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1. Le volontariat au Maroc : une pratique typiquement française, européenne et canadienne

1.4. Les coopérants volontaires : une pratique canadienne en voie de disparition

Dans notre échantillon, 4 volontaires ont été recrutés par une association canadienne dans sa filiale du Maroc où elle est présente depuis les années 90. Les volontaires sont appelés et identifiés comme des « coopérants volontaires185 » et le plus souvent coopérants (tout comme les Espagnols qui

nomment leurs expatriés de solidarité internationale « coopérante »). 2 volontaires ont été recrutés sur

184 Le vieillissement de la population VSI sera étudié lors de l’analyse les caractéristiques sociales des acteurs

humanitaires.

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place au Maroc et 2 autres au Canada. La durée des contrats varie entre sept mois et trois ans. La mission de solidarité internationale est nommée « mandat186 ». Pour les Canadiens, il s’agit d’une

charge et d’une fonction confiée par l’association à des particuliers qui s’engagent en signant un contrat de coopérant volontaire.

Contrairement à la plupart des VSI rencontrés, les coopérants canadiens œuvrent directement pour l’association qui les a recrutés et qui est présente au Maroc. Ils ne sont pas mis à disposition d’associations marocaines. Pour la plupart des missions, il s’agit d’un appui et de transfert d’expertise à des associations marocaines via la collaboration des coopérants avec les associations locales. Au Canada, il n’y a pas de limite d’âge pour être coopérant-volontaire à long terme (de 18 à 70 ans) comme le montre l’Encadré 3qui détaille les conditions du volontariat au Canada. L’âge moyen des coopérants-volontaires est de 36,5 ans et ils sont en moyenne plus âgés que les autres expatriés rencontrés (32,9 ans). Les postes sont ouverts aux personnes détenant la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente.

Encadré 3 : Coopérants-Volontaires (Canada)

Peuvent devenir coopérants volontaires les personnes ayant un statut de citoyen canadien, résident permanent au Canada ou citoyen d’un pays en voie de développement. Le coopérant volontaire s’engage par motivation personnelle dans un esprit de solidarité et d’engagement, afin d’appuyer les actions d’un ou de plusieurs partenaires dans des projets ou programmes de développement durable.

La durée des mandats est généralement de deux ans.

Les coopérants volontaires offrent leurs compétences et expériences aux partenaires de pays en développement et sont motivés par l’enrichissement interculturel, l’apprentissage mutuel et la volonté de lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales.

Les coopérants volontaires apportent leur expertise dans divers domaines : gestion, développement organisationnel, administration, développement communautaire, agriculture, eau et assainissement, microentreprise, égalité entre les sexes, travail social, VIH/Sida, employabilité des jeunes, etc.

Ils reçoivent une allocation de subsistance leur permettant de subvenir à leurs besoins de façon modeste, mais décente.

Principales qualités et aptitudes recherchées chez un coopérant volontaire :

* Expérience de travail dans un pays en développement ou auprès d’organismes communautaires au Canada, un atout ;

* Une bonne santé (candidat et personnes accompagnatrices) ;

* Dans les pays où la langue de travail n’est pas le français, il est nécessaire d’avoir une bonne connaissance de la langue de travail du pays d’affectation (anglais, espagnol, arabe un atout pour le Moyen-Orient) ;

* Bonnes capacités d’analyse et de synthèse ;

* Bonnes habiletés rédactionnelles et de communication ; * Capacité de travailler en équipe et souvent dans l’ambiguïté ;

* Avoir une bonne aptitude d’écoute, de collaboration et du bon jugement ;

* Aptitudes et habiletés à travailler dans des contextes socio-économiques et culturels différents, voire difficiles ; * Bonnes aptitudes de débrouillardise, de créativité ;

* Qualités personnelles permettant une bonne intégration interculturelle.

Vous désirez vivre une expérience personnelle épanouissante et enrichissante ?

Vous désirez mettre à profit votre expérience professionnelle au service des populations locales en tenant compte de leurs besoins et réalités ?

La coopération volontaire est une expérience pour vous !

Source : Site internet d’une association d’envoi de coopérants volontaires au Maroc

186 Les Canadiens utilisent le même mot mandat que le HCR comme l’a analysé Fresia, qui fait référence au mandat

de protection internationale (p.170).

Fresia (Marion), « Une élite transnationale : la fabrique d’une identité professionnelle chez les fonctionnaires du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés », Revue européenne des migrations internationales [Online], vol. 25 - n°3 | 2009

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Les coopérants ne reçoivent pas de salaire mais une indemnité de subsistance comme le souligne le site internet de cette ONG canadienne, « une allocation de subsistance pour subvenir à leurs

besoins ». Outre les frais de déplacement jusqu’à la mission, l’association prend en charge un

programme d’assurance. Le mandat (la mission) peut durer de quelques mois à deux ans. Cette association envoie chaque année environ 100 coopérants dans plus de 20 pays et ce programme est financé par les ministères des Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada et s’inscrit dans le Programme ACCES Innovation (Accroître les capacités pour une croissance économique et sociale par l’innovation).

Comme en France, le volontaire canadien est associé au bénévole. C’est ainsi que pour d’autres structures canadiennes d’envoi187, le coopérant volontaire est « une personne bénévole » ou

encore « coopérant volontaire bénévole » qui signe « une entente de volontariat ». D’ailleurs, sur le site d’une association, il est spécifié que « le coopérant volontaire n’est pas un salarié de

l’organisation » alors qu’il reçoit :

- « une indemnité mensuelle de 1000 $ canadien au prorata du nombre de jours de mission, - un per-diem couvrant les frais d’alimentation et accessoires évalué suivant le pays, - la prise en charge de l’hébergement sur le terrain,

- une assurance vie, - une assurance maladie,

- la prise en charge du déplacement vers le lieu de la mission - et 20 jours de vacances par an.

- et d’autres avantages… ».

De nouveau, nous pouvons noter une insistance à catégoriser cet acteur de bénévole ou de coopérant-volontaire et de préciser que ce n’est pas un salarié. Cette répétition de ces attributs contradictoires d’une part (bénévole, volontaire) et cette liste de rétributions et d’avantages d’autre part interrogent la réalité de la signification de cette catégorisation qui n’est ni claire ni objective. Sachant qu’au Canada, la catégorie bénévole188 existe dans la partie francophone et

correspond à la catégorisation française. Alors que le terme « volunteer » est utilisé dans le sens de bénévole et de coopérant-volontaire du côté anglophone.

De nombreuses offres de volontariat/bénévolat sont disponibles au Canada. Elles sont répertoriées en fonction de l’âge, du statut du candidat (étudiant ou salarié) et de la durée d’engagement souhaité. En effet, les associations de solidarité internationale canadiennes encouragent les Canadiens, quels que soient leurs statuts (professionnels, étudiants ou retraités) à s’engager à l’international et/ou au national à court ou à long terme en tant que coopérant volontaire. Ces campagnes de communications et ces facilitations ont leur importance, car ils encouragent les Canadiens dès leur plus jeune âge à participer à des projets de solidarité nationale et

187 Medecinsdumonde.ca

188 13,3 millions de bénévoles au Canada (Statistique Canada, « Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la

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internationale. En effet, elles ont une incidence sur les socialisations, les parcours et les expériences de l’étranger des Canadiens, que nous détaillerons lorsque nous explorons les « expériences vécues de l’étranger » (Stangherlin, 2005)189.

Le Programme de coopération volontaire (PCV) est géré par quatre organisations non- gouvernementales canadiennes qui, coordonné par le Centre d'étude et de coopération internationale (CECI190), offre un programme d’assistance technique et de solidarité fondé sur la

coopération volontaire. Ce programme, financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI191), est mis en œuvre par des ONG expérimentées dans le recrutement et

l’envoi de volontaires internationaux. Nous n’avons pas réussi à trouver des éléments budgétaires sur les niveaux de financement, par l’Etat canadien, des postes de coopérant volontaire dans les ONG canadiennes. De même, notre enquête de terrain ne nous a pas permis de trouver des informations sur un possible cofinancement ou une participation des ONG marocaines aux postes de coopérants volontaires comme c’est le cas pour les VSI et le VSE.

Les ONG, membres internationaux du réseau de cette association192, présentes également au

Maroc, n’emploient pas de volontaires et l’association en question est la seule du réseau à fonctionner avec ce type de personnels. Cette situation d’exception semble poser question aux volontaires et aux membres du réseau « d’ailleurs, ça va être un problème qu’on va retrouver.

C’est la seule ONG à l’intérieur des membres du réseau qui a des coopérants, les autres ont tous des salariés. D’ailleurs, souvent, c’est perçu comme quelque chose de bizarre que l’association ait des coopérants, et on est perçu de moindre importance, car on a fait de la coopération. Je pense qu’ils vont devoir réviser. Je ne sais pas comment ils vont changer ça. (Charlotte,

coopérante volontaire, 37 ans, Canadienne).

Selon l’une des volontaires, le fait que le personnel de cette ONG soit coopérant volontaire et non salarié a fragilisé les relations avec le réseau international de l’association et les partenaires locaux. Pour cette dernière, le réseau international a volontairement dévalorisé le travail effectué auprès des partenaires du fait de leur statut. C’est ainsi que les coopérants canadiens ont dû mener une bataille de légitimité au sein même d’organisations qui sont membres et adhérentes de leur

189 Stangherlin (Gregor), Les Acteurs des ONG. L’engagement pour l’autre lointain, L’Harmattan (Logiques

Politiques), 2005, 248 p.

Pour cet auteur, au-delà de la littérature et du cinéma qui favorisent l’imaginaire, l’expérience directe et affective de l’expatriation et la rencontre avec l’Autre est une source de motivation qui favorise l’entrée dans la solidarité internationale.

190 Création du «Centre d'études missionnaires» (C.E.M.), l’ancêtre du CECI, par le Père Jean Bouchard, Jésuite. Ce

centre se propose de former des religieux, des religieuses et des laïcs pour travailler au sein de missions catholiques. Le CEM est parmi les premiers centres à offrir une véritable formation en coopération internationale au Québec.

191 L’Agence canadienne de développement international (ACDI) a fusionné avec le Ministère des Affaires étrangères

et du Commerce international (MAECI) en 2013 pour devenir le Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD). Cette fusion a entraîné une réduction des financements des ONG de solidarités internationales.

192 Ryfman (2004) : « en outre, certaines ONG, qui jouissent aujourd’hui d’une véritable dimension transnationale (à

travers d’un réseau « d’ONG-sœurs » ou de « branches », constitutives ainsi d’un « groupe »), disposent de capacités de dépenses considérables, bien que largement sous-estimées. » (p.65).

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réseau comme en témoigne Daniela : « je me suis fait chier à montrer au réseau qu’on était

capable de travailler en synergie avec les partenaires. À partir de ça, je me suis engagée à travailler avec ce partenaire. A partir de ça, le réseau a reconnu cette synergie et nous a passé le programme Justice économique parce qu’on a montré qu’on pouvait travailler en synergie. »

(Daniela, coopérante volontaire, 50 ans, Canadienne).

L’expérience que nous avons pu observer dans cette ONG montre que le statut du personnel peut devenir un enjeu symbolique de luttes sur le marché de la solidarité internationale. Les ONG hollandaises et espagnoles, membres de ce réseau international, n’ayant pas la même culture de valorisation du volontariat au niveau national et ne reconnaissant pas l’engagement comme compétence professionnelle, considèrent ces coopérantes volontaires comme des non expertes et réussiront à discréditer leurs activités du fait de leur statut administratif. Cette situation problématique liée au statut du personnel volontaire, qui n’est pas reconnu et accepté par les autres membres du champ, a suscité des conflits193 en interne et en externe dont nous détaillerons

l’analyse lorsque nous décrirons le travail dans les ONG.

Pour conclure ces propos sur le volontariat, nous pouvons souligner le rôle des politiques publiques –françaises, européennes ou canadiennes- dans le développement du volontariat indemnisé, qui subventionnent en partie cette catégorie d’acteurs à l’international. Les pouvoirs publics produisent et facilitent par conséquent les pratiques d’engagements volontaires tout en les sélectionnant. De même, le chômage important des jeunes194 et la difficulté de trouver un poste

en lien avec les études réalisées et payés au-delà du salaire minimum renforcent les candidatures des jeunes diplômés aux postes de volontaire à l’international. Cette catégorie spécifique de volontariat indemnisé qui se situe entre le bénévolat et le salariat est peu pratiquée195 par les

Espagnols, les Italiens et les Marocains pour qui le volontariat s’apparente à du bénévolat.