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EN CE QUI CONCERNE L’AFFAIRE PROPREMENT DITE 1. Introduction

Dans le document UN DROIT DANS LA GUERRE ? (Page 44-49)

DANS L’AFFAIRE :

III. EN CE QUI CONCERNE L’AFFAIRE PROPREMENT DITE 1. Introduction

Attendu que les faits contenus dans l’acte d’accusation s’inscrivent dans le contexte des tâches que l’accusé remplissait le 21 août 1993 en tant que membre de l’ONUSOM, l’opération humanitaire des Nations Unies en Somalie ; Attendu que, dans l’exercice de ces tâches, l’accusé a estimé de son devoir, à un certain moment, durant un tour de garde nocturne, de tirer un coup de fusil

visant les jambes de l’enfant – alors âgée de douze ans – du plaignant dans l’action civile ; que, ce faisant, il a blessé la victime ;

2. En ce qui concerne la thèse de la défense

(…) Attendu que, selon les dispositions de l’article 70 du Code pénal, on ne saurait considérer comme crime un acte prescrit par la loi et ordonné par l’autorité compétente ;

Attendu qu’à l’article 417 du Code pénal, la loi présume, à titre de principe général, qu’un besoin momentané d’autodéfense existe lorsqu’il s’agit d’empêcher, de nuit, l’escalade ou l’effraction de clôtures, de murs ou d’accès à une maison ou à un appartement inhabité ou à ses dépendances ;

3. En ce qui concerne les conditions qui peuvent permettre d’invoquer l’ordre donné par un supérieur comme justification

Attendu que, conformément au droit interne et international, il est nécessaire de s’assurer de la légitimité de tout ordre donné ;

Attendu, en d’autres termes, que pour pouvoir invoquer l’ordre donné par un supérieur à titre de justification :

a) l’ordre en question doit avoir été donné antérieurement aux faits, et son exécution doit correspondre à l’objet de cet ordre ;

b) l’ordre en question doit avoir été émis par un supérieur légitime, agissant dans les limites des pouvoirs qui lui ont été conférés ; c) l’ordre émis doit être légitime, c’est-à-dire conforme à la loi et à la

réglementation ;

Attendu que, en ce qui concerne ce dernier point, on peut généralement partir de l’hypothèse qu’un soldat du grade le plus bas peut fonder ses actes sur l’hypothèse que l’ordre reçu était légitime ;

Attendu qu’une enquête approfondie est indispensable pour établir si la force dont l’emploi avait été dicté par l’officier supérieur n’excédait pas ce qui était strictement nécessaire pour produire l’effet visé ;

Attendu que la conduite dont le défendeur est accusé sera examinée plus en détail ci-après à la lumière de ce qui précède ;

4. En ce qui concerne l’ordre intimé à l’accusé le 21 août 1993

Attendu que, selon la défense, l’ordre donné à l’accusé pendant qu’il accomplissait sa mission en tant que garde de nuit au moment des faits était « de défendre » le cantonnement de diverses unités militaires belges et

« d’empêcher quiconque d’y pénétrer » (…) ;

5. En ce qui concerne les règles d’engagement et leur nature juridique Attendu que cet ordre, qui a été cité par l’accusé dans le contexte de l’article 70 du Code pénal, doit aussi être considéré en parallèle avec les autres instructions, plus générales et plus anciennes, qui lui avaient été données sous la forme des règles d’engagement ;

Attendu que lesdites règles d’engagement doivent être considérées comme signifiant les directives générales émises par l’autorité compétente en la matière (en l’occurrence, les Nations Unies en leur qualité d’autorité politique internationale) ;

Attendu que ces règles d’engagement sont censées donner des instructions aussi précises que possible aux forces armées placées sous le commandement direct ou indirect de l’autorité compétente (politique ou militaire) citée ci-dessus quant aux circonstances dans lesquelles elles peuvent recourir à la force, sous toutes ses formes, dans l’exercice de leurs fonctions dans un conflit armé en cours ou susceptible d’éclater à tout moment ;

Attendu que ces règles d’engagement ont d’abord pris la forme d’un mandat de droit international administratif ;

Attendu qu’elles revêtent cette nature aussi bien à l’égard des États membres appelés par des organes internationaux à prendre part à certaines opérations qu’à l’égard des commandants qu’un État membre met directement à disposition de l’organisation internationale concernée ;

Attendu que les États membres, d’autre part, « traduisent » aussi les règles d’engagement sous la forme d’un ordre, relatif à l’emploi de la force armée, pour les troupes qu’ils déploient ;

Attendu que si cet ordre (oral ou écrit) donné au personnel militaire belge doit se traduire par une obligation d’obéissance, et de ce fait être recevable dans le cadre de poursuites pour insubordination en vertu des articles 28 et suivants du Code pénal militaire, il doit, d’une part, émaner d’un supérieur hiérarchique ou opérationnel de même nationalité, au sens dudit article 28 du Code pénal militaire ; et attendu qu’il peut, d’autre part, ne pas être exécuté si cette exécution peut entraîner manifestement la perpétration d’un crime ou d’un délit (voir article 11, par. 2, alinéa 2, de la Loi portant le règlement de discipline des Forces armées [Loi du 14 janvier 1975, disponible sur http://www.just.fgov.be]) ;

Attendu que, dans la rédaction précise des règles d’engagement, il a été dûment tenu compte, comme il convenait, des autres dispositions légales pertinentes qui avaient été émises, et que seul le législateur, en principe, peut abroger ou suspendre une disposition légale ;

Attendu que, quelle que soit la forme qui leur est donnée, les règles d’engagement ne doivent pas être considérées comme des ordres de même nature que la législation ;

Attendu que la Cour peut aussi admettre les considérations théoriques exposées par le département du Procureur général dans son exposé concernant les règles d’engagement ; attendu, plus précisément, que le département du Procureur général relève, à juste titre, que le contenu concret des règles d’engagement dont il est question ici est influencé par un certain nombre de facteurs, de normes légales et de faits concrets assez fortuits, tels que :

– l’identité de l’autorité politique concernée ; – la nature de l’opération en cours ;

– le droit international, y compris le droit des conflits armés et les traités pertinents ;

– la législation du « pays hôte » ;

– les dispositions légales internes des États membres qui placent leurs forces armées à la disposition de l’organisation internationale concernée ; – enfin et surtout, de toute évidence, les besoins opérationnels concrets et

les buts visés sur le plan national ou international ;

Attendu que, puisque tous ces facteurs ont été pris en considération – comme il convenait sans aucun doute – dans la rédaction et la définition, par l’État membre, des règles d’engagement, le juge pénal doit, pour évaluer les motifs de justification tels que définis, aux fins de l’affaire en instance, dans l’article 70 du Code pénal, évaluer en premier lieu le comportement du soldat accusé, qui a appliqué les règles d’engagement à l’ordre qui lui avait concrètement été donné, et qui avait été donné par un supérieur hiérarchique de l’État membre concerné à un soldat de même nationalité ;

Attendu que pour le soldat accusé les règles d’engagement ont donc pris la forme d’un ordre, aussi bien de jure que de facto ;

6. En ce qui concerne les règles d’engagement telles qu’elles devaient être appliquées par l’accusé le 21 août 1993 (…)

Attendu que, bien que le dossier de l’accusation ne contienne aucune information touchant le nom et le grade de l’officier supérieur belge qui a exposé les règles d’engagement en tant qu’ordre et ligne de conduite pour l’accusé, il n’existe aucun doute quant au fait que ces règles d’engagement ont été transmises à l’accusé par un supérieur de nationalité belge ; (…)

Attendu que, en substance, au moment des faits l’attention devait être accordée en premier lieu et avant tout aux facteurs pertinents ci-dessous :

1) l’accusé avait reçu des ordres à caractère défensif ;

2) dans l’exécution de ces ordres défensifs, l’accusé était autorisé à employer une force létale en réponse à des actes hostiles ou à des signes patents d’hostilités imminentes ;

3) en cas d’attaque ou de menace par des individus sans armes, l’accusé était en droit d’employer une force minimale raisonnable pour repousser l’attaque ou la menace après un avertissement verbal, une démonstration de force et des tirs de semonce ;

4) l’accusé était en droit de considérer que des individus armés représentaient une menace ;

5) dans tous les cas de figure, seule une force minimale devait être utilisée.

7. En ce qui concerne la manière dont l’accusé a exécuté les ordres qui lui avaient été donnés le 21 août 1993 (…)

Attendu que l’accusé a agi, dans les circonstances données, avec la prudence requise et dans le respect de la loi ;

Attendu que, lorsqu’il a observé l’enfant se faufiler à travers les clôtures de fil de fer barbelé et arriver ainsi à proximité immédiate du bunker, il a d’abord lancé les avertissements verbaux nécessaires, en somali et en anglais ;

Attendu qu’il a ensuite tiré deux coups de semonce dans le sol, à une distance d’environ 50 cm de l’enfant, qui n’a toujours pas réagi ;

Attendu qu’il a finalement décidé de procéder à un tir ajusté ;

Attendu qu’il a visé pour ce faire des organes non vitaux, c’est-à-dire les jambes ; Attendu que l’infiltration qui avait été détectée ne s’est interrompue qu’après ce tir ajusté ;

Attendu que la procédure suivie par l’accusé était la seule lui permettant de remplir son devoir de défense ;

Attendu que l’accusé devait considérer la menace comme réelle et que, pour écarter cette menace, il a recouru à une force minimale, après avoir donné les avertissements requis ;

Attendu que l’accusé n’était physiquement pas en mesure d’attraper l’intrus (étant donné la disposition particulière du bunker, qui n’était accessible que par l’arrière, le long d’une ouverture dans le mur du cantonnement) ;

Attendu qu’il n’était pas réaliste d’appeler d’autres forces de réserve, comme le factionnaire ;

Attendu qu’en vue du risque potentiel d’une attaque imminente, la réaction devait être rapide et que cette réaction a été aussi proportionnelle à la menace ; Attendu que, tout bien considéré, il n’existait pas d’autre mesure adaptée aux circonstances qui eût pu être prise pour empêcher la poursuite de l’intrusion ; Attendu que les ordres avaient été donnés au préalable, et que l’exécution de ces ordres a été conforme à leur objet ;

Attendu que l’ordre était légitime et émanait d’un supérieur légitime agissant dans le cadre de ses pouvoirs ;

Attendu que la force employée était sans aucun doute proportionnelle à la nature et à l’intensité de la menace ;

Attendu en outre que l’on peut noter qu’un autre garde a réagi de manière presque identique à l’accusé ;

Attendu à cet égard, et pour conclure, que l’on peut aussi relever que contrairement aux affirmations de la défense, il faut raisonnablement accepter que la victime a été touchée par un tir de l’accusé, et non par un tir de l’autre garde mentionné ci-dessus ; attendu qu’il convient ici d’accorder attention en premier lieu à la distance réduite à laquelle le tir a eu lieu ; (…)

POUR CES MOTIFS,

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