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En ce qui concerne la manière dont l’accusé a exécuté les ordres qui lui avaient été donnés le 14 juillet 1993

Dans le document UN DROIT DANS LA GUERRE ? (Page 53-57)

PRO JUSTITIA n° du jugement : 51

III. EN CE QUI CONCERNE L’AFFAIRE PROPREMENT DITE 1. Introduction

4. En ce qui concerne la manière dont l’accusé a exécuté les ordres qui lui avaient été donnés le 14 juillet 1993

Attendu que la Cour, après avoir examiné les pièces du dossier et l’affaire telle que présentée lors des audiences, est parvenue à la conclusion que l’accusé avait correctement exécuté l’ordre qui lui avait été donné, puisque, au vu des circonstances, il s’était comporté avec la prudence requise de la part d’un soldat de métier, prudent, au bénéfice d’une formation poussée, et dans le respect de la loi ;

Attendu que le département du Procureur général, à juste titre, ne conteste pas « que l’accusé était autorisé, dans ces circonstances, à tirer un coup de semonce » ;

Attendu que le degré de « force » inhérent au coup de feu d’avertissement était proportionnel au degré de la menace constatée, et que l’on peut rappeler que l’accusé n’a jamais eu l’intention de porter atteinte à l’intégrité physique de qui que ce soit ;

Attendu qu’il faut rappeler que ce tir de semonce était nécessaire pour intimider une personne – demeurée non identifiée – qui pénétrait dans la zone interdite, et aussi que cette personne se trouvait, pour l’accusé, à droite de l’épave ; Attendu que le département du Procureur général et le demandeur dans l’action civile reprochent à l’accusé d’avoir visé la proue en acier arrondie de l’épave, et non, par exemple, la surface plane de sa cabine de pilotage ;

Attendu que l’énoncé des faits permet de conclure :

– que l’accusé a bel et bien pris en point de mire le côté bâbord de la proue en acier arrondie de l’épave ;

– que la victime a été mortellement blessée en raison du ricochet du projectile tiré par l’accusé à titre de coup de semonce, et qu’il faut noter que c’est par-derrière l’épave que la victime est entrée dans la zone surveillée par l’accusé ;

– que l’accusé n’avait pas du tout remarqué jusque-là la présence de la victime et qu’en outre, du fait de sa position, il n’avait pas été en mesure de la remarquer plus tôt, en particulier puisqu’il observait la situation de la zone au moyen de ses jumelles ;

Attendu que la question de droit à laquelle la Cour doit répondre est aussi de savoir si l’accusé a manqué à son devoir de prévoyance et de prudence en tirant son coup de semonce ;

Attendu qu’il convient de répondre à cette question par la négative, puisque, étant donné la courbure de la proue en acier de l’épave, la balle n’a pu ricocher qu’en direction de la zone où personne n’était censé entrer ;

Attendu que l’on peut partir de l’hypothèse que l’accusé a choisi de viser ce point précisément pour que la personne à l’égard de laquelle il devait prendre des mesures d’intimidation ne soit pas blessée ou tuée par un ricochet du projectile ;

Attendu qu’il ressort très clairement du rapport de l’enquête effectuée par le procureur adjoint Franskin sur les lieux que la victime a été mortellement blessée à une distance d’à peine cinq mètres environ du côté bâbord de l’épave ; Attendu que cette distance relativement courte étaye le propos de l’accusé, selon lequel il n’avait pas vu la victime et ne pouvait donc pas tenir compte de sa présence ;

Attendu que l’accident ne peut être attribué qu’à un ensemble de circonstances malheureuses que l’accusé ne pouvait pas prévoir ; (…)

POUR CES MOTIFS, LA COUR : (…)

Déclare l’accusé non coupable des chefs d’accusation portés contre lui, compte tenu de la modification de la date des faits et de l’identité de la victime ; (…)

DISCUSSION

1. a. L’applicabilité du droit international humanitaire (DIH) dépend-elle de la question de savoir si les accusés, en tant que membres du contingent belge de l’UNOSOM, sont considérés comme étant sous l’autorité de la Belgique ? Ou sous celle des Nations Unies ?

b. Dans les circonstances de l’espèce, le DIH s’applique-t-il aux forces de l’ONU ? Que pensez-vous de l’argument selon lequel le DIH ne peut pas s’appliquer formellement aux opérations de l’ONU car il ne s’agit pas de conflits armés entre parties égales mais d’actions d’application des lois menées par la communauté internationale et autorisées par le Conseil de sécurité, qui incarne la légalité internationale et dont le but n’est pas de faire la guerre mais d’imposer la paix ?

c. Aux fins de l’application du DIH, les accusés peuvent-ils être considérés comme des membres des forces armées belges (qui sont partie aux

Conventions de Genève) ? Peut-on considérer les actes d’hostilités dans lesquels ils sont impliqués comme un conflit armé entre la Belgique et la Somalie ?

2. a. Dans l’hypothèse où le DIH s’applique aux accusés, bien qu’ils agissent dans le cadre d’une mission de l’ONU, le DIH s’applique-t-il à la situation en Somalie ? Est-ce un conflit armé international ou non international ? Le DIH des conflits armés internationaux pourrait-il s’appliquer même en l’absence d’hostilités entre les forces de l’ONU et des forces armées régulières somaliennes ? Le DIH pourrait-il s’appliquer si le degré de violence ne dépasse pas celui qui est décrit dans les deux cas d’espèce ? (CG IV, art. 2)

b. Si le DIH des conflits armés internationaux s’applique, les actes des accusés doivent-ils être jugés selon les règles sur la conduite des hostilités ? (PA I, art. 51(2)) Ou selon les règles sur le traitement des civils protégés ? (CG IV, art. 27 et 32) Ces dispositions ont-elles été violées ?

c. Les actes des accusés violaient-ils le DIH, indépendamment de la question de savoir si les opérations belges en Somalie étaient sujettes au droit des conflits armés internationaux ou non internationaux ? (CG I-IV, art. 3 commun)

d. Si le DIH ne s’applique pas, les tirs de l’accusé sur l’enfant (Document A.) étaient-ils interdits par le droit international ? Si le DIH est applicable, établit-il une protection spéciale pour les enfants ? Ces règles de protection spéciale sont-elles pertinentes dans le cas d’espèce ? (CG IV, art. 50 ; PA I, art. 77 ; PA II, art. 4(3))

3. a. Si le DIH est applicable, les tirs des deux soldats dans les deux cas d’espèce sont-ils régis par le DIH ou par le droit international des droits humains ? Par les deux ? Laquelle de ces deux branches de droit contient-elle des règles suffisamment précises pour juger du comportement des deux soldats ?

b. Le droit international des droits humains s’applique-t-il pendant un conflit armé ? Même à des actes d’hostilité commis par des combattants ? Si ces actes ne violent pas le droit à la vie ?

c. Les actes des accusés étaient-ils conformes à l’art. 57 du Protocole I ? En particulier dans le Document B., la Cour a-t-elle conclu à juste titre que l’accusé avait pris les précautions nécessaires ? Dans l’hypothèse où le DIH des conflits armés internationaux s’applique, l’art. 57 est-il applicable à des recours à la force tels que ceux exercés par les accusés ?

d. Les actes des accusés respectaient-ils les règles de l’ONU destinées aux responsables de l’application des lois, telles que les « Principes de base relatifs au recours à la force et à l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois », adoptés par le Huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, en 1990 (disponible sur www.ohchr.org) ?

[Le Principe n° 9 se lit comme suit : « Les responsables de l’application des lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace

imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l’arrestation d’une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l’empêcher de s’échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs.

Quoi qu’il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. »]

Ces principes s’appliquent-ils aux actes des accusés, même en cas de conflit armé international ? Dans les deux cas d’espèce, les menaces auxquelles les soldats étaient confrontés constituaient-elles une situation décrite dans le principe n° 9 justifiant l’usage d’armes à feu ? Le troisième facteur mentionné par la Cour dans le Document A. (section III. 6.) est-il compatible avec le principe n° 9 ? Les ordres donnés à l’accusé dans le Document B. étaient-ils conformes au principe n° 9 ?

4. a. Quand l’ordre d’un supérieur peut-il constituer un moyen de défense contre une accusation de violation du DIH ? Quand l’ordre d’un supérieur peut-il empêcher la sanction pour une telle violation ? Quand peut-il atténuer la peine encourue pour une telle violation ? (Statut de la CPI, art. 33 ; Voir Cas n° 23, La Cour pénale internationale)

b. Dans la première affaire, l’accusé pouvait-il savoir, en tant que simple soldat, si l’ordre reçu était ou non légal ?

c. Les art. 70 et 260 du Code pénal belge sont-ils compatibles avec le DIH pour ce qui a trait à l’ordre de commettre un crime de guerre ?

Cas n° 207, Canada, Affaire Brocklebank

[N.B. : « Clayton Matchee, le soldat canadien soupçonné d’être à la tête du groupe militaire qui a battu à mort un adolescent somalien, Shidane Arone, en 1993, a comparu pour la première fois en cour [le 23 juillet 2002]. », extrait de « Un soldat accusé de la mort d’un Somalien se présente en cour », in Le Devoir, Montréal, 24 juillet 2002]

[Source : Cour d’appel de la cour martiale du Canada [1996], A.C.A.C. n° 4 – 383 ; original en anglais, traduction officielle ; notes de bas de page partiellement reproduites. Les numéros de paragraphes ont été ajoutés pour faciliter la discussion.]

Cour d’appel de la cour martiale du Canada Toronto (Ontario) SA MAJESTÉ LA REINE,

Appelante, c.

Soldat D.J. Brocklebank, intimé

Audience : le 29 janvier 1996, Jugement : le 2 avril 1996.

Motifs du jugement : Le juge Décary Souscrit à l’avis : Le juge en chef Strayer

Motifs dissidents : La juge Weiler (…)

LES FAITS (…)

5. J’aimerais ajouter ce qui suit à la description des faits présentée par ma collègue :

– Avant le départ du contingent canadien pour la Somalie, les Forces canadiennes n’ont pas donné de directives aux soldats au sujet de leur rôle et de leurs fonctions comme participants à une mission de maintien de la paix. De plus, il n’y a aucune preuve indiquant qu’au cours de leur formation générale, les soldats ont reçu des directives au sujet des missions de maintien de la paix par opposition aux opérations de guerre.

– Le 16 mars 1993, le soldat Brocklebank (…), qui avait attrapé la dysenterie, s’est couché tôt, sans savoir qu’il devait assurer la garde à la barrière plus tard pendant la soirée. Entre le moment où il s’est couché et celui où il a été réveillé par le caporal-chef Matchee (« Matchee ») vers 23 h, il ne s’est pas levé, n’a pas quitté sa tente et ignorait qu’une arrestation avait été effectuée et que Matchee et le soldat Brown (« Brown ») avaient torturé le prisonnier.

Dans le document UN DROIT DANS LA GUERRE ? (Page 53-57)