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5 Contrastivité des formations agentives

5.2 Typologie de la composition

Guevara & Scalise (2004) examinent des composés comportant un verbe en italien et en néerlandais dans une perspective formelle et sémantique. Les différences formelles entre les deux langues — romane et germanique

respectivement — sont à décrire en termes de typologie des composés.119

C’est, selon eux, un sujet presque inexistant dans la littérature morphologique. Ils signalent toutefois les travaux de Snyder (1995, 2001), de Piera (1995) et de Bauer (2001a).

Guevara & Scalise (2004:3) remarquent que d’un point de vue logique ou formel, le processus de composition dans deux langues peut être comparé selon :

56)

a) la catégorie lexicale des constituants d’input ;

b) les combinaisons possibles des constituants lexicaux, c’est-à-dire les structures possibles ;

c) la position de la tête ;

d) la catégorie lexicale de l’output.

Guevara & Scalise (2004:5) estiment qu’en italien et en néerlandais, la composition est une formation des mots productive comportant les catégories lexicales N, V, A, Adv et P (notons l’inclusion de P parmi les classes lexicales). Selon eux, la sémantique des composés comportant un verbe est similaire dans ces langues, alors qu’à chaque structure attestée dans une des langues, il n’y a pas de correspondance exacte dans l’autre langue. Ainsi, ce sont presque les mêmes SLC qui sont réalisées par des configurations structurelles différentes. Lorsqu’il y a des structures parallèles, les ressemblances ne seraient que superficielles. Ils (2004:5) prennent comme exemple le type [VN]N,attesté dans les deux langues, mais différant quant à la position de la tête : en néerlandais, le V est un modifieur du N tête, alors qu’en italien, le N est l’argument interne du V tête.120 Cette divergence purement formelle pourrait, selon eux, être expliquée par une distinction typologique. Guevara & Scalise (2004:9) partent de l’idée que les constituants des composés comportant un verbe n’expriment une relation argumentale qu’au cas où le constituant verbal se trouve en position tête et où le constituant non-tête est un N. Si la non-tête est un A ou un Adv, l’interprétation argumentale serait plus difficile (2004:10), même s’ils admettent qu’une interprétation d’adjoint serait possible. Dans le composé italien [VAdv], le second constituant pourrait être interprété comme un adjoint (ibid.). Notons que Guevara & Scalise (2004:13) envisagent la possibilité que les adjoints acceptés par un V soient représentés dans sa SLC, ce qui expliquerait leur réalisation dans des composés comportant un verbe.

119 Guevara & Scalise (2004:13-14) comparent aussi brièvement l’espagnol avec l’anglais dans l’objectif de confirmer qu’il est question des différences typologiques entre deux familles de langues.

120 Selon Guevara & Scalise (2004), le composé italien [VN] est endocentrique : le V contient un suffixe nominal vide, suivant entre autres Bisetto (1994) (cf. 31 dans 4.2.2), alors que, selon Scalise & Guevara (2006), le composé [VN] est exocentrique.

C’est donc la démarche que nous avons choisie pour notre travail (cf. aussi ch. 4 et en particulier 4.5).

Les composés comportant un verbe en néerlandais manifestent selon Guevara & Scalise (2004:9) des relations sémantiques plus variées que ceux de l’italien. Ceux-ci basent leur analyse sur la classification faite par de Haas & Trommelen (1993), qui reconnaissent huit relations primaires : Sujet, Objet Direct, But, Cause, Location, Temps, Instrument et Comparaison. La classification est soumise à des critères sémantiques et syntaxiques qui ne sont pas mutuellement exclusifs (cf. de Haas & Trommelen 1993: 366-68). La relation sémantique la plus fréquente est Objet Direct (N est l’argument interne V). Les autres relations ont une productivité plus limitée.121 Guevara & Scalise (2004:10) observent que la relation interprétée comme tenant entre Sujet (argument externe) et verbe intransitif (prijsstijging ‘hausse de prix’) est fréquente dans les composés néerlandais, mais n’apparaît qu’occasionnellement en italien. Par contre, lorsque le constituant verbal est en position non-tête, la tête est soit un A soit un N, et il n’y aurait pas de relation argumentale entre les constituants des composés néerlandais, toujours selon Guevara & Scalise (ibid.). Or, ils (2004:10-11) remarquent que de Haas & Trommelen (1993) semblent supposer l’existence d’une relation argumentale entre les constituants lorsque la tête est un N et la non-tête un V. Guevara & Scalise (2004:11) admettent aussi que dans de tels cas on peut observer des relations sémantiques qui ressemblent à des relations argumentales, mais que ceci ne confirme pas automatiquement l’existence d’une sélection qui va de la non-tête à la non-tête.

Dans une autre étude, Scalise & Guevara (2006) examinent l’exocentricité des composés dans une perspective typologique et comparative.122 Selon eux (2006:189) également, seul le constituant tête d’un composé endocentrique sélectionne le constituant non-tête. Pourtant, ils admettent (2006:190) que dans un composé exocentrique (cf. n. 120), comme portalettere, le constituant verbal semble sélectionner l’autre constituant. Selon nous, cette incohérence théorique de Scalise & Guevara (2004, 2006) met en question la pertinence de la notion de tête morphologique ; les composés de type [VN]N/A étant tantôt endocentriques (Guevara & Scalise 2004) tantôt exocentriques (Scalise & Guevara 2006).

121 Guevara & Scalise proposent la généralisation suivante : « any structural type of Vcompound in Dutch can express a semantic relation such as Location, Time, etc., if and only if it expresses also ‘N is internal argument of V’ » (2004:9), qui prévoit une hiérarchie parmi les associations sémantiques : la relation la plus pertinente quantitativement, l’est aussi qualitativement.

122 Les langues en question sont le chinois (isolant), l’italien et le néerlandais (flexionnels ; la tête du composé italien est à gauche, mais à droite en néerlandais), selon Scalise & Guevara (ibid.).

Ayant montré que les composés néerlandais comportant un verbe expriment en général des relations sémantiques plus variées que les composés italiens comportant un verbe, Guevara & Scalise (2004:17-18) avancent l’hypothèse, tentative, que la sémantique et la structure des composés comportant un verbe seraient liées à l’ordre des mots : le néerlandais accepte des arguments internes (O) ou externes (S) qui apparaissent avant le V, en accord avec son ordre SO-V ; par contre, l’italien n’admet que les arguments internes (O) après le V, en accord avec son ordre SV-O. Soulignons que selon notre cadre théorique, l’ordre des constituants des composés ne peut être expliqué en termes de typologie syntaxique, mais doit nécessairement être expliqué en ce que les règles morphologiques conjoignant des lexèmes ne sont pas les mêmes. En outre, soulignons que le suédois manifeste l’ordre SO-V, donc le même ordre que celui du français. Nous n’estimons pas non plus que la tête morphologique soit opératoire dans la composition, même si cette notion peut être assez facilement appliquée aux composés suédois. En nous débarrassant de la notion de tête, nous allons examiner la possibilité d’un élargissement de la sélection sémantique entre les constituants d’un composé comportant un verbe. Notre hypothèse de départ pose que le patron sémantique d’un composé dont l’un des constituants est verbal doit englober l’événement que décrit le prédicat qui y entre, quelle que soit la position du constituant verbal.