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Nouvelles dynamiques du capitalisme contemporain Sujet, travail, créativité dans le contexte brésilien

1. Domaines contemporains du capital

Dans le domaine du capitalisme cognitif et du néolibéralisme, les performances assurent une place centrale dans la production de subjectivité. Le mot performance est pris ici dans le sens fort attribué par Schechner (2006): « comportement doublement restauré ». Dans ce contexte on passe du sujet productif, lié à l’univers de l’usine, au sujet efficace, docile au travail, qui se livre aux discours, aux articulations et aux pièges de tout type qui devient un sujet- entreprise. Ainsi, la consigne est de produire, de se produire, d’accomplir une performance (Dardot, Laval 2016).

Toute cette logique peut être aperçue quand on passe de la société disciplinaire, typique des usines et de leurs régimes, à la société de contrôle, plus dispersée et rapportée étroitement au champ technologique, caractérisé par Deleuze à propos des réflexions de Foucault. Dans son

Post-scriptum: sur les sociétés de contrôle, l’auteur nous montre ce passage en détail,

notamment quand il pointe les nouveaux modes de fonctionnement du monde, particulièrement dans sa réflexion sur les mécanismes de contrôle introduits. Il afirme ainsi : « Il se peut que de vieux moyens, empruntés aux anciennes sociétés de souveraineté, reviennent sur scène, mais avec les adaptations nécessaires. Ce qui compte, c’est que nous

sommes au début de quelque chose » (Deleuze 1992 : 225). Deleuze signale encore le déploiement de ce régime de contrôle qui ouvre d’anciens espaces confinés de la société disciplinaire telles que les prisons, les hôpitaux et les écoles. « Dans le régime d’entreprise : les nouveaux traitements de l’argent, des produits et des hommes qui ne passent plus par la vieille forme-usine. Ce sont des exemples assez minces, mais qui permettraient de mieux comprendre ce qu’on entend par crise des institutions, c’est-à-dire l’installation progressive et dispersée d’un nouveau régime de domination » (Deleuze 1992 : 225).

Ce régime de l’organisation défini par Deleuze, caractérise de façon assez précise le mode d’action et l’arrangement dans les offres de travail dans la vie sociale. Aujourd’hui, quand on constate que les plus grandes organisations commerciales du monde sont liées au domaine technologique, on aperçoit la lucidité de Deleuze affirmant qu’au moment où le monde du travail incorpore les ressources technologiques de l’informatique, il ne s’adapte pas tout simplement à une évolution technologique, mais à une mutation du capitalisme (Deleuze 1992).

De nos jours, le profil public révèle nettement des modes de vie et des formes d’insertion dans le monde, ce qui amplifie l’importance de la performance et la production de soi-même. Nous ne parlons pas seulement d’un sujet qui travaille, mais d’une vaste réverbération dans toute la vie sociale, d’un mode de vie dominé par la compétition et par la concurrence, d’une forme subjective attachée à l’efficacité.

Les formes contemporaines du capitalisme s’imposent, inévitablement, de façon à construire le scénario d’une société de contrôle, telle que nous montre Deleuze. Cependant, un autre élément émerge dans le néolibéralisme en ce moment, une sorte de raison qui organise les lignes de force de la vie sociale.

Sujet-entreprise : travail et subjectivité

A partir de l’idée de société du travail (Ghiraldelli Jr. 2002 et Kumar 1977) on peut comprendre le travail comme fondatement des relations sociales, qui guide des individus dans les sociétés occidentales au XIXe et aux XXe siècles, comme le signale Bendassoli (1995 : 215) : « Au fait, le principal héritage que nous a laissé la société du travail est la conception selon laquelle celui-ci est une entité qui a un signifié objectif, autodéterminé et auto évident, sur lequel s’est fondé la plupart de nos descriptions de l’humain ».

Tout au long du siècle dernier, particulièrement à partir des années 1970, la façon dont le travail est présenté se modifie et d’autres perceptions nous font reconnaître sa place. D’après Durkheim, Weber et Marx, le travail est la question centrale de l’individu. Il fonde les relations sociales, c’est-à-dire il constitue une catégorie ontologique et fondamentale pour comprendre le sujet dans la société. Cependant, dans la contemporanéité, le travail gagne une autre signification: l’esprit entrepreneur devient sa caractéristique ainsi qu’une exigence pour que le sujet conquière sa place.

Les organisations se mettent en scène comme l’espace des réalisations valorisant l’entrepreneur. Celui-ci est reconnu pour l’usage de la raison, pour le souci d’exécution du travail et pour sa performance. Ainsi, le sujet modèle est un semblant performatif. Ehremberg (2010 :74) appelle autoréférence ce processos, car on perd les critères et les références déterminées auparavant. Le processus est guidé par des principes fixés par « ce que nous sommes et par ce que l’on devrait être ».

Le sujet contemporain est évalué selon ce qu’il produit et selon son efficacité. Alors, pour qu’il s’adapte à ce contexte, il est incité à faire une gestion efficace de sa propre carrière professionnelle. La performance est désormais mesurée et évaluée par rapport au rendement, non plus par rapport aux qualités de l’exécution du travail. Le regard de l’autre n’est pas porté sur le sujet dans sa complétude mais sur l’évaluation de sa production. Cette reconnaissance nous conduit à la notion de « moi minimal » développée par Lasch (1986), une façon de réduire le sujet à sa production sans considérer son bagage intellectuel et émotionnel. Les qualités et les capacités personnelles ne sont pas appréciées ; ce que l’on l’évalue c’est le minimum du sujet. Le regard de l’autre dans l’organisation se fonde sur ce minimum. Dans la même direction, Durand (2003) montre que l’employeur ne rémunère plus le poste mais la façon dont les sujets salariés occupent ce poste, c’est-à-dire, il rémunère chacun d’après sa performance et sa manière de se maintenir dans le poste.

De nos jours, la conception de travail change, les espaces dans les secteurs traditionnels diminuent ce qui fait surgir le travail autonome et toute l’insécurité de l’économie informelle. Dans des pays comme le Brésil, particulièrement au moment de la crise économique et politique, les relations de travail se précarisent chaque jour, ce qui fait revenir des activités telles que des vendeurs ambulants et même des fournisseurs de services d’applications (Uber, Airbnb et Cabify, etc.).

Malgré la place centrale qu’il continue à occuper dans la vie humaine, le travail dans la société contemporaine, est redéfini avec la création de nouvelles configurations pour faire face aux marchés, en modifiant les principes de l’éthique traditionnelle. Autrefois, le travail signifiait l’auto perfectionnement et contribuait au bien-être de l’humanité (Sennet, 1999). A l’heure actuelle, il se révèle comme le lieu de la productivité où les expériences vécues ne sont pas reconnues, ce qui transforme le sujet en une figure polyvalente nécessairement capable à s’adapter aux contraintes du capitalisme (Dardot et Laval, 2016).

La modification des principes et la quête d’habilités de survie se manifestent dans des discours qui reconnaissent le travail comme l’espace de luttes journalières pour atteindre des buts, pour donner le meilleur de soi, pour incorporer et pour défendre des valeurs organisationnels. Tout cela se produit comme une ligne de force modelant certaines formes subjectives qui se concentrent sur la rationalité.