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I. Partie théorique

1.4. Contexte théorique

1.4.1. Etat actuel des connaissances

Les recherches relatives aux relations entre l’autisme (TSA) et les troubles spécifiques du langage (TSL) couvrent un champ théorique structuré par deux grandes hypothèses. La première est celle du « continuum » et s’appuie sur les similarités des troubles langagiers entre les enfants TSL et certains enfants TSA, ainsi que sur l’existence de troubles langagiers chez les parents ou dans les fratries des enfants affectés par ces troubles. Cette hypothèse défend l’idée qu’il y a une continuité étiologique entre les TSL et les TSA, et considère l’autisme comme un « TSL plus » : « le seul facteur différenciant les désordres est la présence de troubles additionnels dans l’autisme » (Bishop, 2003).

A l’autre bout du champ théorique on trouve l’hypothèse qui reprend l’idée traditionnelle selon laquelle l’autisme et les TSL sont des troubles distincts dont les causes sont différentes : c’est l’hypothèse « catégorielle ». Celle-ci considère que les similarités constatées entre les deux troubles demeurent phénotypiques et n’ont pas d’origine génétique commune (Whitehouse & al, 2008).

Contre l’hypothèse de la distinction catégorielle, Bishop (2003) soutient l’hypothèse du continuum en comparant trois modèles étiologiques des troubles considérés : les modèles A, B et C. Le modèle A, relatif à la distinction stricte entre TSL et TSA, associe à chaque trouble des bases neurobiologiques propres, issues elles-mêmes d’allèles propres. Ainsi TSL et TSA sont distincts tant au niveau neurologique qu’au niveau génétique. Mais l’hypothèse de la distinction catégorielle se heurte à trois objections. Premièrement, elle ne permet pas de rendre compte des similarités entre les troubles langagiers de certains enfants TSL et de certains enfants TSA dont la littérature fait état. La distinction stricte entre, d’un côté, l’autisme et les troubles pragmatiques du langage et, de l’autre, les cas de TSL et les troubles langagiers structurels, est donc à réinterroger. Deuxièmement, il existe des cas intermédiaires d’enfants qui n’appartiennent à aucune des deux catégories de troubles : plusieurs études

confirment l’existence d’enfants « PLI » ayant des difficultés pragmatiques de langage mais ne manifestant pas les symptômes majeurs de l’autisme (Pragmatic Language Impairement, Bishop & Leonard, 2000). Troisièmement, la proportion relativement élevée de troubles du langage chez les parents des individus autistes suggère une continuité étiologique entre autisme et TSL. Si ces parents sont rarement autistes eux-mêmes, la littérature montre que les cas de parents (d'enfants autistes) étant atteints de symptomatologies moins sévères sont fréquents, et incluent des individus souffrant de déficit langagier proches des TSL et/ou des PLI.

Pour rendre compte de ces faits, Bishop (2003) compare deux autres modèles (B et C) défendant l’hypothèse de la continuité entre TSA et TSL. Le modèle B stipule qu’à chacun des domaines de trouble (trouble structurel du langage, pragmatique, de l’interaction sociale et du répertoire comportemental) correspond un système cérébral propre, renvoyant à un allèle propre. Ce modèle a l’avantage d’être compatible avec l’hétérogénéité de la symptomatologie des troubles langagiers et communicationnels et ainsi de pouvoir rendre compte des Aspergers13 dont l’aspect structurel du langage est intact ou des PLI pour lesquels seul l’allèle responsable des troubles pragmatiques s’exprimerait. Le modèle B se heurte cependant à des difficultés. Il ne permet pas de rendre compte des différences phénotypiques entre autisme et TSL comme par exemple les difficultés oro-motrices affectant les TSL mais pas ou peu les enfants autistes. De plus, il suppose que pour qu’il y ait des cas d’autisme complet (recouvrant l’ensemble des domaines de troubles) les facteurs génétiques de risque de l’autisme soient très fréquents dans l’ensemble de la population et que les cas de symptômes isolés soient très communs : est-ce le cas ? Enfin, les jumeaux monozygotes affectés de ces troubles devraient avoir le même phénotype, ce qui est contraire aux données présentées dans la littérature.

De ces objections naît la nécessité d’un troisième modèle. Le modèle C conserve l’appariement un-à-un des domaines de troubles et de leurs bases neurobiologiques mais attribue à ces dernières une origine génétique commune qui est susceptible d’expressions différentes selon le patrimoine génétique des individus, les influences de l’environnement et le hasard. Ainsi, ce qui assurerait la continuité entre TSL et autisme serait un ensemble de facteurs de risques génétiques partagés (pléiotropie). Mais ici encore se pose un problème : découvrir la base génétique commune des grands domaines de troubles est très complexe puisqu’un même gène peut s’exprimer différemment et un même trait phénotypique être

13 Syndrome autistique sans retard langagier (APA, 2000 )

l’expression de gènes différents. De plus, se pose la question de savoir où l'on arrête la continuité des troubles. Pourquoi ne pas l’étendre aux troubles présentant une comorbidité avec les TSL et l’autisme, comme les troubles de l’attention, des apprentissages, ou encore psychomoteurs ?

Face à ces questions sans réponse, l’hypothèse catégorielle ne semble pas pleinement invalidée. On peut même se demander à la manière de Witehouse & al. (2008) s’il y a « un sous-type TSL dans l’autisme » (traduction libre).

En 2008, Whitehouse & al. testent 68 enfants anglophones âgés de 6 à 15ans : 34 enfants TSL, 18 enfants TSA avec trouble du langage et 16 enfants TSA sans trouble du langage. Ces enfants sont soumis à un large panel de tests standardisés portant sur les capacités structurelles du langage14, les habiletés oro-motrices15, la mémoire phonologique à court-terme16, la mémoire verbale à court terme17 et les aptitudes pragmatiques du langage18. A partir des résultats obtenus Whitehouse & al. concluent, contrairement à Kjelgaard &

Tager-Flusberg (2001), qu’il n’y aurait pas de chevauchement étiologique entre TSL et TSA, et, donc qu’il n’y aurait pas de sous-type TSL dans l’autisme. Effectivement, si certains résultats confirment ceux de Kjelgaard, Whitehouse & al. montrent que les performances des enfants TSL aux tâches d’habiletés oro-motrices et de mémoire verbale à court-terme sont significativement inférieures à celles des enfants TSA avec trouble du langage. Or, selon certains chercheurs, les performances faibles à ces tâches pourraient être des marqueurs psycholinguistiques des enfants TSL. Ces données vont donc à l’encontre d’un phénotype partagé entre TSL et TSA. De plus, dans la tâche de répétition de non-mots, Whitehouse & al.

montrent que, si les enfants des deux groupes font des erreurs similaires sur les non-mots à deux ou trois syllabes, les enfants TSL en font davantage sur les non-mots plus longs. Cela infirme l’hypothèse d'un déficit en mémoire verbale à court-terme comme étant responsable des difficultés en répétition de non-mots dans le groupe TSA et sous-tend que les mécanismes responsables des faiblesses en répétition de non-mots chez les enfants TSA puissent être différents de ceux des enfants TSL.

14 Tâche de compréhension de phrases, narration à partir d'histoires en images.

15 Répétition de phrases articulatoirement complexes.

16 Répétition de non-mots.

17 Répétition de phrases.

18 Questionnaire parental.

Enfin, Whitehouse & al. avancent d’autres arguments allant à l’encontre d’un chevauchement étiologique et génétique entre TSL et TSA. Dans une étude précédente portant sur les capacités linguistiques et pragmatiques de parents d’enfants TSL et de parents d’enfants TSA, Whitehouse, Barry & Bishop (2007), font état d’une double dissociation entre habiletés langagières structurelles et capacités de communication sociale. Les capacités langagières structurelles sont intactes chez les parents d’autistes, et affectées chez les parents de TSL. A l’inverse, les capacités de communication sociale sont intactes chez les parents de TSL et perturbées chez les parents de TSA. Whitehouse & al. en concluent que si les troubles structurels du langage sont liés aux déficits communicationnels héritables pour les enfants TSL, les troubles structurels retrouvés chez certains enfants TSA ne peuvent être expliqués en terme d’héritabilité.

Pour Whitehouse & al, la seule hypothèse qui puisse rendre compte des difficultés langagières dans l’autisme, dont celles repérées par la tâche de répétition de non-mots, est celle qui soutient que ces difficultés langagières apparaissent chez les individus autistes ayant des troubles sévères dans au moins deux domaines de la symptomatologie autistique (selon les critères du DSM-IV). « Nous suggérons que les déficits structurels du langage -incluant une faible répétition de non-mots- peuvent advenir quand il y a une conjonction particulière de déficits comportementaux et cognitifs, chacun ne perturbant pas en eux-mêmes la répétition de non-mots, mais pouvant perturber la tâche lorsqu’ils co-occurrent en se combinant. » (2008). Par exemple, un manque d'attention à la parole d'autrui associé à des difficultés d'imitation peuvent affecter les performances en répétition de non mots. De plus, en analysant plus en détail leurs données, ils remarquent que les enfants TSA ayant des déficits substantiels dans au moins deux domaines autistiques ainsi que des difficultés en répétition de non-mots, sont aussi ceux chez qui ils observent des troubles significatifs du langage structurel. D'où leur conclusion : plus la symptomatologie de l’autisme est sévère chez un individu, plus on a de chances d’observer des difficultés langagières structurelles associées. Cela va dans le sens de l’hypothèse catégorielle : les troubles spécifiques du langage et les troubles autistiques sont deux troubles distincts.

Etant donné ce que nous venons de discuter, ni l’hypothèse du continuum, ni celle de la distinction catégorielle n’est pleinement satisfaisante. La principale difficulté à laquelle se confronte l’hypothèse du continuum est celle de découvrir une base génétique commune à l’autisme et aux TSL dans leur ensemble, valable quels que soient les sous-groupes

considérés. Cette hypothèse repose sur l’existence de similitudes phénotypiques entre un groupe d’individus TSA et les TSL, ainsi que sur la découverte d’un risque génotypique commun aux deux troubles. Mais elle ne peut expliquer les différences qualitatives de ces phénotypes langagiers, ni rendre compte du fait que la proportion de parents souffrant de troubles langagiers est plus importante pour les individus TSL que pour les individus TSA (Bishop, 2010). Quant à l’hypothèse de la distinction catégorielle des troubles, elle tire sa force des critiques adressées à l’hypothèse du continuum. Seulement, elle pose, elle aussi, deux problèmes. D’abord, elle ne peut pas rendre compte de l’implication de facteurs de risque génétiques à la fois pour les TSA et les TSL. Ensuite, si les troubles langagiers retrouvés chez les TSA sont partie intégrante de leur symptomatologie, comment peut-on justifier que tous les enfants TSA n’aient pas de déficit à ce niveau ? L’explication donnée par Whitehouse & al., selon laquelle la probabilité de trouver des troubles du langage augmente en proportion de la sévérité de l’autisme, n’a pas été confirmée par les données de Loucas, Charman, Pickles, Simonoff, Chandler, Meldrum & Baird (2008). D’après les résultats obtenus, ces derniers montrent que « Quand TSA et troubles du langage co-occurrent chez les enfants ayant des capacités non-verbales dans la moyenne, les symptômes autistiques ne sont ni plus ni moins sévères dans l’enfance tardive, que pour les enfants avec TSA sans trouble du langage ».

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