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Chapitre 2. De l’annonce au profil de poste : un fonctionnement hybride entre monde

3. Le parcours du combattant : CV, LM, dossier de candidature et formation

3.3. L’entretien de sélection : un moment de légitimation en « face à face »

Les pratiques d’entretien rapportées lors des interviews semblent diverses. Il peut se présenter sous la forme d’une rencontre en direct, par téléphone ou encore par les outils de communications via internet comme Skype : « j’ai postulé sur une mission au Maroc. J’étais partie au Laos. On

a skypé, ils m’ont accepté. J’étais loin et je devais prendre une décision. Je ne savais pas trop. »

(Carol, volontaire, française, 29 ans). L’entretien est réalisé le plus souvent par la personne en charge des ressources humaines lorsqu’il s’effectue dans le pays de départ. Des entretiens supplémentaires peuvent également se faire par le responsable du projet au siège, ou sur le terrain ou également par la structure d’accueil : le président ou le responsable projet. Dans le cas d’une cooptation ou d’une recommandation, c’est parfois un simple entretien plus ou moins formel avec le directeur ou le chef de mission. C’est ainsi qu’une salariée française, et entrepreneure, présente au Maroc depuis dix ans337 relate son récent recrutement dans une ONG italienne : « les deux dernières année-là étaient un peu difficiles avec des tarifs (de consulting) pas très élevés ont fait que quand le chef de mission m’a proposé en novembre de prendre un poste, j’ai accepté. Il m’a proposé un temps plein. J’ai refusé et il m’a proposé un mi-temps et j’ai accepté. C’est un ami depuis que je suis arrivée au Maroc. Je n’ai jamais travaillé pour lui. C’était un voisin aux Oudayas (quartier de la vieille ville). C’est parce que c’est lui que j’ai accepté de me resalarier dans une ONG. » (Eugénie, salariée, 33 ans, Française).

Pour les recrutements sur place, les entretiens avec les responsables projet au Maroc précèdent celui du siège qui devient une formalité. D’ailleurs, ces modes de recrutement peuvent devenir concurrentiels et provoquer dans certains cas des conflits internes importants dans un contexte habituellement conflictuel entre le siège et la mission au Maroc (le terrain) comme de nombreux auteurs l’ont rapporté (Yala, Dauvin et Siméant). Rita raconte comment elle a réussi à trouver une mission au Maroc « après cette expérience au Sénégal, ma motivation pour essayer de faire une

expérience de travail dans le secteur de la coopération a augmenté beaucoup. J’ai décidé de

337 Ancienne volontaire, Eugénie a également été salariée d’une ONG française, dont l’expérience a été plutôt

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proposer à l’ONG d’évaluer mon CV pour retourner en Mauritanie. …). Il y avait une offre pour un projet en Mauritanie. J’ai fait ma réflexion : j’ai dit bon, j’ai déjà une petite expérience, peut- être que l’ONG va évaluer de façon positive mon cv. J’ai fait l’entretien d’embauche avec le président de l’association. A la fin de l’entretien, l’ONG m’a proposé le Maroc, car il y avait un projet dans le domaine de migration avec les mineurs migrants. Mon CV devait être plus adapté à un projet de migration que le développement durable en Mauritanie. » (Rita, salariée, 34 ans,

Italienne).

Dans cet entretien, nous pouvons noter que la salariée décrit longuement son recrutement et insiste sur ses expériences et les raisons de sa sélection qu’elle explicite. Par la suite, elle fait savoir les difficultés et les tensions internes rencontrées du fait de son recrutement à partir de l’Italie alors que le chef de mission a plutôt l’habitude de recruter des personnes sur place qu’il choisit lui- même « je ne sais pas si le chef de mission a donné son avis sur mon cv. Je sais qu’il y avait

d’autres personnes proposées pour ce poste. Mais je ne connais pas vraiment leurs parcours et ce qui a amené l’organisation à me choisir. (…) Quand je suis arrivée c’est un peu dur. Tu arrives dans un bureau où il y a déjà une équipe structurée. Et tu rentres comme un étranger dans un groupe de travail. Ça ce n’est pas vraiment quelque chose de facile. (…) Il y avait aussi les autres personnes proposées pour ce poste autour de moi et la perception je pense au début n’a pas été très positive. Et ça a créé de nombreux problèmes de fédération au début. Au début, il y avait vraiment un conflit je pense visible entre moi nouvelle arrivée et le responsable pays qui avait, je pense, pensé à d’autres personnes. Nous avons eu des difficultés dans le travail. Moi, j’ai eu des difficultés pour être acceptée dans mon rôle aussi parce que les autres personnes sont toujours autour de l’organisation et ils m’ont vue comme la personne qui a volé le poste de travail à une autre personne ». Des difficultés internes cumulées ont conduit d’ailleurs le siège à intervenir et

« cette année nous avons eu une expérience d’évaluation interne très structurée très forte.

L’organisation a décidé de nous envoyer une psychologue experte en organisation du travail. (…) Nous avons eu des périodes de conflit très graves et très forts et la gestion des conflits ce n’est pas toujours facile. ».

Enfin, il est à préciser que toutes les personnes rencontrées volontaires et salariées déclarent avoir envoyé une lettre de candidature et un curriculum vitae et réalisé un entretien et ce même dans les cas de cooptation et de recommandation. Fettah qui a suivi sa femme, nommée au Maroc dans une institution internationale, liste sa recherche d’emploi et sa rencontre avec le chef de mission italien « j’ai frappé à toutes les portes : les administrations, les bureaux de conseil tout ça.

Finalement, il y a eu cette opportunité, cette ONG. J’ai rencontré le chef de mission comme ça par des réseaux locaux à Fès. Il m’a proposé ce poste qui à la base est un poste chargé de mission en communication. Je suis arrivé en janvier 2008 au Maroc et j’ai commencé à travailler en septembre 2008. ». Le repérage de professionnels en amont de l’ouverture du poste et la

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cooptation ne signifient pas que les procédures ne soient pas suivies comme en témoigne avec insistance le salarié « il y avait un poste ouvert. On était 4 ou 5 sur le poste. Des Marocains. J’ai

eu un entretien avec le chef de mission. Et un autre avec toujours le chef de mission et un mec de Palerme qui était de passage et on en a profité. (…) Comme nous, on a été recruté par Vincenzo. Il fallait une validation même si j’ai fait un entretien avec le type de Palerme, ce n’était pas le président. Moi, ma légitimité je l’ai gagné une année après. Au mois de septembre dernier, j’ai rencontré le big boss de l’ONG, le président du CA et il m’a dit, nous on te considère comme membre imminent de l’ONG. D’ailleurs, je vais prendre ma carte. Comme ça, même si je pars je resterai adhérent à l’association.». (Fettah, salarié, 35 ans, Français).

Dans ces deux témoignages (des employés de la même structure), les pratiques différenciées voire concurrentielles dans le recrutement sont mises à jour. Ces deux salariés, aux profils professionnels comparables de la médiation sociale (l’un en France et l’autre en Italie) qui sont arrivés en même temps au Maroc et dans le secteur de la solidarité internationale, ressentent le besoin de légitimer leur incorporation et la détaillent longuement. L’une envoyée par le siège qui doit faire ses preuves et se faire accepter par le terrain et l’autre recruté sur le terrain par le chef de mission qui doit se faire accepter par le siège et qui décide de provoquer un entretien avec une personne travaillant au siège en visite au Maroc. Ces deux cas montrent que l’entretien est un moment de légitimation de l’ONG de son recrutement et du candidat d’avoir été recruté. De plus, les statuts des interviewers, qu’ils soient du siège ou du terrain, contribuent à l’acceptation du candidat par les autres membres du personnel. Ces deux profils, ayant de nombreux points communs, légitiment leur recrutement par l’entretien. Parfois, un second entretien avec une personne du siège ou du terrain est nécessaire, car il permet de conforter l’embauche réalisée sur le terrain ou au siège.

Enfin, pour les stagiaires, ayant « créé » eux-mêmes la mission de stage, l’entretien semble une formalité et l’entretien de recrutement a lieu lors de la proposition de service par le candidat au stage.

Ce secteur très concurrentiel, qui arbore des processus de sélection à la fois normés et individualisés, n’échappe pas à la reproduction des élites !