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Interprétation logique et systématique du Statut a) Article 2

Dans le document UN DROIT DANS LA GUERRE ? (Page 196-200)

ARRÊT RELATIF À L’APPEL DE LA DÉFENSE CONCERNANT L’EXCEPTION PRÉJUDICIELLE D’INCOMPÉTENCE (…)

A. Question liminaire : l’existence d’un conflit armé (…)

3. Interprétation logique et systématique du Statut a) Article 2

79. L’article 2 du Statut du Tribunal international est libellé comme suit : (…) [Voir Cas n° 217, ONU, Statut du TPIY]

Par son libellé explicite et comme confirmé dans le Rapport du Secrétaire général, cet article du Statut est fondé sur les Conventions de Genève de 1949 et, plus spécifiquement, sur les dispositions de ces Conventions relatives aux « infractions graves ». Chacune des quatre Conventions de Genève de 1949 renferme une disposition sur les « infractions graves », précisant les infractions particulières aux Conventions pour lesquelles les Hautes Parties contractantes sont tenues de poursuivre les personnes responsables. En d’autres termes, les Conventions créent, pour ces actes spécifiques, une compétence répressive obligatoire universelle parmi les États contractants. Bien que le texte des Conventions puisse sembler ambigu et que la question ne soit pas définitivement tranchée (voir, par exemple, (Amicus Curiae) exposé du gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant certains arguments présentés par le Conseil de la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Dusan Tadic, 17 juillet 1995, affaire n° IT-94-1-T, par. 35-36 (« Mémoire d’amicus curiae des États-Unis »)), on s’accorde généralement à penser que les dispositions relatives aux infractions graves établissent une compétence contraignante universelle uniquement en ce qui concerne les infractions aux Conventions commises dans des conflits armés internationaux. (…)

80. (…) Le régime des infractions graves aux Conventions de Genève établit un double dispositif : on observe, d’une part, une énumération des crimes qui sont considérés si graves qu’ils constituent des « infractions graves » ; d’autre part, étroitement lié à cette énumération, un mécanisme d’exécution obligatoire, fondé sur le concept du devoir et du droit de tous les États contractants de rechercher et de juger ou d’extrader les personnes présumées responsables d’« infractions graves ». L’élément de conflit armé international généralement attribué aux dispositions sur les infractions graves des Conventions de Genève est simplement une fonction du régime de compétence universelle obligatoire que créent ces dispositions. La condition de conflit armé international était une limite

nécessaire au régime des infractions graves à la lumière de l’intrusion dans le domaine de la souveraineté de l’État que cette compétence universelle obligatoire représente. Les États parties aux Conventions de Genève de 1949 ne voulaient pas conférer à d’autres États compétence pour les violations graves du droit international humanitaire commises dans leurs conflits armés internes – à tout le moins pas la compétence universelle obligatoire du régime des infractions graves.

81. La Chambre de première instance a raison lorsqu’elle laisse entendre que le mécanisme d’exécution n’a, assurément, pas été reproduit dans le Statut du Tribunal international, pour la raison évidente que le Tribunal international lui-même constitue un mécanisme pour la poursuite et la répression des auteurs d’« infractions graves ». (…) [L]a référence aux Conventions de Genève figurant dans (…) [le] Statut du Tribunal (…) à la notion de « personnes ou biens protégés » doit forcément couvrir les personnes mentionnées aux articles 13, 24, 25 et 26 (personnes protégées) et 19, 33 à 35 (biens protégés) de la Convention de Genève I ; aux articles 13, 36, 37 (personnes protégées) et 22, 24, 25 et 27 (objets protégés) de la Convention II ; à l’article 4 de la Convention III sur les prisonniers de guerre ; et aux articles 4 et 20 (personnes protégées) et 18, 19, 21, 22, 33, 53, 57 etc. (biens protégés) de la Convention IV sur les civils. Clairement, ces dispositions des Conventions de Genève s’appliquent aux personnes ou aux biens protégés uniquement dans la mesure où ils se situent dans le contexte d’un conflit armé international. En revanche, ces dispositions ne couvrent pas les personnes ou les biens relevant du domaine de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève. (…)

83. (…) [L]a Chambre note avec satisfaction la déclaration contenue dans le Mémoire d’amicus curiae présenté par le gouvernement des États-Unis, où il est soutenu que :

« les dispositions relatives aux « infractions graves » de l’article  2 du Statut du Tribunal international s’appliquent aux conflits armés de caractère non-international comme à ceux de caractère international » (Mémoire d’amicus curiae des États-Unis, p. 35).

Cette déclaration, que ne vient étayer aucune jurisprudence, ne semble pas être justifiée en ce qui concerne l’interprétation de l’article 2. Néanmoins, vue sous un autre angle, on ne saurait nier sa portée : elle énonce l’opinion juridique de l’un des Membres permanents du Conseil de sécurité sur une question juridique délicate. À ce titre, elle fournit le premier indice d’un changement possible de l’opinio juris des États. Si d’autres États et organes internationaux en viennent à partager cette opinion, un changement du droit coutumier relatif à la portée du régime des « infractions graves » pourrait se concrétiser progressivement. On peut trouver d’autres éléments pointant dans la même direction dans la disposition du Manuel militaire allemand (…), l’Accord du 1er octobre 1992 conclu par les parties belligérantes en Bosnie-Herzégovine (…) [et] un jugement récent d’un

tribunal danois (…) sur le fondement des dispositions relatives aux

« infractions graves » des Conventions de Genève, (…) sans, toutefois, soulever la question préliminaire de savoir si les crimes présumés avaient été commis dans le cadre d’un conflit armé international plutôt qu’interne (…).

84. En dépit de ce qui précède, la Chambre d’appel doit conclure que, dans l’état actuel de l’évolution du droit, l’article 2 du Statut ne s’applique qu’aux crimes commis dans le contexte de conflits armés internationaux.

(…) b) Article 3

86. L’article 3 du Statut habilite le Tribunal international à juger les violations des lois ou coutumes de la guerre. L’article est ainsi libellé :

(…) [Voir Cas n° 217 ONU, Statut du TPIY]

Comme l’a expliqué le Secrétaire général dans son Rapport sur le Statut, cette disposition est fondée sur la Convention de la Haye de 1907 (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, le Règlement d’application annexé à ladite Convention et l’interprétation de ce Règlement par le Tribunal de Nuremberg. L’Appelant soutient que les Règles de La Haye ont été adoptées pour réglementer les conflits armés entre États tandis que le conflit dans l’ex-Yougoslavie est un conflit armé interne. (…) L’argument de l’Appelant ne résiste pas à l’examen parce qu’il est fondé sur une interprétation excessivement étroite du Statut.

i) L’interprétation de l’article 3

87. Une interprétation littérale de l’article 3 révèle que : i) il se rapporte à une large catégorie de crimes, à savoir toutes « les violations des lois ou coutumes de la guerre » ; et ii) l’énumération de certaines de ces violations figurant à l’article 3 est de caractère illustratif et non exhaustif.

Pour identifier le contenu de la catégorie d’infractions relevant de l’article 3, il convient d’attirer l’attention sur un point important. L’expression

« violations des lois ou coutumes de la guerre » est une expression technique traditionnelle employée dans le passé, quand les concepts de

« guerre » et « lois de la guerre » prévalaient encore, avant d’être en grande partie remplacés par deux notions plus larges : i) celle de « conflit armé », introduite essentiellement par les Conventions de Genève de 1949 ; et ii) la notion corrélative de « droit international des conflits armés », ou la notion plus récente et plus exhaustive de « droit international humanitaire », qui s’est dégagée du fait de l’influence des doctrines des droits de l’homme sur le droit des conflits armés. Comme nous l’avons indiqué plus haut, il ressort clairement du Rapport du Secrétaire général que l’expression désuète susmentionnée a été utilisée dans l’article 3 du Statut essentiellement pour

faire référence à la Convention de La Haye de 1907 (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et le Règlement d’application qui y est annexé (Rapport du Secrétaire général, par. 41) (…), considérée comme du droit coutumier (…). [L]e Secrétaire général lui-même concède que le droit traditionnel de la guerre est plus correctement qualifié aujourd’hui de « droit international humanitaire » (…). De surcroît, le Secrétaire général a aussi admis correctement que les Règles de La Haye ont une portée plus large que les Conventions de Genève parce qu’elles couvrent non seulement la protection des victimes de violence armée (civils) ou de ceux qui ne participent plus aux hostilités (prisonniers de guerre) mais aussi la conduite des hostilités. (…) [L]’article  3, avant d’énumérer les violations, précise qu’elles « comprennent, sans y être limitées ». Quand on considère cette liste dans le contexte général de l’examen par le Secrétaire général des Règles de La Haye et du droit international humanitaire, nous concluons qu’elle peut être interprétée comme incluant d’autres infractions au droit international humanitaire. La seule limite est que ces infractions ne doivent pas déjà être couvertes par l’article  2 (autrement cette disposition deviendrait superflue). L’article  3 doit être considéré comme couvrant toutes les violations du droit international humanitaire autres que les « infractions graves » aux quatre Conventions de Genève relevant de l’article 2 (ou, de fait, les violations visées par les articles 4 et 5 dans la mesure où les articles 3, 4 et 5 se recouvrent).

88. Les débats du Conseil de sécurité qui ont suivi l’adoption de la résolution portant création du Tribunal international confirment que l’article 3 ne se limite pas à couvrir les violations des Règles de La Haye mais qu’il vise également à se référer à toutes les violations du droit international humanitaire (sous réserve des limites susmentionnées). Comme nous l’avons déjà indiqué, trois États Membres du Conseil, à savoir la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont expressément déclaré que l’article 3 du Statut couvre aussi les obligations provenant d’accords en vigueur entre les parties belligérantes, c’est-à-dire l’article 3 commun aux Conventions de Genève et les deux Protocoles additionnels ainsi que les autres accords conclus par les parties belligérantes. (…)

Aucun délégué n’a contesté ces déclarations et elles peuvent donc être considérées comme une interprétation faisant autorité de l’article 3, à savoir que sa portée est beaucoup plus large que les violations énumérées dans les Règles de La Haye.

89. À la lumière des remarques qui précèdent, on peut soutenir que l’article 3 est une clause générale couvrant toutes les violations du droit humanitaire ne relevant pas de l’article 2 ou couvertes par les articles 4 ou 5, plus spécifiquement : i) les violations des Règles de La Haye sur les conflits internationaux ; ii) les atteintes aux dispositions des Conventions de Genève autres que celles classées comme « infractions graves » par lesdites Conventions ; iii)  les violations de l’article 3 commun et autres

règles coutumières relatives aux conflits internes ; iv)  les violations des accords liant les Parties au conflit, considérés comme relevant du droit conventionnel, c’est-à-dire des accords qui ne sont pas devenus du droit international coutumier (sur ce point, se reporter au paragraphe 143 ci-dessous). (…)

91. Ainsi, l’article 3 (…) opère comme une clause supplétive visant à garantir qu’aucune violation grave du droit international humanitaire n’échappe à la compétence du Tribunal international. (…)

92. Cette interprétation de l’article 3 est aussi corroborée par l’objet et le but de la disposition. Quand il a décidé de créer le Tribunal international, le Conseil de sécurité visait à mettre un terme à toutes les violations graves du droit international humanitaire perpétrées sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et pas simplement à des catégories spéciales de ces violations, à savoir les « infractions graves » aux Conventions de Genève ou les violations des « Règles de La Haye ». Par conséquent, si l’interprétation est correcte, l’article 3 concrétise pleinement l’objectif fondamental de la création du Tribunal international, c’est-à-dire de ne laisser impuni aucun auteur de ces violations graves, quel que soit le contexte de leur perpétration.

93. L’interprétation qui précède est encore confirmée si l’article 3 est analysé d’un point de vue plus général, c’est-à-dire s’il est interprété dans son contexte historique. Comme l’a indiqué la Cour internationale de justice dans l’affaire Nicaragua [Voir Cas n° 161, CIJ, Nicaragua c. États-Unis

d’Amérique], l’article  premier des quatre Conventions de Genève, aux

termes desquelles les parties contractantes s’« engagent à respecter et à faire respecter (les Conventions) en toutes circonstances » découle

« des principes généraux du droit humanitaire dont les Conventions ne sont que l’expression concrète » (affaire relative aux activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre lui (Nicaragua. c/ États-Unis d’Amérique), Motifs, C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 220, 27 juin ([ci-après :]

« Affaire du Nicaragua »)). Ce principe général énonce une obligation qui incombe non seulement aux États mais aussi à d’autres entités internationales, y compris les Nations Unies. C’est avec cette obligation à l’esprit qu’en 1977, les États rédigeant les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève ont convenu de l’article 89 du Protocole I, aux termes duquel :

« Dans les cas de violations graves des Conventions ou du présent Protocole, les Hautes Parties contractantes s’engagent à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies et conformément à la Charte des Nations Unies » (Protocole I, art. 89).

Dans le document UN DROIT DANS LA GUERRE ? (Page 196-200)