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LE TROISIÈME MOYEN D’APPEL

Dans le document UN DROIT DANS LA GUERRE ? (Page 69-73)

96. Au cours du procès, Brocklebank a mentionné que, lorsqu’il a interrogé Matchee au sujet de la torture qu’il infligeait à Arone, Matchee lui a répondu que Sox lui avait dit (…) « de lui flanquer une bonne raclée, mais de ne pas le tuer ». En contre-interrogatoire, Brocklebank a dit qu’il n’a

rien fait au sujet des mauvais traitements, parce qu’il pensait que ceux-ci avaient été ordonnés. L’appelante soutient que le juge-avocat a commis une erreur de droit en ce qui a trait aux directives qu’il a données aux membres de la formation au sujet de l’applicabilité de la défense des ordres émanant d’un supérieur. Même si Brocklebank n’avait pas le courage nécessaire pour pointer son pistolet en direction de Matchee et l’arrêter, il aurait pu demander de l’aide. Il ne l’a pas fait.

97. Dans l’arrêt R. c. Finta, (…) la Cour suprême a reconnu que les militaires pouvaient invoquer le moyen de défense de l’obéissance à des ordres émanant d’un supérieur. Ce moyen de défense n’est pas disponible lorsque les ordres en question sont manifestement illégaux, sauf si les circonstances de l’infraction sont telles que l’accusé n’avait aucun choix moral quant à la question de savoir s’il devait suivre les ordres. L’intimé admet qu’il avait un choix moral, mais fait valoir que les ordres en question n’étaient pas manifestement illégaux. Pour être manifestement illégaux, les ordres doivent offusquer la conscience de toute personne saine d’esprit. En raison du rang inférieur qu’occupait Brocklebank, la défense fait valoir qu’il n’était pas en mesure d’évaluer la légalité de l’ordre.

98. Si Brocklebank avait reçu l’ordre d’aider Matchee à maltraiter Arone, cet ordre aurait constitué, à mon sens, un ordre manifestement illégal. Par conséquent, le moyen de défense de l’obéissance à des ordres émanant d’un supérieur ne reposait sur aucun élément de preuve (…).

99. Le moyen de défense invoqué ne semble pas, dans les faits, être fondé sur l’obéissance par Brocklebank à un ordre donné par un supérieur : les seuls ordres que Brocklebank a reçus de Matchee étaient ceux de se rendre à la fosse et de lui remettre son fusil. Le moyen de défense est plutôt celui de l’absence d’intervention fondée sur la croyance qu’un ordre avait été donné à un officier supérieur. Le moyen de défense invoqué ici est le fait que Brocklebank croyait honnêtement que Matchee avait le droit de battre Arone, étant donné que Matchee s’était fait dire par Sox que c’était correct, pour autant qu’il ne le tuait pas. Essentiellement, le moyen de défense invoqué est celui d’une conviction honnête qui nie la mens rea de l’infraction. (…)

DISCUSSION

1. a. (par. 62, 63, 89 et 90) La Cour reconnaît-elle que le droit international humanitaire (DIH) s’applique aux actes commis contre Arone ? Le juge Décary développe-t-il son raisonnement comme il l’annonce au par. 25 ? Quel est l’avis du juge Weiler ? Quel est votre avis ? Y avait-il un conflit armé en Somalie ? Y avait-il des opérations militaires ? Y avait-il un conflit armé dans lequel les forces canadiennes étaient impliquées ? Le Canada était-il partie à ce conflit armé ? S’il n’y avait pas de conflit armé, est-ce

suffisant pour conclure que la Convention de Genève IV ne s’appliquait pas ? (CG IV, art. 2)

b. (par. 62, note 32) La Cour aurait-elle pu conclure à l’existence d’un conflit armé en Somalie en l’absence d’un certificat du secrétaire d’État aux affaires extérieures allant dans ce sens ?

2. Quelles règles de DIH le Canada a-t-il violées du fait du traitement infligé à Arone ? (CG IV, art. 27, 31 et 32)

3. Brocklebank était-il un supérieur hiérarchique de ceux qui ont torturé et tué Arone ?

4. a. (par. 5 et 49) Arone était-il prisonnier du Canada ? Le Canada était-il responsable du traitement d’Arone, ou la responsabilité incombe-t-elle uniquement à ceux qui le détenaient ? (CG IV, art. 29)

b. Le Canada est-il responsable du comportement de Seward, Sox, Brown, Matchee et Brocklebank ? Même s’ils ont agi en violation des règlements canadiens ? Même s’ils avaient agi en violation de leurs ordres ? (PA I, art.  91) La responsabilité du Canada se limite-t-elle à s’assurer que ses agents ne maltraitent pas Arone, ou doit-il également veiller à ce que des tiers ne le maltraitent pas ? (CG IV, art. 27)

c. (par. 5 et 49-52) Qui, parmi les personnes impliquées (Seward, Sox, Brown, Matchee et Brocklebank) détenait ou surveillait Arone ? Ceux qui le détenaient ou le surveillaient avaient-ils uniquement le devoir de ne pas le maltraiter ou également le devoir de le protéger ? (CGIV, art. 27)

d. (par. 24, 25, 53-67) Arone était-il sous la garde de Brocklebank ? De l’avis de la Cour ? De l’avis du juge Weiler ? Si cela n’avait pas été pas le cas, Brocklebank aurait-il pu être puni s’il avait maltraité Arone ? S’il n’avait pas la garde d’Arone, Brocklebank devait-il respecter, en tant qu’agent du Canada, l’obligation du Canada de protéger les prisonniers qui se trouvent au pouvoir du Canada ? Y a-t-il en outre une obligation générale pour tout soldat de protéger tous les civils, même non détenus ? Uniquement s’ils se trouvent au pouvoir de la puissance dont le soldat dépend ? (CG IV, art. 27) Une violation de cette obligation constitue-elle une infraction grave ? (CG IV, art. 147 ; PA I, art. 86(1))

e. (par. 48-61, 64, 89 et 90) Brocklebank avait-il « la tâche » de respecter l’art. 27 de la Convention IV ? En droit international ? En droit canadien ? Cette tâche était-elle suffisamment précise et vérifiable pour que son inexécution puisse être punie ? La connaissance de la règle est-elle une condition préalable à toute punition en cas de violation ?

f. (par. 60) L’art. 27 de la Convention IV s’applique-t-il uniquement aux habitants de territoires occupés ? Un civil prisonnier reste-t-il un civil protégé ? Quelle est la différence entre le texte de l’art. 27 et celui du chapitre 5, par. 5 du manuel cité au par. 60 ?

g. (par. 5 et 97-100) Brocklebank pouvait-il refuser l’ordre de son supérieur Matchee de lui donner son pistolet ? Avait-il l’obligation de refuser ? De l’avis du juge Weiler ? Brocklebank aurait-il été complice du meurtre d’Arone si Matchee avait tué ce dernier avec son pistolet ? Ce que Matchee

a fait avec le pistolet de Brocklebank pouvait-il être qualifié de torture ? Brocklebank en était-il complice ?

h. (par. 11 et 99-101) Si Brocklebank croyait que le capitaine Sox avait ordonné les mauvais traitements infligés à Arone, cet ordre pouvait-il justifier un manquement à son obligation de protéger Arone ? (Statut de la CPI, art. 33 ; Voir Cas n° 23, La Cour pénale internationale ; Opinion dissidente du juge Weiler, par. 98-99)

i. Comment Brocklebank aurait-il dû réagir lorsqu’il a aperçu Arone ? j. (par. 64 et 65) Brocklebank aurait-il été condamné par la Cour si elle avait

reconnu l’applicabilité des Conventions de Genève ?

5. Le Canada a-t-il suffisamment respecté son obligation de poursuivre les infractions graves en jugeant les auteurs directs de l’infraction au DIH et leurs supérieurs pour négligence dans l’exécution de leur devoir militaire ? Pour respecter le DIH, les supérieurs auraient-ils également dû être condamnés comme coauteurs ou instigateurs des actes de torture ? Le DIH requiert-il simplement que les infractions graves soient punies, en laissant le droit national décider si les supérieurs ont commis la même infraction que leurs subordonnés ou une infraction séparée de négligence dans l’exercice de leur devoir de commandant ?

6. Quels sont les facteurs objectifs qui ont pu mener ces personnes à commettre ces délits ?

Cas n° 208, Canada, Affaire Boland

[Source : Cour d’appel de la cour martiale du Canada [1995] CMAC-374 ; original en anglais, traduction officielle ; notes de bas de page non reproduites]

Cour d’appel de la cour martiale du Canada Ottawa, Ontario, Mardi, le 16 mai 1995

SA MAJESTÉ LA REINE, appelante, et

V89 944 991

SERGENT MARK ADAM BOLAND, intimé JUGEMENT

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