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Troubles de l’humeur et troubles anxieux

du sujet âgé

2.1. Troubles de l’humeur et troubles anxieux

2.1.1.

Épidémiologie

Le trouble dépressif caractérisé est une pathologie fréquente chez le sujet âgé. En population générale, on estime que 1 à 4 % des personnes âgées de plus de 65 ans souffrent d’un épisode dépressif caractérisé (EDC).

Contrairement à une idée reçue, l’âge n’est pas en soi un facteur de risque de dépression. Il n’est donc pas normal de « souffrir et d’être triste quand on vieillit ». Néanmoins, plusieurs facteurs de risque d’EDC se retrouvent préférentiellement chez la personne âgée :

* les pathologies non-psychiatriques ;

* la perte d’autonomie ;

* les événements de vie stressants (décès de proches, du conjoint, changement de lieu de vie, notamment l’entrée en institution).

Les patients âgés sont exposés ainsi à une sommation de facteurs de stress et de facteurs rédui-sant les stratégies d’ajustement (cf. Item 01). Les connaître permet de prévoir le risque d’EDC et d’en assurer le dépistage précoce (cf. Item 58).

En pratique

La prévalence des symptômes dépressifs considérés comme cliniquement significatifs est estimée à plus de 10 % chez le sujet âgé. En outre, la plupart des patients âgés dépressifs ne répondent pas aux critères d’EDC alors même qu’ils souffrent de symptômes dépressifs invalidants dont il a été montré qu’ils augmentent la morbi-mortalité et altèrent le pronostic fonctionnel et la qualité de vie. Il est possible que cette contradiction soit le fait d’un biais méthodolo-gique lié à l’atypie symptomatique de l’épisode dépressif du sujet âgé rendant son diagnostic standardisé plus délicat (mauvaise adaptation des critères aux particularités sémiologiques du sujet âgé).

De surcroît, les études épidémiologiques tendent à montrer que l’épisode dépressif du sujet âgé n’est pas toujours bien identifié, avec près de 50 % des sujets âgés dépressifs qui ne seraient pas diagnostiqués et donc non traités. Enfin, les résidents des EHPAD sont particulièrement exposés au risque de dépression, avec près de 15 % d’entre eux qui souffriraient d’un EDC et 35 % qui présenteraient des symptômes dépressifs.

En population générale, la prévalence des troubles anxieux du sujet âgé est évaluée à plus de 10 %, le trouble anxieux généralisé et les phobies étant les plus fréquents.

Il y a peu de données concernant le trouble bipolaire, mais il s’agirait d’une pathologie un peu moins fréquente chez le sujet âgé, du fait de l’effet « cohorte » (mortalité prématurée par suicide ou comorbidités non-psychiatriques des patients bipolaires).

2.1.2.

Sémiologie

2.1.2.1.

L’épisode dépressif caractérisé

Les critères diagnostiques de l’EDC du sujet âgé sont les mêmes que pour le sujet jeune (cf. Item 64).

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* le risque suicidaire est élevé, les sujets âgés représentant la tranche de la population la plus exposée au risque suicidaire (cf. Item 348) ;

* Le ratio tentatives de suicide/suicides est beaucoup plus faible chez les sujets âgés (4/1) que chez les adolescents (200/1) ou qu’en population générale (20/1), ce qui signifie que quand il passe à l’acte, le sujet âgé a une probabilité beaucoup plus élevée d’en mourir. Ainsi, tout EDC et/

ou toute évocation d’idées suicidaires doit conduire à une évaluation fine du risque de passage à l’acte suicidaire ;

* un EDC du sujet âgé peut s’exprimer cliniquement par des symptômes qui ne font pas évoquer de manière évidente un syndrome dépressif. Le motif de consultation n’est en effet pas une humeur dépressive, mais des symptômes généraux d’allure non-psychiatrique, le plus souvent : des mani-festations gastro-intestinales, ostéo-articulaires, des troubles du sommeil, de l’appétit, des plaintes mnésiques ;

* les symptômes psychotiques ne sont pas rares dans l’EDC du sujet âgé et sont, le plus souvent, des idées de préjudice, de persécution, de jalousie, de culpabilité, du registre hypocondriaque ou un syndrome de Cotard ;

* les symptômes dépressifs sont souvent associés à des pathologies non-psychiatriques chez le sujet âgé. Cette association est bidirectionnelle, c’est-à-dire que certaines pathologies non-psy-chiatriques (principalement les maladies neurodégénératives et les maladies cardiovasculaires) augmentent le risque de développer un EDC, et qu’à l’inverse un EDC augmente le risque de surve-nue ou d’aggravation de certaines pathologies non-psychiatriques ;

* l’EDC de début tardif (1er épisode après 65 ans) est associé à davantage de troubles cognitifs, d’anomalies à l’imagerie cérébrale et à un risque plus élevé d’évolution vers une maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées.

Un EDC du sujet âgé doit être suspecté et dépisté devant une plainte d’allure dépressive mais aussi devant des symptômes généraux d’allure non-psychiatriques.

Les signes d’appel les plus fréquents rapportés par le patient et/ou son entourage sont les suivants :

* plaintes médicales d’allure non-psychiatrique (douleurs gastro-intestinales, articulaires…) ;

* plainte anxieuse ;

* plainte mnésique ;

* difficultés de concentration ;

* insomnie ;

* perte d’appétit ;

* amaigrissement ;

* asthénie ;

* désintérêt pour les activités habituelles ;

* irritabilité ;

* changement de comportement.

Devant ces signes d’appel, la meilleure façon de dépister un EDC est d’interroger le patient sur :

* la tristesse qu’il peut ressentir ;

* ses idées de dévalorisation, de découragement, de mort ;

* ses idées suicidaires ;

* ses pertes récentes d’intérêt et de plaisir.

139 Il existe peu de spécificités cliniques liées à l’âge pour les troubles anxieux qui répondent aux

mêmes critères diagnostiques chez le sujet âgé que chez le sujet plus jeune (cf. Item 64). Le trouble panique est plus rare chez le sujet âgé et, comme chez l’adulte jeune, ne doit pas faire méconnaître une pathologie non-psychiatrique sous-jacente (syndrome coronarien, trouble du rythme cardiaque, embolie pulmonaire…).

2.1.2.3.

Les troubles bipolaires et dépressifs récurrents

L’EDC du sujet âgé peut s’inscrire dans le cadre d’un trouble bipolaire ou d’un trouble dépressif récurrent. Ainsi, 15 à 20 % des troubles bipolaires sont diagnostiqués après 55 ans. Comme chez l’adulte jeune, la prise en charge n’est pas la même en cas d’EDC isolé ou en cas de trouble uni ou bipolaire (cf. Item 64). La présentation clinique du trouble bipolaire du sujet âgé diffère peu de celle de l’adulte jeune.

En pratique

Dépression mineure/subsyndromique, dysthymie et trouble de l’adaptation

La dépression mineure (ou subsyndromique) est fréquente chez le sujet âgé. Elle se caractérise par la présence de symp-tômes dépressifs invalidants mais en nombre insuffisant pour pouvoir poser le diagnostic d’épisode dépressif carac-térisé. La dépression mineure est une situation à risque d’évolution vers un épisode dépressif caractérisé et est en soi associée à un mauvais pronostic fonctionnel. Néanmoins, nous disposons de peu de données sur la façon de prendre en charge ce trouble.

Comme chez l’adulte jeune, la dysthymie correspond à une humeur dépressive chronique évoluant pendant au moins 2 ans, et le trouble de l’adaptation à une réaction émotionnelle (tristesse de l’humeur et/ou anxiété) à un stress iden-tifié. Il y a peu de spécificités de ces troubles chez le sujet âgé et ils doivent être évalués et pris en charge comme chez l’adulte non âgé (cf. Item 64).

2.1.3.

Diagnostic positif

Comme chez l’adulte jeune, le diagnostic d’EDC est retenu en utilisant les critères DSM/CIM (cf. Item 64).

Parallèlement, il faut caractériser l’EDC :

* en évaluant l’ancienneté des symptômes, en les situant par rapport à d’éventuels antécé-dents familiaux et personnels de troubles de l’humeur (épisode dépressif à début tardif ? trouble dépressif récurrent ? trouble bipolaire ?) ;

* en recherchant les comorbidités non-psychiatriques (douleurs, maladies cardiovasculaires, cancers, maladies neurologiques, neurodégénératives…) et psychiatriques (troubles anxieux, addictions, troubles de la personnalité…) ;

* en évaluant le contexte de vie du patient (décès du conjoint, de proches, isolement, difficultés financières, entrée en institution…).

Les éléments de gravité de l’EDC sont à rechercher, en premier lieu, par l’évaluation du risque suicidaire avec l’identification des facteurs de risque, de l’intentionnalité suicidaire et de la dangerosité des moyens envisagés (existence d’un scénario) (cf. Item 348).

Les symptômes délirants sont à évaluer (idées délirantes de persécution, d’incurie, de culpabilité, de ruine, syndrome de Cotard…).

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tonomie, dénutrition…).

Le trouble bipolaire et les troubles anxieux sont diagnostiqués selon les mêmes critères nosogra-phiques (DSM/CIM) que l’adulte jeune, en insistant sur la recherche des comorbidités médicales non-psychiatriques.

2.1.4.

Diagnostics différentiels

2.1.4.1.

Les pathologies médicales non-psychiatriques

Les diagnostics différentiels concernent d’abord les pathologies non-psychiatriques.

Les troubles ioniques, métaboliques, neurologiques et cardiovasculaires doivent être recherchés.

Un examen clinique complet est indispensable et orientera le bilan paraclinique éventuellement nécessaire.

Ce bilan peut ainsi comprendre selon les points d’appel : NFS, ionogramme sanguin, calcémie, albuminémie, TSH, vitamines B9-B12, ECG, imagerie cérébrale…

2.1.4.2.

Les troubles psychiatriques

Les diagnostics différentiels psychiatriques concernent principalement les troubles délirants (cf. infra) lorsque la symptomatologie dépressive comporte des symptômes psychotiques, les troubles somatoformes et les troubles de l’adaptation.

2.1.4.3.

La maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées

La maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées comprennent à la fois des symptômes cogni-tifs mais aussi des symptômes psychocomportementaux. Parmi ces derniers, il n’est pas toujours aisé de distinguer ceux qui relèvent d’un EDC de ceux qui relèvent du processus neurodégénératif (cf. infra). Par exemple, l’anhédonie (retrouvée dans un EDC) et l’apathie se confondent souvent, l’apathie étant principalement rencontrée dans les troubles neurocognitifs majeurs.

2.1.5.

Prise en charge psychiatrique

L’orientation du patient vers une prise en charge spécialisée se justifie notamment en cas d’élé-ments de gravité et/ou de symptômes sévères. L’orientation vers une hospitalisation, éventuel-lement sans consentement, peut se justifier en cas de symptômes dépressifs sévères ou graves mettant en jeu le pronostic fonctionnel et/ou vital. La prise en charge du risque suicidaire est souvent le motif principal d’hospitalisation.

Le choix du traitement du trouble de l’humeur ou du trouble anxieux dépend de la sévérité des symptômes. Dans tous les cas, un suivi et une réévaluation régulière sont nécessaires. Un soutien psychologique et une psychothérapie peuvent être proposés. L’adaptation du contexte de vie du patient, pour en limiter les éléments stressants et favoriser les facteurs protecteurs, est à envisager.

De nombreux médicaments (psychotropes, cardiotropes, antalgiques, anticancéreux, antihormo-naux…) favorisent la survenue de symptômes dépressifs et l’adaptation du traitement du patient peut limiter le risque iatrogène de syndrome dépressif induit.

Si les symptômes sont d’intensité légère, ces prises en charge peuvent permettre d’obtenir une rémission des symptômes en quelques semaines.

En cas de symptômes d’intensité modérée ou sévère, la prescription d’un traitement antidépres-seur se justifie, en privilégiant les inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRS) (cf. infra).

141 efficacité/tolérance est en effet un critère de choix encore plus important que chez le sujet plus

jeune. Dans les épisodes dépressifs caractérisés et les troubles anxieux, les médicaments de première intention sont les antidépresseurs sérotoninergiques : inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRS). Le traitement du trouble bipolaire du sujet âgé repose sur l’utilisation de thymo-régulateurs, en particulier sur le lithium (cf. infra).