• Aucun résultat trouvé

L’appartenance catégorielle, le genre et le nombre du

3 Les composés français : définition et délimitation

4.1 Données introductives

4.1.1 L’appartenance catégorielle, le genre et le nombre du

composé [VN/A/Adv/P]

N/A

La plupart des composés [VN/A/Adv/P]N/A sont des noms, mais apparaissent parfois en position adjectivale. Selon Villoing (2001, 2002:11, n. 1), le glissement du N à A est régulier, et dépend parfois du contexte syntaxique. Dans ce travail, le statut catégoriel des composés [VN/A/Adv/P]N/A ne sera pas considéré. Nous fondons cette décision sur le fait qu’il n’existe pas d’arguments indépendants qui prévoient que des composés figurant en position adjectivale soient des adjectifs, à l’exception de leur fonction de modifieur. Ils résistent aux tests classiques utilisés pour reconnaître des adjectifs, comme la position prédicative et le modifieur quantitatif (predicate

position, degree modifier, etc.) (cf. Siegel 1976, Wasow 1977). Il semble

donc plus logique de dire que certaines rares formations de ces composés ne figurent qu’en position X dans une structure de type [SN Dét [N’ N X]], et qu’il n’est pas nécessaire de supposer un changement d’appartenance catégorielle.70 Villoing estime, comme nous le faisons aussi, que « [l]'interprétation qualifiante liée aux [VN]adj met en jeu les mêmes classes du type objet (instrument : un bateau porte-avion, humain : un garçon

casse-cou, …) auxquels s'ajoutent les lieux (une ruelle coupe-gorge) » (2001:3).

Mentionnons à ce propos que selon Darmesteter (1967:216-217 [1875]), Ronsard, dans la Pléiade du 16e siècle, tend à utiliser ce composé surtout comme épithète : la Mort mangetout (nous avons tiré cet exemple du TLFi).

Quant au genre, les composés [VN/A/Adv/P]N/A de l’espagnol, du français, de l’italien et du roumain sont exclusivement masculins, ce qui,

70 Le TLFi liste porte-laine, en parlant d’un mouton, comme A, mais selon Villoing (2002:362), ce composé est aussi classé comme N, désignant une plante, dans Grand Larousse de la langue française (1971-1986).

selon Surridge (1985:267-270) et Barbaud (1992:208), s’explique par le fait que le genre est directement déterminé par la structure du composé. Surridge (1985:260) y voit une « tendance diachronique masculinisante » en français. Signalons que le genre masculin correspond au genre neutre ou non marqué71

dans les langues romanes.72

Giurescu (1975:20) remarque que les études générales sur la linguistique romane s’intéressent surtout au comportement morphologique des composés. Plus particulièrement, elles traitent de la formation irrégulière du pluriel des noms et des adjectifs composés en dressant des listes pleines d’exceptions. Elle (1975:42) note aussi que les composés, dont la majorité appartient à la catégorie nominale dans les langues romanes, sont souvent invariables en français. Il importe ici de noter que la plupart des composés ignorent, dans le code parlé du français, la réalisation du nombre, qui n’est pertinente que pour le code écrit (Giurescu 1975:43, n. 49).

Selon Giorgi & Longobardi (1991:247-248), la constatation que la tête des composés romans occupe la position initiale entre en conflit avec deux tendances générales qui existent dans toutes les langues indo-européennes. La première tendance implique que les traits flexionnels (genre, nombre) d’un composé doivent être représentés sur son constituant tête. En revanche, la deuxième tendance envisage que les traits flexionnels d’un mot soient réalisés à sa position finale (cf. salades-santé mais armchairs).73 Or, Corbin (1992:48) estime que le fait que le premier constituant dans timbres-poste est un hyperonyme du composé peut, sémantiquement, expliquer la flexion interne et qu’il serait par conséquent plus facile de rendre compte de la relation entre lexique et flexion que de traiter syntaxiquement de

timbre-poste.

Anderson (1982) (cf. Scalise & Guevara 2005:27) définit la flexion comme cette partie de la morphologie qui est pertinente pour la syntaxe en

71 Selon Waugh & Lafford (2000:272-273), la notion de « markedness » était d’abord appliquée à la phonologie par le cercle de Prague pendant les années 1930, mais son application s’est rapidement étendue à la morphologie. Plusieurs phénomènes morphologiques ont tendance à se manifester comme des oppositions binaires, p.ex. singulier-pluriel, masculin-féminin, actif-passif, présent-passé, etc. Typiquement, il existe une asymétrie entre les deux pôles ; l’un est souvent plus spécialisé, plus précis, plus restreint et plus complexe, i.e. marqué, que l’autre plus général, i.e. non marqué. À titre d’exemple, dans les dictionnaires français, les adjectifs sont listés au masculin singulier, la forme non marquée. Voir Waugh & Lafford (2000) pour une discussion de la complexité et de la problématique que présente la notion de markedness.

72 Selon l’étude minutieuse de Darmesteter (1967:230-233 [1875]), qui a consulté nombre de dictionnaires, tous les composés [VN]N dont le second constituant est un argument interne sont masculins ou autrement dit neutres. Les rares exceptions, p.ex. garde-robe, s’expliquent soit par le fait que leurs éléments sont soudés et que conséquemment, ils prennent le genre de leur terminaison, soit parce que ce sont des adjectifs qui s’accordent avec les noms auxquels ils se rapportent, p.ex. (la fauvette) croque-abeille.

73 D’après Selkirk (1982:77), il est universellement attesté que les flexions ne font pas changer l’appartenance catégorielle du mot auquel elles s’attachent, ce qui supporte l’opinion que les flexions ne sont pas des têtes.

réalisant les traits morpho-syntaxiques d’un mot selon son contexte syntaxique. Anderson, qui adhère à une version faible du lexicalisme, pose que les règles de la morphologie flexionnelle s’appliquent après la syntaxe et se mélangent aux règles phonologiques. Les approches morphologiques à base de réalisation (cf. Anderson 1992, Stump 2001) continuent, selon Scalise & Guevara (2005:27, n. 30), la dissociation entre règles flexionnelles, regardant les mots flexionnels, et règles dérivationnelles/constructionnelles regardant les lexèmes (cf. 2.1.1). Selon Scalise & Guevara (2005:27-28), les linguistes qui adhèrent au lexicalisme strict estiment que la flexion et la dérivation sont une même opération, l’affixation : la distinction entre les deux est expliquée en termes d’ordering (p. ex. Kiparsky 1982, 1983). Une conséquence de cette dernière approche est, selon Scalise & Guevara (ibid.), que le lexique, outre des règles de formations des mots, doit aussi comprendre des règles phonologiques. Les règles flexionnelles sont assignées à un niveau ultérieur aux règles de composition et de dérivation, ce qui explique pourquoi la flexion normalement apparaît à l’extérieur de la dérivation. Afin d’échapper à la problématique qu’implique la flexion pour ces deux approches, Booij (1996, 2002:19-20), (cf. Scalise & Guevara 2005:28) propose un modèle alternatif qui comprend deux types de flexion : la flexion inhérente, qui ajoute des propriétés morpho-syntaxiques d’une valeur sémantique indépendante au thème du lexème, et la flexion contextuelle, contrainte par le contexte syntaxique, mais qui n’ajoute pas d’information. La flexion inhérente permet d’expliquer pourquoi le N des composés [VN/A/Adv/P]N/A manifeste parfois une forme plurielle (cf. 22b), qui n’est donc pas dictée par la syntaxe mais par la morphologie, même si le composé est au singulier (cf. aussi Villoing 2002:149-150).

Dans notre étude, la flexion, c.-à-d. le nombre, est supposée être insérée après la composition. Ceci ne veut pas dire que nous acceptons le modèle à plusieurs niveaux de Kiparsky (1982, 1983) ou The Level-Ordering Model de Scalise (1986) qui s’est avéré problématique (voir p. ex. Booij 1987). Au contraire, nous suivrons l’approche à base de réalisation, et plus particulièrement The Head-Marking Strategy (cf. Stump 1995, 2001).74

Suivant le modèle élaboré par Stump (2001), il y trois patrons de flexion : marquage de tête, marquage externe et marquage double (voir Stump 2001:96-137 pour plus de détails). Les trois patrons sont valables pour les composés français : le marquage double semble cependant en règle générale être le patron par défaut (voir Rosenberg 2007). En ce qui concerne les composés [VN/A/Adv/P]N/A, le pluriel correspond soit à un marquage externe :

74 Stump définit la relation de tête comme suit : « b[ase] is the head of a morphological expression d[erivative or compound] if and only if d arises from b through the application of a category-preserving rule. » (2001:100)

21) [VinvNsg]pl : un garde-fou/des garde-fous soit à un pluriel qui n’est pas ouvertement réalisé : 22) [VinvNsg/pl]ø :

a) un porte-parole/des porte-parole b) un compte-tours/des compte-tours

Dans (22b), le second nom est au pluriel, même si le composé est au singulier. Ni le genre ni le nombre du second constituant nominal ne sont donc reflétés dans le composé entier.

Nous pouvons ainsi constater que, au cas où ces composés manifestent une marque plurielle, celle-ci est externe.75 Selon une approche qui accepte la notion de tête morphologique, les composés [VN/A/Adv/P]N/A, exocentriques, pourraient être considérés comme suivant la deuxième tendance remarquée par Giorgi & Longobardi (1991) en manifestant un pluriel final. Par ailleurs, Rainer & Varela (1992:130) mentionnent que dans des composés [VN] espagnols, le pluriel interne du second constituant (cf. 22b) semble s’étendre même aux cas où sa présence donnera un résultat sémantiquement déviant, par exemple quitapelos ‘coiffeur’ (un exemple français serait crève-cœurs), ainsi ce -s final peut finir par devenir un élément d’enchaînement vide.

Dans quelques rares cas, on donne aux composés deux formes plurielles, dont l’une met le constituant verbal au pluriel :

23) un appuie-/appui-tête ; des appuie-/appuis-tête

24) un (une) garde-barrière ; des garde-/gardes-barrière(s)76

Les exemples (21-24) montrent donc toute la complexité que présente le marquage du genre et du nombre dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A.77 Le fait que le -s pluriel soit réalisé sur l’élément verbal peut signaler soit que le premier constituant est à considérer comme un nom déverbal (cf. 23), soit que le composé désigne un agent humain, (cf. 24). Surridge (1985:256-257) remarque aussi que, lorsque le composé [VN]N désigne un être humain, son

75 Selon Selkirk (1983:55-56), la flexion plurielle anglaise permet deux analyses : elle est marquée soit sur le composé entier, soit sur l’élément tête à droite. Ces deux analyses ne sont pas possibles pour les composés français.

76 Remarquons que l’élément verbal prend une marque du pluriel à la manière d’un nom déverbal, et non pas à la manière d’un verbe : *gardent-barrières, *gardez-barrières.

77 Pour simplifier la formation plurielle de ces composés français, une commission des linguistes et des lexicographes a élaboré une règle fondée sur l’usage classique, observé jusqu’à la fin du 18e siècle. Conformément à cette règle, le pluriel s’attache au second constituant du composé « quand et seulement quand le composé lui-même est au pluriel » : un couvre-lit, des couvre-lits (Grevisse 1993:811).

genre peut varier selon le sexe de l’être visé.78 Quant aux deux orthographes

appui-/appuie-, Villoing (2002:275-276) montre qu’il est, sans aucun doute,

question d’un élément verbal ici ; elle pose que « cette variation orthographique relève d’un leurre » (2002:276). En nous appuyant sur Darmesteter (1967:222 [1875]), qui fait allusion à l’importance d’un système adéquat, en disant qu’il n’y a aucune raison de considérer garde- comme tantôt un verbe tantôt un nom, et sur l’analyse conduite par Villoing (2002:267-270) (cf. 4.1.2), nous rangerons les unités en garde- parmi les composés [VN/A/Adv/P]N/A.

4.1.2 Composés ambigus dans lesquels le statut du premier