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I. Partie théorique

1.2. Le trouble spécifique du langage (TSL)

1.2.1. Définition

La définition du trouble spécifique du langage (TSL) est donnée dans son nom : le terme « trouble » indique qu'il s'agit de difficultés sévères et persistantes, et celui de

« spécifique » que ses difficultés touchent le domaine du langage de façon primaire. Il s'agit donc d'un trouble neuro-développemental du langage (oral) se définissant par des critères d'inclusion : « troubles dans lesquels les modalités normales d'acquisition du langage sont altérées dès les premiers stades du développement », mais aussi par des critères d'exclusion :

« Ces troubles ne sont pas directement attribuables à des anomalies neurologiques, des anomalies de l'appareil phonatoire, des troubles sensoriels, un retard mental ou des facteurs environnementaux » (ANAES, 2001). Il est admis que, pour la simple raison de pouvoir observer ces critères de sévérité et de persistance, ce trouble ne peut être diagnostiqué qu'à partir de 5-6 ans (Parisse & Maillart, 2004).

La CIM-10 (OMS, 2000) distingue cinq catégories de « Troubles spécifiques du développement de la parole et du langage » dont le trouble de l'acquisition du langage de type expressif et le trouble de l'acquisition du langage de type réceptif. Le critère diagnostique est quantitatif, il faut que les capacités langagières de l'enfant, expressives ou réceptives selon le trouble, se situent au moins à deux écarts-types en dessous de la moyenne des performances des enfants du même âge. Par ailleurs, ce trouble, spécifique au langage comme nous l'avons vu, n’étant pas lié aux capacités intellectuelles non-verbales, la CIM-10 donne une

explicitation quantitative à ce critère d'exclusion ; le QI non-verbal doit être supérieur d'au moins un écart-type au QI verbal de l'enfant.

La classification du DSM-5 (APA, 2013) englobe la catégorie expressive versus réceptive de la CIM-10, et répertorie ce trouble dans la catégorie des « Troubles de la communication ». On y retrouve ainsi, parmi trois sous-catégories, celle de « Trouble du langage » qui se caractérise par « des difficultés persistantes dans l'acquisition et l'utilisation du langage à travers différentes modalités […] dues à des déficits de compréhension ou de production du langage ». Ces difficultés doivent engendrer des performances qui soient quantitativement et qualitativement en-dessous de celles attendues pour l’âge de l'enfant, et de manière persistante (Leclercq & Maillart, 2014 ). Le DSM-5, contrairement au DSM-IV, exclut la notion de spécificité du trouble et donc la nécessité diagnostique d'un écart entre QI verbal et non-verbal en faveur de ce dernier ; effectivement ce critère est actuellement controversé dans la littérature scientifique. Des recherches longitudinales ayant montré que les troubles langagiers impactent négativement le développement intellectuel non-verbal de manière très significative (Botting, 2005), ce critère diagnostique est à nuancer, notamment en fonction de l'âge de l'enfant (Leclercq & Maillart, 2014). Plus l'enfant grandit, plus la péjoration de son QI non-verbal, par son trouble langagier, est effective. En revanche, et malgré cette interdépendance, le DSM-5 indique que le trouble du langage ne peut être expliqué par la présence d'une autre atteinte (mentale, sensorielle, neurologique).

L’évolution des définitions du trouble spécifique du langage ainsi que les divergences sur leurs critères d'inclusion et d’exclusion, impactent la prévalence. Aux Etats-unis où les critères d'inclusion sont plus larges, une étude recense une prévalence de 7,4% au sein de 7218 enfants testés (âgés de 5 à 6 ans), alors qu'en France, elle est estimée entre 1% et 6-8%

chez les enfants d'âge préscolaire et de 0,5% à 1% chez les enfants d’âge scolaire (6 ans) (Soares-Boucaud, Labruyère, Jery & Georgieff, 2009).

1.2.2. Hypothèses explicatives

Depuis plusieurs dizaines d’années, et avec le développement des techniques d'investigation médicales, les recherches sur l'étiologie du trouble spécifique du langage se multiplient. Leonard, Eckert, Given, Virginia & Eden (2006) proposent un marqueur biologique et mettent en avant une absence de spécialisation langagière de l’hémisphère

gauche chez les enfants TSL. Cependant, des études récentes nuancent la notion de

« marqueur » (Reilly, Tomblin, Law, McKean, Mensah, Morgan, Goldfeld, Nicholson &

Wake, 2014). Effectivement, si les recherches expérimentales sur le fonctionnement cérébral permettent bien de différencier les enfants atteints d'un trouble spécifique du langage des enfants neuro-typiques, elles ne peuvent prétendre rendre compte d'un véritable marqueur biologique des TSL puisque leurs résultats sont basés sur de petites cohortes de sujets et ne testent pas les sujets qui seraient atteints, par exemple, d'un trouble du langage non-spécifique.

En parallèle, de nombreuses recherches se penchent sur l’étude génétique de cas ; il en ressort que le gène FOXP2 serait impliqué dans les habiletés langagières et leur développement, et donc en lien avec les troubles spécifiques du langage (Pinker, 2001).

L’année suivante, une étude montre que les gènes impliqués dans le langage ne sont pas spécifiques au langage : ils sont aussi impliqués dans le raisonnement non-verbal (Colledge, Bishop, Koeppen-Schomerus, Price, Happe, Eley, Dale & Plomin 2002). De plus, on découvre que l'héritabilité des habiletés langagières est plus importante chez les enfants atteints d'un trouble du langage non-spécifique que chez les TSL (Hayiou-Thomas, Oliver &

Plomin, 2005).

Pour Reilly & al. (2014), ces arguments constituent la preuve scientifique que le trouble spécifique du langage n'a pas de constitution génétique unique impliquant des gènes spécifiques au langage. Bishop (2009) parle quant à elle d'un ensemble de facteurs génétiques et environnementaux prédisposants au TSL, mais souligne que l'on peut envisager la même diversité d’étiologies que l'on observe de formes de TSL.

1.2.3. Difficultés

Comme nous l'avons vu, avec l’avancée des recherches, définir le TSL comme « un trouble unique et spécifique » n'est plus d’actualité (Maillart & Orban, 2008). La diversité des profils et des degrés d'atteinte nous pousse à considérer ce trouble comme « un ensemble de symptômes développementaux qui peuvent se décliner en différents sous-types » en fonction du domaine linguistique touché. En 2004, Bishop & Snowling proposent une classification basée sur des observations cliniques qui sera reprise dans le DSM-5, et distingue quatre sous-types de dysphasie1 en fonction du domaine langagier atteint : le trouble spécifique du

1 Actuellement Trouble Spécifique du Langage ou Trouble du Langage selon la classification.

langage « typique » qui touche les éléments structurels du langage en modalité productive et/ou réceptive, la dyspraxie verbale développementale qui fait référence à des difficultés de programmation et de planification motrice, le trouble pragmatique développemental qui altère

« l'utilisation du langage dans son contexte de communication » et l'agnosie verbale auditive (le moins fréquent) qui « altère de manière sévère le versant réceptif du langage » (Leclercq

& Maillart, 2014). Ce qui nous intéresse ici, c'est la première catégorie de troubles qui fait référence à une atteinte « linguistique » et que nous appellerons « TSL ». De nombreuses distinguer qualitativement de leurs pairs plus jeunes (Maillart & Orban, 2008). En phonologie, on note ainsi un pourcentage significativement plus élevé d'erreurs sur les voyelles chez les enfants avec TSL (Maillart & Parisse, 2006). Au niveau lexical, les enfants avec TSL font le même type d'erreurs que leurs pairs plus jeunes, mais en font significativement plus (Mc Gregor, 1997).

Le niveau grammatical est quant à lui, le plus investigué chez les enfants TSL.

Effectivement, Bishop & Snowling (2004) présentent les enfants avec TSL comme ayant pour marqueur clinique des difficultés grammaticales, similaires à celles retrouvées chez les enfants neuro-typiques plus jeunes, mais persistantes. Les difficultés touchant le domaine de la grammaire sont, d’après elles, les difficultés le plus fréquemment et le plus significativement observées chez les enfants TSL. Van der Lely, Rosen & McClelland (1998) nomment ces enfants « G-SLI » (Grammatical Specific Language Impairement), et expliquent leurs difficultés par une « altération des opérations de mouvement régissant les relations syntaxiques » (traduction libre). C'est à dire que les difficultés grammaticales de ces enfants viendraient d'une mauvaise capacité à effectuer les opérations de mouvement nécessaires, par exemple, dans l’interprétation d'une phrase dont les éléments syntaxiques ne sont pas dans un ordre canonique. De nombreuses recherches étayent ce propos.

Jakubowicz, Nash, Rigaut & Gerard (1998) comparent les performances en production élicitée et en compréhension d'items « fonctionnels » (déterminants et pronoms clitiques) chez des enfants francophones TSL (de 5 à 13 ans) et neuro-typiques (de 5 à 6 ans).

En production, les performances des enfants TSL sont inférieures à celles des enfants

contrôles pour les pronoms clitiques accusatifs2 et les pronoms clitiques réflexifs3, mais pas pour les pronoms clitiques sujets, ni pour les déterminants. Par ailleurs leurs performances en compréhension (meilleures) sont corrélées avec leurs performances en production. Les difficultés grammaticales des enfants TSL existent donc, mais ne sont pas généralisées à tous les éléments grammaticaux. Elles sont dépendantes des propriétés des éléments grammaticaux, et des opérations computationnelles qu'elles impliquent. Effectivement, les pronoms clitiques accusatifs et réflexifs nécessitent une opération linguistique complexe computationnelle telle que celle de mouvement : puisqu'en français leur position dans la phrase n'est pas canonique (SVO)4 et qu'ils sont antéposés au verbe (SOV), l'enfant doit effectuer mentalement une opération de mouvement du pronom clitique accusatif ou réflexif pour le déplacer de sa place post-verbale à sa place anté-verbale5. C'est cette particularité computationnelle qui serait difficile pour les enfants TSL.

En 2000, Bishop, Bright, James, Bishop & Van der Lely testent la compréhension des phrases passives6 sur des jumeaux TSL de même sexe (de 7 à 13ans) et des jumeaux contrôles (de 7 à 13ans). Les passives ont une structure syntaxique entraînant des opérations linguistiques complexes, de part leur ordre de mots non-canonique dans lequel le patient est mis en position habituelle d'agent. Les résultats confirment ceux de Van der Lely (1996), et montrent que les performances des enfants avec TSL sont significativement inférieures à celles des enfants contrôles, et que les enfants avec TSL ont plus tendance à avoir une interprétation adjectivale des passives courtes dans lesquelles ils considèrent le participe-passé comme un adjectif, une propriété du patient.

Les morphèmes grammaticaux verbaux (e.g. (en anglais) marque du passé : -ed ; de la 3ème personne du singulier : -s) représentent également une difficulté des enfants avec TSL qui auraient tendance à les omettre de façon persistante, alors que la morphologie nominale est mieux préservée. A noter que cette difficulté est plus explicite chez les enfants anglophones en raison des propriétés grammaticales spécifiques à l'anglais, et qu'elle ne constituerait donc pas un marqueur clinique pour les enfants avec TSL francophones (Parisse

& Maillart, 2004).

2 Jean la lave.

3 Jean se lave.

4 Phrase d'ordre canonique (SVO) : Jean (sujet) connait (verbe) Marie (objet).

Phrase d'ordre non-canonique (SOV) : Jean (sujet) la (objet : pronom clitique accusatif) connait (verbe).

5 Jean la connaît __.

6 Phrase active : L'homme (agent) mange le poisson (patient)

Phrase passive : Le poisson (patient) est mangé par l'homme (complément d'agent) Phrase passive courte : Le poisson (patient) est mangé.

Mais alors quels sont les marqueurs cliniques des enfants avec TSL ? En 2001 Conti-Ramsden & Botting évaluent la sensibilité et la spécificité des différents marqueurs de TSL proposés jusqu'à présent en y intégrant deux marqueurs supplémentaires ayant fait l'objet de recherches antérieures chez les enfants avec TSL : la répétition de non-mots impliquant la mémoire verbale à court-terme et la phonologie, et la répétition de phrases impliquant également la mémoire verbale à court-terme, mais aussi l'activation de variables linguistiques (lexique, morphologie, sémantique, syntaxe). Ils comparent les performances d'enfants anglophones avec TSL (de 11ans) avec celles d'enfants contrôles appariés chronologiquement dans une tâche de complétion de phrases au passé, une de complétion de phrase à la 3ème personne du singulier, une de répétition de non-mots, et une de répétition de phrase. Le marqueur clinique le plus sensible et le plus spécifique est la répétition de phrase, suivie de la répétition de non-mots. Ils remarquent également qu'aucune des tâches langagières proposées n'est particulièrement corrélée avec le QI non-verbal, mais que les performances en répétition de phrases sont très corrélées avec les performances aux autres tâches. La répétition de phrases serait donc un marqueur suffisant du TSL.

Pour conclure sur les difficultés des enfants avec TSL, il est important de préciser que si les différents domaines langagiers (phonologie, lexique, morphosyntaxe, pragmatique) renvoient à des habiletés cognitives distinctes, ils interagissent entre eux. Ainsi, de bonnes performances dans un des domaines permet d’améliorer les performances dans un autre ; par exemple, les connaissances grammaticales peuvent aider l'apprentissage de nouveaux mots par un raisonnement déductif basé sur la syntaxe de la phrase contenant le mot nouveau (Leclercq & Maillart, 2014). Cela est à prendre en compte dans ce que nous venons de voir.

Effectivement, si les TSL ont un déficit grammatical primaire comme le proposent Van der Lely & al. (1998), ce déficit va alors influencer négativement le développement des autres capacités langagières, de même que l’évolution des autres domaines langagiers va pouvoir influencer positivement le développement des habiletés grammaticales. Cela pourrait expliquer, en partie, l'hétérogénéité des profils phénotypiques retrouvés dans les TSL.

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