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7 Synchronie et hiérarchie d’Agent

7.1 Introduction .1 Objectif

Notre objectif principal est ici d’examiner, dans une perspective synchronique, la structure sémantique de la composition [VN/A/Adv/P]N/A et celles des dérivations V-ant, V-eur et V-oir(e) afin de remettre en question le postulat d’une structure hiérarchique passe-partout, ayant l’Agent en tête et capable de rendre compte de la structure sémantique des noms d’agent.

Rappelons que la structure hiérarchique de la polysémie d’agent (cf. 59, 6.1), proposée entre autres par Dressler (1986), Devos & Taeldeman (2004) et Sleeman & Verheugd (2004) et qui aurait l’Agent au premier rang, rendrait compte de la fréquence relative de sens des noms d’agent.

7.1.2 La productivité délimitant le corpus

Il importe ici de revenir à la notion complexe de productivité pour en préciser comment elle sert à délimiter les données (cf. 2.5). Rappelons que les deux notions de Corbin (1987:42, 177) sont importantes au sujet de la productivité, mais également pour ce travail : la rentabilité, c’est-à-dire le nombre de lexèmes attestés issus d’un procédé de construction, approche quantitative143, et la disponibilité, qui se base sur la capacité à construire des mots nouveaux, approche qualitative144. La rentabilité se rapporte aux mots établis, dont il sera question dans les analyses du présent chapitre, ainsi que du suivant. La disponibilité se rapporte aux mots existants145, dont il a été question dans les analyses des chapitres 4 et 5. Selon Bauer (2001b:36), un mot existe à partir du moment où il est créé, alors qu’il est établi quand il fait partie de la norme et, par là, jugé pertinent pour entrer dans un dictionnaire (dans notre cas dans le TLFi). La notion de rentabilité, qui est peut-être la plus maîtrisable pour une recherche sur la productivité, est donc choisie ici.

7.1.3 Les données synchroniques

Nos données consistent en 1143 composés [VN/A/Adv/P]N/A tirés du TLFi. De ces 1143 composés, sept correspondent à des adverbes et seront donc exclus de ces analyses (par exemple d’arrache-pied et à brûle-pourpoint). Pour onze autres composés, aucun sens n’est donné dans le TLFi, de sorte que nous les avons aussi exclus. En effet, notons que le TLFi n’est pas entièrement conséquent en ce qui concerne les informations fournies pour chaque unité linguistique. Par exemple, sous l’entrée attrape- (considéré comme « élément préf.146 tiré de attraper ») sont listés entre autres

attrape-marteau* et attrape-mouches*. L’astérisque renvoie dans ce dictionnaire à

une entrée particulière. Or, le premier composé, attrape-marteau, ne figure pas à l’entrée et n’a donc pas d’explication sémantique. De même, au sujet des deux composés cache-noisette et cache-pape trouvés sous l’entrée

cache- (« élément préf. »), le TLFi mentionne : « Noter les créations iron. de

J. Prévert […] (Paroles, La Crosse en l'air, 1946, p. 136) » ; leur sens n’est ainsi pas indiqué (cf. aussi 8.1.2). Il nous reste donc 1125 composés qui ont reçu une classification sémantique et par là entrent dans nos résultats. Dans

143 « Utilisée de façon brute, elle confond en outre productions présente et passée » (Dal 2003:10).

144 Comme le note Dal, une approche visant à la disponibilité peut aboutir à des résultats trompeurs : « la découverte d’une seule unité lexicale construite ne figurant pas dans les dictionnaires suffit pour décréter productif en synchronie le procédé qui l’a formée » (2003:11).

145 Les mots existants sont ici envisagés comme un sous-ensemble des mots possibles, mais ils ne sont pas nécessairement construits, selon Dal (2003:13). Rappelons aussi les hapax (qui peuvent être des erreurs) et les néologismes.

nos données synchroniques sont aussi inclus 89 dérivés V-ant, 145 dérivés V-eur et 79 dérivés V-oir(e), listés dans le TLFi et comportant un verbe type qui entre aussi dans un de ces composés [VN/A/Adv/P]N/A. La raison pour laquelle nous restreignons de cette manière le nombre de dérivés est dû au fait que notre but est d’examiner la concurrence potentielle entre la structure sémantique des composés et des dérivés basés sur un même verbe (cf. 6.2 et 6.3). En fait, il est question de 164 verbes types qui entrent dans le total des 1143 composés attestés dans le TLFi, mais tous n’ont pas des dérivés en -ant, -eur et -oir(e) établis dans ce dictionnaire. Cependant, en cherchant sur

Google, nous avons pu attester ces dérivés, par exemple (un) *trinquant,

*engouleur ou *serroir, mais ils sont quand même exclus de cette étude parce qu’ils ne sont pas considérés comme établis. Par surcroît, ces occurrences googliennes montrent la disponibilité de la dérivation en -ant, -eur et -oir(e). Nous avons déjà constaté que la composition [VN/A/Adv/P]N/A est disponible (cf. ch. 4). Une attestation récente trouvée sur Google est par exemple ferme-portes, qui n’entre pas dans le TLFi (celui-ci n’enregistre aucun composé [VN/A/Adv/P]N/A en ferme-).

7.1.4 Précisions méthodologiques : traits distinctifs et

classificatoires

Dans nos analyses synchroniques et diachroniques qui portent sur la polysémie d’agent, nous utilisons en premier lieu les sens dénotatifs suivants, présentés sans ordre hiérarchique :

64) Agent — Instrument — Locatif — Action — Résultat

Cette classification se base sur les sens dénotatifs liés aux patrons sémantiques proposés pour les composés [VN/A/Adv/P]NA dans le chapitre 4.147 Signalons cependant que les deux patrons d’Objet et de Cause sont exclus de nos analyses suivantes, car ils sont peu rentables. Celui d’Objet ne vaut que pour quatre composés comportant un argument externe, et nous avons déjà constaté que son statut reste en question (cf. 4.8). Pour ce qui est du patron de Cause qui ne vaut que pour quatre composés attestés dans le

TLFi, rappelons que nous l’avons distingué en deux types : Causeinstrumentale et Causeagentive (cf. 4.8). De ce fait, dans nos analyses qui suivent, le premier type a été classé comme Instrument, et le deuxième comme Agent. Nous estimons que cette décision est aussi la plus plausible pour les dérivés, parce que les sens agentifs de ceux-ci contiennent, à notre avis, souvent aussi un sens causatif, qui est difficile à séparer du sens agentif. Dans nos analyses,

147 Le sens noté Source/Origine par Dressler (1986) n’y entre pas, vu que nous n’avons pas trouvé de patron pour ce sens parmi les composés [VN/A/Adv/P]N/A. Il pourrait éventuellement être exemplifié par levant, ‘pays qui sont au levant’.

nous allons également distinguer entre différents types d’Agent : Humains, Animaux, Végétaux et Impersonnels (cf. 60, dans 6.1).

Précisons que, dans notre classification des composés et des dérivés, nous ne ferons pas de distinction entre noms et adjectifs ; c’est-à-dire qu’un adjectif peut, à l’instar du nom, se classer comme Instrument, tel que gilet

pare-balles, ou Agent, tel que domestique casseuse (cf. 4.1.1 pour les raisons

de cette décision). Toutefois, nous ne négligeons pas la pertinence de cette distinction, qui donne parfois lieu à des cas difficiles à classer, en particulier pour ce qui est des dérivés V-ant.

Finalement, soulignons avec insistance la présence de cas limites dont le classement peut prêter â discussion. Néanmoins, nous jugeons que nos données sont suffisamment riches en contenu pour permettre d’arriver à des résultats fiables. Soulignons aussi que nos résultats pour les composés [VN/A/Adv/P]N/A sont beaucoup plus exhaustifs, parce qu’ils englobent tous les composés de ce type que nous avons pu localiser dans le TLFi, que pour les dérivés, strictement limités à ceux établis dans le TLFi et étant basés sur un verbe qui entre aussi dans un des composés. Ces derniers résultats sont, comme déjà dit, donnés dans un but complémentaire aux résultats obtenus pour les composés.

7.2 Résultats synchroniques portant sur la hiérarchie