie m’a parlé de ce stage, elle est italienne. Elle travaille au centre Jacques Berque. Je me suis dit pourquoi pas ? Bien que la forme ne me convenait pas. » (Jed, stagiaire, Marocain, 24 ans). Nous pouvons

constater que le fait d’être intégré dans un milieu international augmente les chances de recrutement de par l’accès aux informations sur les offres qui circulent et par les possibilités de cooptation.