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Trouble du spectre autistique

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Trajectoires développementales de l’attention conjointe

chez les enfants avec trouble du spectre de l’autisme

Cilia Federica, federica.cilia@u-picardie.fr, Université de Picardie Jules Verne (UPJV), Centre de Recherche en Psychologie : Cognition, Psychisme et Organisations (CRP-CPO, UR 7273), Amiens, France

Touchet Claire, claire.touchet@me.com, UPJV, CRP-CPO (UR 7273), Amiens, France

Le Driant Barbara, barbara.le-driant@u-picardie.fr, UPJV, CRP-CPO (UR 7273), Amiens, France Vandromme Luc, luc.vandromme@u-picardie.fr, UPJV, Chirurgie et extrémité céphalique caractérisation morphologique et fonctionnelle (Chimère, UR 7516), Amiens, France

Mots-clés : Trouble du Spectre de l’Autisme, Attention Conjointe, Trajectoire de Développement, Indice déictique

INTRODUCTION

Dans le trouble du spectre de l’autisme (TSA), on observe un déficit ou du moins des particularités structurales lors de l’initiation et de la réponse à l’attention conjointe (AC) (Hurwitz & Watson, 2016). La réponse à l’AC se réfère à l’habileté des enfants à suivre la ligne du regard, les gestes de pointage du partenaire ou encore ses vocalisations pour partager un point de référence commun. L’initiation de l’AC implique que l’enfant dirige l’attention d’une autre personne dans le but de partager son attention vers des objets ou des évènements. Lors de l’initiation et de la réponse à l’AC plusieurs indices déictiques sont fondamentaux. Parmi ceux-ci, des particularités sont relevées dans l’utilisation des regards référentiels et la compréhension du suivi du regard (Vivanti et al., 2017), dans l’utilisation de gestes déictiques associés à des vocalisations, ainsi que dans la compréhension des gestes déictiques seuls (Benjamin et al., 2014) et des verbalisations adressées à l’enfant. L’utilisation conjointe de plusieurs indices déictiques tels que les regards, les pointages et les verbalisations, semble aider les enfants TSA à répondre à l’AC. L’impact des indices déictiques utilisés et les différences de réponse à l’AC dépendent de l’âge et du niveau d’autisme de l’enfant, mais également de la présence ou de l’absence du référent dans le champ visuel de l’enfant (Schietecatte et al., 2011).

Cette recherche a pour but d’étudier les comportements d’AC lors d’une interaction entre un adulte et un enfant en fonction de la présence ou de l’absence du référent dans le champ visuel de l’enfant. Dans une première hypothèse, nous pensons que l’initiation et la réponse à l’AC diffèrent en fonction de la présence ou de l’absence du référent dans le champ visuel de l’enfant et de son groupe d’appartenance (TSA ou développement typique, TD). Dans une deuxième hypothèse, nous supposons que la réponse à l’AC dépend du nombre et du type d’indices déictiques utilisés par l’adulte.

METHODE

Cette étude porte sur 50 enfants TSA âgés en moyenne de 6 ans 1 mois (E-T : 2 ans 9 mois) pour un âge de développement de 22 mois 10 jours en moyenne (E-T : 7 mois 8 jours). Ils ont été appariés à 50 enfants (TD) de 21 mois 15 jours (E-T : 6 mois 7 jours) en fonction de leur niveau de développement communicatif évalué à l’aide de l’évaluation de la communication sociale précoce (ECSP, Guidetti & Tourette, 2009). Le niveau d’autisme a été attesté par un score à la CARS (Rogé, 1989).

A l’aide d’une grille de cotation créée sur le logiciel The Observer (Noldus, 2016), nous avons analysé des extraits de vidéos filmant la passation de l’ECSP. Nous avons analysé les données relatives aux conditions Regards (R), Pointages (P), Verbalisations (V) et les 3 en même temps (RPV) lorsque l’enfant et l’adulte sont en situation d’AC sur un poster visible par l’enfant (donc dans

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son champ visuel) ou sur un poster situé derrière lui (hors de son champ visuel). Pour définir un épisode d’AC, nous nous sommes basés sur les différents indices comportementaux. L’épisode d’AC a donc été défini a posteriori du travail de micro-analyse comportementale. De plus, nous avons précisé le rôle (initiation et réponse) de l’enfant dans chaque épisode d’AC.

RESULTATS

Dans un premier temps, on remarque des similitudes entre les groupes. Le nombre et la durée des réponses des enfants vers le référent sont plus élevés lorsque celui-ci est présent, comparativement à la condition où il est absent de leur champ visuel (Nombre : TSA : t(34)= 3.79, p < .001 ; TD : t(41)= 5.50, p < .001 ; Durée : TSA : t(34)= 5.81, p < .001 ; TD : t(41)= 8.44, p < .001). De plus, en ce qui concerne l’initiation de l’AC, il n’y a pas de différence entre les groupes en termes de nombre et de durée de comportements. En revanche, lorsque l’enfant répond à une proposition d’AC vers un référent présent dans son champ visuel, le nombre et la durée des réponses sont inférieurs pour les enfants TSA comparativement aux enfants TD (Nombre : U = 833, p = .019 ; Durée : U = 786, p = .014). De même, lorsque l’enfant répond à une proposition d’AC vers un référent absent de son champ visuel, le nombre de réponses est inférieur chez les enfants TSA comparativement aux enfants TD (U = 6855, p = .013) (cf. Figure 1).

Figure 1

Moyenne du nombre et de la durée (en ms) des réponses et des initiations de l’attention conjointe sur un référent présent ou absent dans le champ visuel de l’enfant

Note. *p < .05

Dans un second temps, nous avons comparé les trajectoires de développement grâce à une ANCOVA comme le recommandent Thomas et collaborateurs (2009). Nous avons choisi comme variable dépendante le nombre des regards vers le référent de l’AC. Le groupe correspond à la variable catégorielle, et les âges de développement sont analysés comme des covariants. Lorsque le référent est présent dans le champ visuel de l’enfant, l’ANCOVA ne met pas en évidence de différence entre les groupes, quel que soit l’indice déictique utilisé. Lorsque le référent est absent du champ visuel de l’enfant, on observe un effet du groupe dans la condition où l’adulte utilise uniquement le regard pour diriger l’attention de l’enfant vers le référent (F(1, 84293) = 6.231, p = .014) ou bien lorsqu’il utilise le regard et le pointage (F(1, 269489) = 13.192, p < .001). Pour l’indice P, on observe un effet d’interaction entre le groupe et l’âge de développement (F(1, 117060) = 5.730,

p = .018). De ce fait, les ordonnées à l’origine et les pentes des trajectoires de chaque groupe

diffèrent. De plus, on remarque que les pentes de la droite qui représentent les réponses à l’AC augmentent régulièrement avec l’accroissement de l’âge de développement chez les enfants TSA et TD dans la condition R, mais uniquement chez les TSA dans la condition P alors qu’il n’y a pas

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de progression développementale chez les enfants TD. En revanche, il n’y a pas de différence entre les groupes pour l’indice V (F(1, 39435) = 2.347, p = .128) et la condition RPV (F(1, 1302) = 1.067,

p = .304).

Enfin, on observe un effet de l’âge de développement pour les enfants TSA lorsque l’adulte regarde et pointe (R² = .071, F(1, 48) = 4.772, p = .033) ou regarde et verbalise vers un référent présent dans le champ visuel de l’enfant (R² = .10, F(1, 48) = 7.048, p = .010). De plus, l’analyse de régression linéaire des enfants TSA met en évidence que la réponse à l’AC évolue significativement avec l’âge de développement lorsque l’indice utilisé implique le regard vers un référent absent (R² = .163, F(1, 48) = 3.252, p = .021) ou bien le regard et les verbalisations (R² = .06, F(1, 48) = 4.155, p = .047) ou encore le regard et le pointage vers le référent absent du champ visuel (R² = .071, F(1, 48) = 4.772, p = .033).

DISCUSSION

Dans un premier temps, nous avons n’avons pas mis en évidence de différence dans le pattern d’initiation de l’AC entre les groupes. En revanche, les réponses à un épisode d’AC entre un adulte et un enfant TSA sont moins nombreuses et durent moins longtemps que celles entre un adulte et un enfant typique (Hurwitz & Watson, 2016). De plus, nous avons mené une analyse des trajectoires développementales et des profils de réponses à l’AC. On remarque une progression développementale des enfants TSA lorsqu’ils répondent à une proposition d’AC de l’adulte qui utilise le pointage ou les verbalisations. La diversité lexicale liée au niveau de l’enfant jouerait un rôle sur la façon dont il s'engage dans l'AC. Lorsque l’adulte se réfère à un objet absent du champ visuel de l’enfant en utilisant le regard seul ou bien le regard et le pointage, la pente de la trajectoire développementale représentant les réponses des enfants TSA est plus forte que celle des TD. Les âges chronologiques des enfants TSA permettent d’expliquer cette différence entre les groupes. Plus les enfants TSA ont un âge de développement communicatif élevé, plus ils prennent en considération les indices regards seuls (Vivanti et al., 2017), regards et verbalisations (Schietecatte et al., 2011) ou regards et pointages (Benjamin et al., 2014) utilisés par l’adulte pour initier une AC. L’utilisation de différents indices déictiques en fonction du niveau de communication de l’enfant peut l’aider, car cela permet aux différents canaux sensoriels d'être engagés sans surcharger l'un par rapport à l'autre (Cilia & Le Driant, 2020).

Pour conclure, cette étude met en évidence que l’utilisation du pointage et des verbalisations lors de l’initiation de l’AC sont des éléments à prendre en compte dans l’accompagnement de l’autisme. En effet, pour les enfants non verbaux, il est nécessaire que les praticiens enseignent différents comportements impliquant une AC, car cette dernière est un précurseur du développement du langage et est essentielle dans l’utilisation de certains outils de communication augmentative et alternative.

BLIOGRAPHIE

Benjamin, D. P., Mastergeorge, A. M., McDuffie, A. S., Kover, S. T., Hagerman, R. J., & Abbeduto, L. (2014). Effects of labeling and pointing on object gaze in boys with fragile X syndrome: An eye-tracking study. Research in Developmental Disabilities, 35(11), 2658–2672. https://doi.org/10.1016/j.ridd.2014.06.021

Cilia, F., & Le Driant, B. (2020). Les enjeux de l'attention conjointe dans les processus de communication : particularités développementales des enfants sourds ou atteints d'un Trouble du Spectre de l’Autisme. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l'Enfant,

166, 01–08

Hurwitz, S., & Watson, L. R. (2016). Joint attention revisited: Finding strengths among children with autism. Autism, 20(5), 538–550. https://doi.org/10.1177/1362361315593536

Schietecatte, I., Roeyers, H., & Warreyn, P. (2011). Exploring the nature of joint attention impairments in young children with autism spectrum disorder: Associated social and cognitive skills. Journal of Autism and Developmental Disorders, 42(1), 1–12. https://doi.org/10.1007/s10803-011-1209-x

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Vivanti, G., Fanning, P. A. J., Hocking, D. R., Sievers, S., & Dissanayake, C. (2017). Social Attention, Joint Attention and Sustained Attention in Autism Spectrum Disorder and Williams Syndrome : Convergences and Divergences. Journal of Autism and Developmental Disorders, 47(6), 1866–1877. https://doi.org/10.1007/s10803-017-3106-4

Une partie de cette étude a été publiée par les auteurs :

Cilia, F., Touchet, C., Vandromme, L., & Le Driant, B. (2020). Initiation and response of joint attention bids in autism spectrum disorder children depend on the visibility of the target. Autism &

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Le ralentissement de la parole : une aide efficace pour la

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