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Alors que nous avons précédemment discuté de l’utilisation indifférenciée des deux termes de bénévole et de volontaire qui ont cours à la fois dans le sens commun, les médias et le milieu associatif (aussi bien en France, en Espagne, en Italie, au Canada qu’au Maroc), il s’agit à présent d’exposer la catégorie du bénévole sur laquelle nous avons également enquêté. Conformément à l’échantillon constitué, nous nous sommes entretenus avec 11 bénévoles (dont 9 en activité et 2 anciens bénévoles). 7 bénévoles sont âgés entre 16217 à 59 ans et de nationalité française. 4 sont

des bénévoles marocains, âgés entre 35 et 47 ans.

Avant de donner à voir la spécificité de la pratique de ces bénévoles hors cadres, nous allons d’abord définir le bénévolat tel qu’il est généralement déployé.

Selon Ferrand-Bechmann218(2000), il a fallu des années pour que la pratique du bénévolat soit

considérée et « rejoigne le bataillon des comportements normaux. » (p.5). D’ailleurs, le mot bénévole n’est entré dans le dictionnaire qu’en 1954! Le bénévolat, contrairement au volontariat, n’est pas reconnu juridiquement et institutionnellement. En effet, selon l’étude sur le bénévolat menée par la Commission Européenne219, la France fait partie des pays où le bénévolat n’est pas

régit par un texte légal spécifique, mais régulé par des textes de loi y faisant référence. Cependant, cette expérience bénévole est reconnue et valoriséeet l’étude220 réalisée par l’université d’Evry,

montre que pour 60 % des recruteurs, le bénévolat est un atout pour développer des compétences. De même, conformément à la charte de la valorisation de l’engagement étudiant221, certaines

universités procèdent à la reconnaissance222 du bénévolat dans le parcours universitaire (depuis

2001), permettent ainsi aux étudiants de transformer leur expérience associative en crédits ECTS

216 Bénévolat dit hors cadre ou informel ou encore direct.

217 Quant aux bénévoles mineurs, il s’agit de jeunes suivis dans le cadre du programme de Protection Judiciaire de la

Jeunesse qui ont participé à une action de solidarité internationale hors cadre.

218 Ferrand-Bechmann (Dan), Le métier de bénévole, Ethno-sociologie, Editions Anthropos, 2000, 160 p.

219 Educational, Audiovisual & Culture Executive Agency (EAC-EA), Volunteering in the European Union, Final

Report submitted by GHK, 17 February 2010, http://ec.europa.eu/citizenship/pdf/doc1018_en.pdf

« Member States that do not have a legal framework but where volunteering is regulated by or implicit within other existing general laws (Austria, Denmark, Estonia, Finland, France, Germany, Greece, Ireland, Lithuania, Netherlands, Slovakia, Sweden and the UK). » (p.10).

220 Centre d’Etudes des politiques économiques de l’université D’Evry, Les effets du bénévolat sur l’accès à l’emploi:

« Une expérience contrôlée sur des jeunes qualifiés d’Ile-de-France », Bougard (Jonathan), Brodaty (Thomas),

Edmond (Céline), L’Horty (Yannick), du Parquet (Loïc) et Petit (Pascale), janvier 2011, www.univ-evry.fr/modules/resources/download/default/.../11-02.pdf

221 www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/Charte_engagement_vie_associative.pdf

222 www.letudiant.fr/educpros/enquetes/l-engagement-associatif-etudiant-une-nouvelle-matiere-a-l-

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validant ainsi des modules de leur cursus, bonification des résultats… Pour certains établissements d’enseignement supérieur, l’action bénévole est même obligatoire dans le cursus étudiant.

Le bénévolat se distingue du volontariat sur plusieurs points : d’une part, le bénévole garde la liberté de proposer et de doser sa contribution ; d’autre part, son statut initial ne change pas et enfin il ne reçoit aucune indemnité financière223 même si les rétributions symboliques sont

importantes (Gaxie, 1977224). De même, il n’est soumis à aucune subordination juridique et sa

collaboration n’est pas contractualisée juridiquement de manière formalisée (même si certaines associations font signer des contrats de bénévolat). Il s’agit donc d’un engagement libre qui n’est soumis à aucune subordination juridique même si il engage moralement. Halba et Ferrand- Bechmann insistent sur la spécificité du bénévolat à savoir la liberté d’action, qui est d’ailleurs revendiquée par les bénévoles et notamment les hors cadres.

Alors que les chiffres du bénévolat au niveau national sont très documentés comme le montre

l’Encadré 4 Les Chiffresdu Bénévolat en France, la pratique à l’international est peu recensée sauf pour celles réalisées dans un cadre associatif comme les chantiers internationaux225 par

exemple.

Encadré 4 :Les chiffres du bénévolat en France

Selon la dernière enquête226 sur le bénévolat (2014), la France compte 12,5 millions de personnes

qui se déclarent bénévoles (contre 11,5 millions en 2010). La répartition des bénévoles est la suivante:

73 % pour des actions régulières et 27 % pour des actions ponctuelles.

Il est à noter que 18,8 % de la participation bénévole se fait de manière informelle selon l’étude réalisée par France Bénévolat en 2013227 (p.8).

En effet, les politiques publiques et le champ associatif sont très actifs dans la promotion du bénévolat et à sa reconnaissance. La loi de janvier 2002 dite de « modernisation sociale » reconnaît la validation des acquis de l’expérience des activités professionnelles, non salariées et bénévoles (article 134).

Selon l’INSEE228, la valeur monétaire du bénévolat est estimée à 1 % du PIB (p.49) et « que la ressource bénévole se monte à 1,3 milliard d’heures par an en 2002, soit environ 820 000 emplois ETP » (p.40).

223 Il peut néanmoins recevoir des remboursements de frais de missions qui constituent des défraiements (transport,

hébergement, achat de matériel…).

224 Gaxie (Daniel), « Économie des partis et rétributions du militantisme », in Revue française de science politique,

27ᵉ année, n°1, 1977, pp. 123-154 www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393715

225 www.cotravaux.org/-Observatoire-

226 Bazin (Cécile), Malet (Jacques), dir, La France Bénévole en 2014, 11e édition mai 2014,

www.recherches-solidarites.org/media/uploads/la-france-benevole-2014.pdf

227 France Bénévolat, La situation du bénévolat en France en 2013, juin 2013, 17 p.

www.francebenevolat.org/uploads/documents/3e656ec9e424ae9e724ba0187045eb04c5da478b.pdf

228 Prouteau (Lionel), Wolff (François-Charles), « Le travail bénévole : un essai de quantification et de valorisation »,

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En ce qui concerne le tissu associatif marocain, le nombre de bénévoles marocains est peu connu. L’étude réalisée par l’association marocaine Carrefour Associatif (2010, p.29) renseigne néanmoins sur les profils de bénévoles. Parmi les bénévoles seniors, on distingue « les bénévoles actifs » (engagés de manière permanente), « les bénévoles occasionnels » qui participent à des actions périodiques, et « les bénévoles événementiels » qui ne participent qu’à des événements médiatiques. Nous avons pu observer qu’il s’agit généralement d’une pratique de personnes établies professionnellement et plutôt âgées. Quant aux jeunes bénévoles moins nombreux que les séniors, ces derniers s’engagent dans des actions ponctuelles et ciblées « dans un bénévolat de mission » (p.29), à plein temps pour une durée donnée et qui leur procure des formations ou des réseaux/expériences/informations pour un emploi. Ce sont des profils similaires qu’on retrouve dans la littérature sur le bénévolat en France à savoir occasionnels, actifs, acharnés.

Pour caractériser les pratiques de bénévolat que nous avons observées lors de notre enquête de terrain, nous avons repris la comparaison effectuée par Ferrand-Bechmann (2000) qui s’appuie sur l’analyse faite par Simmel, à savoir que les individualistes modernes sont comme des aventuriers, des entrepreneurs : « nous retrouvons les bénévoles dans ces entrepreneurs des temps

modernes. » (p.58). L’analyse montre d’une part, que les bénévoles interviewés ont la

particularité de créer leurs activités bénévoles sans répondre à aucune offre de bénévolat; et que d’autre part, ces actions bénévoles ne sont pas inclues dans des actions d’aide institutionnelle. Pour le champ associatif, ces usages du bénévolat font donc partie du hors cadre. La spécificité de ce type de pratique est la recherche et la mise en œuvre d’actions bénévoles qui les intéressent en dehors du cadre classique d’intervention des associations. Cette tendance au hors cadre est également confirmée au sein du bénévolat en France (Enquête sur le bénévolat229, 2013). Le hors

cadre est peu étudié et valorisé par le champ associatif et les pouvoirs publics tout en étant attentifs à son développement. De par son mode d’organisation et de réalisation, il est difficilement repérable et accessible.

Ces pratiques bénévoles informelles qui sont peu ou pas du tout insérées dans une organisation réussissent à mener à bien des actions de solidarité à l’international et mettent en concurrence les activités formalisées et coordonnées par les ONG de solidarité internationale. D’ailleurs, le système de reconnaissance et de valorisation mis en place par les pouvoirs publics ne concerne que le bénévolat inscrit dans une association. Cette exclusion participe à la relégation du bénévolat informel alors que paradoxalement les pouvoirs publics et les acteurs associatifs ne cessent d’encenser les principes d’engagement et les initiatives personnelles. D’ailleurs, la définition du hors cadre est objet de lutte au sein du champ associatif entre l’action bénévole institutionnelle et le bénévolat direct sans l’entremise d’une association.

229 p. 3 « En témoigne l’augmentation du nombre d’actions bénévoles conduites hors du cadre associatif.», in Bazin

(Cécile), Malet (Jacques), dir, La France Bénévole en 2014, sous la direction de, 11e édition mai 2014,

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Nous détaillerons les pratiques et les profils de ces bénévoles dans le troisième chapitre de la première partie de cette thèse.

A présent, nous allons analyser la catégorie des salariés et montrer l’hétérogénéité des pratiques salariales dans les ONG internationales de développement. Notre échantillon est composé de 28 acteurs humanitaires en activité, soit 41 % du personnel interviewé. Nous nous sommes également entretenus avec deux anciens salariés qui avaient quitté le secteur humanitaire de développement.