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Tristan THERY et Alain BONNAFE (1994) : Les Autoroutes de l’information, Paris : La Documentation français.

nouvel âge de réenchantement par l’entreprise

12 Tristan THERY et Alain BONNAFE (1994) : Les Autoroutes de l’information, Paris : La Documentation français.

13 Notamment, Bruno METTLING (2015) : Transformation numérique et vie au travail, Rapport à l’attention du Ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Paris, septembre ; ou encore CONSEIL NATIONAL DU NUMERIQUE (2016) : Travail, emploi, numérique : les nouvelles trajectoires, Rapport à l’attention du Ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social,

activités ont été progressivement abandonnés, au profit de nouveaux modes organisationnels caractérisés par le décloisonnement des tâches, l’interaction des services, la communication horizontale, l’intégration des activités, la solidarité des salariés et leur coopération ainsi que la mobilité à la fois des marchandises, des hommes, des produits, des capitaux, des technologies et des informations. Le rapport Mettling s’inscrit dans cette lignée, citant pêle- mêle une « explosion du travail à distance », la création de « nouveaux collectifs

professionnels », la conception de « nouveaux espaces de travail plus ouverts, plus conviviaux, favorisant l’échange et la coopération » comme autant d’exemples d’innovations

organisationnelles. Bref, la transformation digitale ne peut se faire sans les salariés, notamment les managers car elle entraîne une « transformation du modèle managérial » (2015).

Tout se passe ainsi comme si l’expérience salarié s’inscrivait dans ce parcours, dernière tentative en date de réenchantement (troisième point). Mais de réenchantement de quoi finalement ? De l’entreprise comme lieu de vie du salarié à qui il convient d’offrir les « meilleures conditions de travail possible » ? Peut-être. Mais ce même salarié attend bien autre chose, semble-t-il. Il a des « attentes immenses sur le travail », il plébiscite des « attentes expressives à l’égard du travail, ou encore des attentes symboliques, subjectives,

réflexives et sociales » (Méda et Vendramin 2013). En bref, l’individu a besoin de

réenchanter son travail (se confronter, se dépasser), de réenchanter ses relations aux autres (rencontrer, réaliser), de réenchanter son avenir (imaginer une progression). Ressort alors avec force l’importance de la dimension relationnelle du travail avec ses deux composantes : la relation expressive au travail, le besoin des individus d’appartenir à un collectif et de s’engager pour lui. Plus qu’une appartenance à un collectif lointain (la société, la Nation, l’entreprise quand elle est trop vaste et trop lointaine), c’est, faute de mieux, l’appartenance à « ce petit réseau de personnes avec lesquelles des habitudes se sont nouées et qui constituent

un des éléments centraux du lieu de travail et de l’ambiance de travail » (ibid.).

L’engagement des individus est (déjà) présent, est (naturellement ?) fort, mais pas reconnu à sa juste valeur par les entreprises.

Pourtant, le changement est devenu continu dans des entreprises confrontées à des complexités de plus en plus fortes en provenance d’environnements pluriels. Afin de s’adapter, les entreprises se transforment. Elles adoptent de nouvelles stratégies, de nouvelles organisations, lesquelles se succèdent de plus en plus rapidement. Tant et si bien que ce mouvement permanent mobilise l’ensemble des acteurs et pose de redoutables questions, aux dirigeants comme aux salariés : aux premiers, quelle stratégie mener, quelle organisation adopter ? Aux seconds, quel sens donner au travail (Uhalde 2013), comment bien faire son travail (Clot 2010) ? Le travail change et l’individu est moins sollicité aujourd’hui pour sa « force motrice » que pour sa « plasticité, cette capacité proprement humaine au

changement » (Bidet 2011). Fortement attaché à son travail, celui-ci a, dans l’ensemble, la

volonté de coopérer donc de donner et de s’engager. En quelques sortes, il s’investit dans son travail en investissant de l’émotion dans les relations (à la fois professionnelles et personnelles) qu’ils tissent : « Les règles, pour être efficaces, supposent que les salariés les

investissent de leur être, de leurs engagements affectifs et moraux réciproques, de leur conception et de leur expérience du rapport aux autres » (Alter 2009). En bref, l’individu

donne en coopérant et il se dévoile en donnant. Les entreprises devraient se saisir de ces échanges. Pourtant, elles ne le font pas ou pas suffisamment, elles ne reconnaissent pas ces pratiques de dons, elles « ne les célèbrent pas » (ibid.).

Plus que jamais, travailler, c’est communiquer14. L’individu est donc conduit, tout à la fois, à développer ses activités communicationnelles et relationnelles et à gérer sa disponibilité et son engagement, tandis que l’entreprise est encouragée à développer des espaces de discussion15 afin de rompre le « silence organisationnel »16. On redécouvre que le travail est paroles car il nécessite des échanges avec autrui (s’ajuster) ; le travail est collectif car jamais prescrit dans sa totalité (s’adapter) ; l’individu est un acteur car il prend continuellement des décisions (compléter l’organisation), il discute et se dispute avec ses collègues, son manager, d’autres équipes, tout comme il donne.

En fin de compte, les apports annoncés de l’ES apparaissent bien pauvres par rapport aux attentes des individus vis-à-vis de l’entreprise. N’y a-t-il pas là des éléments permettant à l’expérience salarié, expression slogan mais peu signifiante, d’être revitalisé et de répondre (enfin) à la demande de sens des individus ? Par exemple, prendre en considération l’individu en situation de travail. Se rapprocher de son travail, de ce qu’il fait, comment il le fait et avec qui (engagement, don), reconnaître sa place et son rôle dans l’entreprise (reconnaissance). Réinterroger la relation de l’individu à son employeur (à la fois subordination et engagement volontaire, moins vis-à-vis de l’entreprise que de son travail, de son petit réseau de relations). Dans ce sens, l’ES serait « avant tout le management, l’organisation du travail, la QVT ; et

ce, quel que soit le niveau de digitalisation de l’entreprise »17. Il y a donc nécessité de recontextualiser le digital dans le travail et l’individu qui l’exerce pour faire de l’expérience salarié principalement une expérience métier.

Bibliographie

Alter Norbert (2009) : Donner et prendre : la coopération en entreprise, Paris : La Découverte

Bidet Alexandra (2011) : « La multi-actvité ou le travail est-il encore une expérience ? »,

Communications, n°89

Bunel Jean (1986) : « Le réenchantement de l’entreprise », Sociologie du travail, n°33/4 Brulois Vincent et Charpentier Jean-Marie (2013) : Refonder la communication en

entreprise : de l’image au social, Limoges : Fyp, 2013

Calamel Charles (2010) : « Création d’une typologie de l’expérience artistique », HAL archives-ouvertes.fr [en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00923831]

Clot Yves (2010) : Le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Paris : La Découverte

Méda Dominique et Vendramin Patricia (2013) : Réinventer le travail, Paris : PUF

Mettling Bruno (2015) : Transformation numérique et vie au travail, Rapport à l’attention du Ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Paris, septembre

14 Voir Michèle LACOSTE, « Peut-on travailler sans communiquer ? » dans (Borzeix et Fraenkel [coord.]),

Langage et travail : communication, cognition, action, Paris : CNRS, 2001.