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I. Partie théorique

1.3. Similarités langagières entre autisme (TSA) et TSL

Maintenant que nous avons exploré les difficultés langagières structurelles des enfants TSL, nous allons faire un rapide tour d'horizon des recherches scientifiques qui ont été menées sur les difficultés langagières structurelles des enfants TSA. Enfin, une attention

particulière sera portée sur l’étude récente de Zebib, Tuller Prevost & Morin (2013) qui compare expérimentalement les performances langagières des enfants TSL et TSA.

Comme vu précédemment, Bishop & Snowling (2004) font état d'un déficit grammatical spécifique chez les TSL. En 2007, Perovic & al. s'interrogent quant à eux, sur l'existence d'un déficit grammatical spécifique chez les enfants autistes. Ils testent 11 enfants autistes anglophones âgés de 6 à 16 ans et comparent leurs performances à celles de deux groupes d'enfants contrôles appariés sur leurs capacités lexicales ou sur leur QI non-verbal.

L’étude comporte également une tâche de compréhension de passives (courtes et longues, actionnelles et psychologiques7) et une tâche de compréhension des pronoms clitiques réflexifs et accusatifs. Ils émettent l’hypothèse que si les enfants autistes n'ont pas de déficit grammatical, ils n’échoueront sur aucune des passives, ou uniquement sur les passives psychologiques (acquises plus tardivement dans le développement normal). De même, ils n'auront de difficultés que sur les pronoms clitiques accusatifs (n’étant pas soumis à une règle syntaxique de position de l’antécédent)8 en raison de leurs difficultés pragmatiques. Les résultats sont sans appel : les enfants TSA, contrairement aux enfants contrôles des deux groupes, échouent sur toutes les passives et montrent de plus grandes difficultés dans l’interprétation des pronoms réflexifs. Les auteurs concluent à un déficit grammatical spécifique dans l'autisme, que nous pouvons mettre en regard avec les résultats obtenus sur des tâches similaires chez les enfants TSL.

Durrleman & Franck montrent également que les enfants autistes ont des difficultés syntaxiques (2012). Elles testent des enfants autistes francophones de 7 et 12 ans sur la compréhension des relatives sujet et objet9, et les comparent à des enfants contrôles plus jeunes. Ces structures syntaxiques sont acquises tardivement chez les neuro-typiques et sont complexes en raison des opérations computationnelles de mouvement nécessaires à leur interprétation ; les relatives objet sont d'autant plus complexes que le mouvement requis est plus long et que leurs mots sont dans un ordre non-canonique. Or peu importe leur âge, les performances des enfants autistes sont significativement inférieures à celles des enfants contrôles. De plus, ils diffèrent particulièrement des contrôles sur les relatives sujet, ce qui va davantage dans le sens d'un déficit grammatical que d'un simple retard, étant donné leur

7 Passive actionnelle : comporte un verbe d'action tel que boire, courir, taper, etc.

Passive non-actionnelle : comporte un verbe renvoyant à un état mental tel détester, imaginer, aimer, etc.

8 Le pronom clitique réflexif est localement contraint ; il se rattache à son antécédent le plus proche.

A l'inverse, le pronom clitique accusatif est libre.

9 Relative sujet : Montre-moi le chat qui pousse le chien.

Relative objet : Montre-moi le chien que le chat pousse.

moindre complexité computationnelle. Dans des études ultérieures, Durrleman & Zufferey (2013) et Durrleman, Hippolyte, Zufferey, Iglesias & Hadjikhani (2013) montrent que, chez les adultes autistes (avec ou sans passé de retard langagier), les difficultés dans la compréhension des propositions relatives sujet et objet persistent. Cela nous indique également que leur trouble langagier (grammatical) est persistant, comme défini pour les TSL.

Roberts & al. (2004) testent l'utilisation correcte de marques morphologiques (3e personne du singulier : -s ; passé : -ed) chez 62 autistes anglophones âgés de 5 à 15 ans qu'il divise en trois groupes en fonction de leurs performances en vocabulaire : dans la norme,

« borderline » ou déficitaires. Le groupe d'enfants autistes ayant un vocabulaire déficitaire montre des performances significativement inférieures à celles des autres groupes, avec de nombreuses erreurs d'omissions. L'utilisation des marques morphosyntaxiques est donc une difficulté de ces enfants autistes et, comme chez les TSL, n'est pas corrélée avec le QI non-verbal. De plus, les performances morphologiques de ces enfants sont corrélées avec leurs performances en répétition de non-mots. Chez certains enfants autistes, on retrouve donc des difficultés significatives dans la répétition de non-mots, marqueur clinique des TSL.

Kjelgaard & Tager-Flusberg attestent d'une similarité phénotypique entre TSL et TSA (2001) en testant les performances en langage structurel de 89 enfants TSA de 4 à 14 ans. Les performances des enfants les divisent en trois groupes homogènes : un groupe d'enfants TSA ayant un langage dans la norme, un groupe « borderline » et un groupe ayant des performances déficitaires. Parmi les « borderline » et ceux ayant un langage déficitaire, un profil se dégage : un vocabulaire réceptif équivalent au vocabulaire en production, des performances globales en vocabulaire mieux préservées que celles en sémantique et en syntaxe, ainsi que des performances déficitaires en répétition de non-mots en dépit de capacités articulatoires préservées. De plus, les résultats vont dans le sens d'une indépendance entre performances langagières et QI non-verbal. Les difficultés langagières des enfants TSA sont donc semblables, et suivent un pattern similaire à celles des enfants TSL.

Dans une étude récente, Zebib & al. (2013) investiguent eux aussi les aspects structuraux du langage des TSA, et apportent une contribution couvrant un large champ de compétences langagières afin d'attester de similarités phénotypiques entre enfants TSL et TSA. Ces auteurs testent un groupe de 20 enfants TSA dont le QI non-verbal est hétérogène, et un groupe de 20 enfants TSL. Les deux groupes sont âgés de 6,3 à 12,9 ans, et sont associés à deux groupes contrôles dont un de 17 enfants de 4 ans, et l'autre de 12 enfants de 6

ans. Tous les enfants sont francophones. Au niveau lexical, l’étude montre que peu d'enfants TSA et TSL sont affectés sur le vocabulaire réceptif : 57,9% des enfants TSA sont dans la norme, pour 65% des enfants TSL. En revanche, les atteintes de la phonologie et de la morphosyntaxe sont plus marquées. En phonologie, évaluée par de la répétition de non-mots, tous les enfants avec TSL ont des difficultés sévères, ainsi que plus des deux tiers des enfants TSA. Quant à la morphosyntaxe, évaluée par un test de complétion de phrases, les profils de performances des deux groupes expérimentaux sont très similaires : 85% des enfants TSA ont des difficultés modérées ou sévères, pour 80% des enfants TSL. Dans les deux groupes, plus de la moitié des enfants ont des troubles sévères.

Ces différents tests montrent donc des profils très similaires entre enfants TSA et TSL, et cette similarité langagière est confirmée par les tâches syntaxiques computationnelles complexes. Pour évaluer ces dernières, Zebib & al. utilisent un test d’élicitation de questions qui consiste à amener l’enfant à poser une question sur la partie cachée d’une image qu’on lui présente10. Les questions attendues sont des questions en « QU ». En français courant, on peut distinguer quatre formes de questions en « QU » allant de la forme syntaxique la plus simple à des formes plus complexes impliquant des opérations computationnelles de mouvement. La forme la plus simple syntaxiquement, respecte l’ordre canonique sujet-verbe-objet et, est appelée « QU in situ ». Les autres formes de questions (non-canoniques) sont plus complexes de par le mouvement du pronom relatif qui vient se placer en première position de phrase et modifie ainsi l’ordre des éléments syntaxiques11. Parmi les réponses correctes proposées, les auteurs analysent quelle complexité de structure syntaxique les enfants des différents groupes utilisent préférentiellement.

Les résultats montrent de manière générale que les enfants TSA produisent moins de réponses correctes que les enfants TSL (réponses à côté), sans doute en raison de leur déficit pragmatique. Cependant dans les cas de réponses pertinentes, on constate que les enfants avec TSA, comme les enfants TSL, optent préférentiellement pour les stratégies syntaxiques les moins complexes et ce, significativement plus fréquemment que les enfants contrôles de 6 ans. Effectivement, les enfants TSA et TSL ont un taux d’utilisation très faible (2,2% TSA, 1,6% TSL) de la forme syntaxique la plus complexe « QU antéposé avec inversion », et

10 e.g. « Regarde, le lapin pousse quelqu’un, mais nous ne pouvons pas voir qui. Pour savoir qui le lapin pousse, demande lui ! »

11 e.g. Par ordre de complexité : forme la plus simple QU in situ (« Tu filmes qui ? ») ; forme QU antéposé sans inversion (« Qui tu filmes ? ») ; forme QU antéposé + est-ce que (« Qui est-ce que tu filmes ? ») ; forme QU antéposé + clivage (« C’est qui [que tu filmes] ? ») ; forme la plus complexe QU antéposé avec

inversion (« Qui filmes-tu ? »).

significativement inférieur à celui des enfants contrôles de 6 ans (22.9%), mais comparable à celui du groupe contrôle de 4 ans qui ne l’utilise pas. Pour les formes intermédiaires en « QU antéposé », la structure la plus simple (sans inversion) est la plus utilisée par les quatre groupes. En traitant l’ensemble des résultats, Zebib & al. concluent que pour la production des questions en « QU », les enfants avec TSA adoptent des conduites d’évitement des structures syntaxiques les plus complexes d’une façon tout à fait similaire aux enfants TSL.

De plus, les performances aux matrices de Raven12 montrent qu’il n’y a pas de corrélation significative entre l’ensemble des résultats sur les performances langagières pour les enfants TSA et leurs performances en raisonnement non-verbal.

Le bilan de cette étude établit une nette similarité sur les performances en langage formel entre enfants avec TSA et TSL, et suggère qu’il puisse y avoir un chevauchement entre les deux formes de troubles. Ces résultats confirment et complètent ceux obtenus dans des études antérieures, comme celle de Kjelgaard & Tager-Flusberg (2001) abordée plus haut, ou encore celle de Tager Flusberg (2006) qui fait également état de similarités des profils phonologiques et morphosyntaxiques entre les enfants TSL et TSA. Quant à la conclusion relative à l’indépendance entre les performances langagières des enfants TSA et leurs capacités cognitives, elle confirme les propos de Kjelgaard & Tager-Flusberg (2001) qui disent que si le QI peut contribuer à l’hétérogénéité des performances langagières d’enfants autistes, « il est important de noter que parmi les enfants [autistes] à QI les plus faibles, certains avaient des capacités langagières normales, et parmi les enfants à haut QI, plusieurs avaient des capacités langagières apparentées à un trouble ».

Pour conclure, il est important de souligner que les troubles structurels des enfants TSL ont des conséquences sur leur communication et leurs interactions sociales (spirale négative), et peuvent engendrer des difficultés pragmatiques (Maillart & Orban, 2008). Il serait donc intéressant de les comparer aux difficultés pragmatiques des enfants autistes ayant un déficit du langage structurel. Effectivement, se pose actuellement la question de la classification et de l’étiologie des troubles pragmatiques (Bishop, 2010), ainsi que celle des marqueurs psycholinguistiques qui permettraient de distinguer les troubles pragmatiques des enfants TSL de ceux des enfants TSA et, enfin, de ceux, intermédiaires, des enfants à difficultés pragmatiques primaires (Botting & Conti-Ramsden, 2003).

12 Raven, J. C, Court, J. & Raven, J. (1986): Raven's Coloured Matrices.London : H. K.

Lewis

Néanmoins, les similarités des troubles pragmatiques entre enfants TSL et TSA sont d’un intérêt limité dans ce travail, celui-ci étant centré sur les similarités des troubles langagiers structurels, et ne seront donc pas abordées ici.

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