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culture du dire, culture du faire et promesse de créativité

II. L’enjeu du collectif

La référence créative passe donc par le fait de bousculer les modèles traditionnels d’organisation du travail. Selon le « coach agile et consultant en transformation numérique », Séverin Legras, « une transition vers l’agilité implique notamment une transformation du management : le leadership se transforme pour promouvoir l’initiative et la responsabilisation des collaborateurs, à défaut de distribution et de contrôle des tâches » (2014, p. 6). En mode agile, les équipes de taille réduite se gèrent en autonomie, la volonté est de gommer les hiérarchies. Selon S. Bacquere et M-N. Viguié, travailler en collectif permet de valoriser son socle de compétences au sein de l’équipe : ce serait un moteur de créativité.

1) Promesse de « communauté » vs objectif de collaboration

Le collectif s’exprime dans deux promesses distinctes : un objectif de collaboration pour les équipes de collègues participant aux ateliers nod-A, et une promesse de « communauté » pour Museomix où les équipes travaillent autour d’une convergence de valeurs. En reprenant l’idée de Ferdinand Tönnies (2010), nous distinguons collaboration de « communauté ». La collaboration se fonde sur des règles formelles et un objectif commun en termes de travail. La « communauté » renvoie à un groupement d’individus partageant les mêmes valeurs et croyances, et dont les liens d’interdépendance sont vécus principalement sur le mode affectif. Cette promesse de « communauté », dans le dispositif Museomix, s’exprime dès l’arrivée des participants le 1er jour : tous doivent signer la « Charte du museomixeur » 10 qui les incite à travailler en « CO-création » dans un « esprit collaboratif » « convivial et joyeux ». La créativité se déploie par une bonne ambiance, mais y contribue également11. Les prototypes réalisés sont sous licence libre Créative Commons, ce qui facilite l’utilisation des œuvres. Le museomixeur s’engage à partager ses idées et ses productions. Les enjeux de cette notion de « communauté » sont donc fortement liés à la mise en commun des données. Au sein de Museomix, les équipes pluridisciplinaires s’auto-constituent le premier jour en fonction d’« un jeu de rôles clairement défini et relativement complexe » (Rojas, 2015). Cette volonté d’horizontalité au sein des équipes fonctionne tout de même autour d’une organisation maîtrisée. On constate l’usage d’une terminologie indigène, propre à l’événement et renvoyant à une logique de « communauté » : les participants ont à disposition un fablab (voir notamment Suire, 2016) et un « techshop », sont aidés par des « ingénieux » et des

10 http://www.museomix.org/wp-content/uploads/2014/11/Charte-du-museomixeur.pdf 11 À ce sujet, voir Couillard, 2013.

« museopropulseurs », chaque équipe est guidée par un « facilitateur ». Cette promesse produit du symbolique, l’objectif est notamment de créer un sentiment d’appartenance à une

communauté créative.

Lors des ateliers nod-A, c’est plutôt un objectif de collaboration qui est mis en avant. Les participants aux ateliers ne sont pas bénévoles comme le sont les « museomixeurs », ils sont employés, donc collaborateurs de l’entreprise qui fait appel à nod-A. L’enjeu est d’améliorer leurs pratiques de travail, ils ont un intérêt fort à se prêter au jeu. Aussi, les enjeux économiques n’étant pas les mêmes qu’à Museomix, il serait intéressant d’analyser davantage cette contrainte financière comme facteur faisant varier la liberté laissée aux participants.

2) Le temps du « sprint » : entre émulation, aspect ludique et phase de prototypage Le temps des ateliers est envisagé comme un facteur essentiel dans le processus de créativité. En mode agile, on travaille en temps limité, on parlera alors de « sprint ». Ce format introduirait, selon S. Bacquere et M-N. Viguié, une « nouvelle manière de travailler à la fois plus joyeuse et plus efficace » (2016, p. 67). Elles en définissent 3 grandes caractéristiques : un temps de travail collaboratif, un temps court et un même lieu, et des résultats concrets (la réalisation d’un ou plusieurs prototypes à la fin). Est en jeu un succès collectif qui est dynamisant. La créativité entend s’épanouir dans la stimulation provoquée par la contrainte de temps et l’ambiance ludique qui en découle. Il apparaît que la créativité des « museomixeurs » émerge également parce qu’en tant que bénévoles, ils ne sont pas confrontés aux problématiques organisationnelles du musée dans lequel ils évoluent seulement durant trois jours. Dans le cadre des ateliers nod-A, il semble que l’intention d’horizontalité est effective pendant la durée de l’atelier, tous ayant les mêmes étapes à suivre et les mêmes outils à manipuler ; après le sprint, chacun reprend son rôle dans l’entreprise. Le « makestorming » suppose que l’émergence de la créativité est aussi générée en étant dans

le faire. La promesse commerciale de l’approche de S. Bacquere et M-N. Viguié est de

dépasser le simple brainstorming pour proposer aux participants une dynamique qui se veut créative et permet de fédérer des individus dont l’objectif est l’amélioration continue d’un prototype. Le prototypage est la phase ultime correspondant à la matérialisation effective de ce qu’a produit le travail en collectif, que ce soit dans Museomix ou dans les ateliers nod-A, phase qui permettrait d’« incarner l’expérience que l’on veut proposer, comme on peut et à tous les stades du projets » (Bacquere, Viguié, 2016, p. 140). La volonté est donc de tendre à un prototype fonctionnel et de produire un réel engagement à la créativité dans sa réalisation. Il nous semble que cela est valorisant pour les participants. Si le dispositif global de Museomix est extrêmement cadré, une grande marge de liberté est permise aux « museomixeurs » – tout au moins dans ce que nous avons vécu à Paris et à Reims. À l’inverse, nod-A monte des ateliers dont l’objectif est davantage quantifié dans une visée professionnelle. La forme du prototype est pensée en amont dans la phase de « co-design ». L’atelier est censé avoir un impact rapide sur les pratiques de travail.

Conclusion

Ainsi, nous souhaitions mettre en avant les points de convergence et de tension entre une culture du dire et une culture du faire, entre les discours et les pratiques liés à l’approche du « makestorming » développée par S. Bacquere et M-N. Viguié. Par cette pensée du renouvellement, inspirée par l’univers des start-up et des industries de pointe de la Silicon

Valley, il apparaît qu’elles recherchent des outils et des formats pour faire travailler des personnes ensemble autour d’un objectif commun. Si la promesse au départ est celle du bien- être au travail, nod-A propose aux entreprises de nouvelles façons d’interagir pour les employés, quand Museomix propose à des passionnés de culture de s’emparer d’un musée. Si chaque participant aux ateliers de « makestorming » doit trouver sa place dans cette nouvelle organisation du travail, ce sont indéniablement des moments permettant d’entrer en relation, de recréer du tangible et de la discussion.

Aussi, s’ajoute à cette ambition de co-présence et de faire travailler corporellement les participants ensemble, un imaginaire de la créativité qui s’ancre au sein d’une dynamique axée sur un caractère ludique et qui engage à certaines formes de créativité dans les pratiques de travail. Mais ici, la frontière entre le ludique et le créatif nous semble difficile à définir, et il pourrait se jouer là une limite de cette référence créative. Par ailleurs, cette créativité au travail laisse imaginer une vision idéale de l’entreprise et sert en partie un discours managérial. Si nod-A emploie bien des « méthodes agiles » pour mettre en place ses ateliers, les entreprises, qu’elles soient publiques ou privés, ne travaillent pas forcément en mode agile. La capacité à accueillir ces pratiques peut être remise en cause par les participants. La méthode étant basée sur la production collective, si le groupe ne fonctionne pas, alors l’atelier ne donne pas de résultats satisfaisants (voir à ce sujet Collignon, Schöpfel, 2016, p. 14). Cet aspect nécessiterait donc une certaine pédagogie pour motiver l’adhésion des participants. Enfin, ces temps courts d’atelier semblent confrontés à des logiques plus ancrées dans l’organisation de l’entreprise ou des logiques organisationnelles dans le milieu muséal, les deux milieux étant davantage habitués au temps long. Si l’effet est motivant, bénéfique sur l’instant et le dialogue incontestablement rendu possible, qu’en est-il après l’atelier nod-A pour les employés ou une fois l’événement Museomix terminé pour le personnel du musée ? Pour la suite de cette étude, nous voudrions interroger la portée des « sprints ». S’ils ont surtout l’avantage d’accélérer la conception d’un produit, peuvent-ils permettre une innovation et un renouvellement des pratiques de travail dans le fond qui finissent par gagner tout l’environnement de travail ? Les « museomixeurs », parce qu’ils sont volontaires, ont un rapport positif à l’agilité a priori, mais quel est l’impact sur le personnel du musée qui, selon la règle, n’accueillera un Museomix qu’une seule fois ? Et si certaines organisations font appel à nod-A à plusieurs reprises, les outils imaginés et commercialisés par nod-A finissent- ils par bouleverser les habitudes des professionnels dans leur rapport à leur activité salariée et au travail en équipe ? Et dans les deux cas, quelle est la portée concrète des prototypes ?

Bibliographie

ANDERSON C., Makers : La nouvelle révolution industrielle, Londres, Pearson, 2012. BACQUERE S. & VIGUIE M-N., Makestorming. Le Guide du Corporate Hacking, Paris, Diateino, 2016.

COLLIGNON A., SCHÖPFEL J., « Méthodologie de gestion agile d’un projet. Scrum – les principes de base », I2D – Information, données & documents, 2016, vol. 53, p. 12-15.

COUILLARD N., Synthèse de « MUSEOMIX. Analyse qualitative de la réception des participants de l’événement », Rapport d’étude commandé par le Département de la politique des publics, la Direction Générale des Patrimoines, le Ministère de la Culture et de la Communication, décembre 2012-janvier 2013.

LEGRAS S., « L’agilité, nouvelle transformation pour l’entreprise », Documentaliste-

Sciences de l’information, 2014, n° 4.

RIES E., Lean start-up, Londres, Pearson, 2012.

ROJAS E., « Museomix, un dispositif de créativité au carrefour de logiques et d’enjeux hétérogènes », in ANDONOVA Y. et al., Injonction de créativité et création sous

contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l’épreuve du numérique,

Actes de colloque, 82e Congrès de l’ACFAS, Montréal, 2014.

SUIRE R., « La performance des lieux de cocréation de connaissances. Le cas des FabLabs », Réseaux, 2016, n° 196, p. 81-109.

TÖNNIES F., Communauté et société, Paris, PUF, 2010.

VIDAL G., « Museomix 2013 au Musée des Arts Décoratifs-Paris », avec la collaboration de JAUNIAU C. et la participation de GAGNEBIEN A., 2014.