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L ES TENTATIVES D ’ EXPERIMENTATION DE PRESCRIPTION DE LA MEDIATION

2. illustrations d’expérimentations

2.4. Tribunal de Commerce de Pau : création d’une instance de médiation

La chambre commerciale de la Cour d’appel de Pau a sans doute élaboré l’expérimentation la plus aboutie de médiation judiciaire dans un domaine civil. Elle a débuté en mars 2011 et se pratique toujours même si certaines difficultés récentes se font jour.

Nous avons été alertés de cette initiative par les collègues du CRAJ qui ont réalisé une première évaluation de cette expérimentation en 2014 (Larribau-Terneyre, Lecourt, 2014)63.

Cette expérimentation nous paraissait assez complète pour que l’on investisse le ressort de la Cour d’appel de Pau au même titre que ceux de Paris ou Lyon.

Le dispositif tient beaucoup à la personne du président de cette chambre. Il en est à l’initiative, tout comme la plupart de celles qui ont cours en matière de médiation judiciaire dans le ressort de Pau mais également de Bordeaux.

Ce magistrat positionne clairement la médiation judiciaire comme une nouvelle forme de justice ou une nouvelle manière de faire la justice64. En aucun cas, il ne place cette

expérimentation comme une quelconque forme de gestion indirecte des flux de contentieux commerciaux. Il est vrai que cette explication sied mal avec un contentieux qui est en nette régression depuis 201065, de même qu’avec le calendrier judiciaire, qui n’a réellement pris en

compte la médiation et les modes amiables que depuis quelques années. De cette manière cette expérience est bien précurseur.

Elle procède dans un premier temps à une sélection des dossiers définis comme éligibles. L’option choisie par la chambre commerciale a été de fonctionner en deux étapes. La première

63 C’est d’ailleurs un des éléments qui a rapproché les deux équipes par rapport à l’appel à projet de la mission de recherche Droit et Justice

64 Notons qu’il n’est pas le seul. C’est également le positionnement d’un président de chambre sociale à la CA de Paris dont nous évoquerons l’expérimentation dans le point suivant.

65 Entre 2009 et 2015, le nombre d’affaires nouvelles intégrant les juridictions commerciales est passée de 324727 à 173969 soit une diminution de 46 % (source : Les chiffres clés de la justice 2016 et 2010).

111 est assurée par un magistrat qui sélectionne chaque semaine les dossiers selon des critères prédéfinis. Il faut préciser que cette mission est remplie à tour de rôle par l’ensemble des magistrats, fonctionnement voulu par le président de la chambre. La seconde est une synthèse mensuelle réalisée par le président de la chambre pour assurer une cohérence de la sélection au regard des critères. De la sorte, c’est un choix qui se veut rationnel. Toutefois, ce dernier pense que le dispositif doit posséder assez de souplesse pour que des médiations puissent être proposées à d’autres moments, comme à la mise en état ou même lors de l’audience. Autrement dit, le raisonnement suivi dans cette expérimentation est à la fois rationnel et par conséquent aisément assimilable par l’ensemble des magistrats concernés, tout en s’accompagnant d’initiatives qui confinent à l’intuition du magistrat (comme c’est le cas au l’expérimentation précédente au TGI de Lyon).

Les critères de sélection mobilisés sont assez « classiques », surtout le premier. Il s’agit de retenir les dossiers dans lesquels les parties aux litiges possèdent des relations qui seront maintenus à l’issue du litige. C’est une rhétorique souvent entendue, que nous avons recueillie notamment chez le président du tribunal de commerce de Lyon.

À l’évidence, dans les affaires commerciales, la question du lien entre les partenaires peut se révéler très déterminante, malgré le conflit. Il existe des formes d’interdépendances entre des sociétés commerciales qui peuvent mettre à mal la santé de chacune d’entre elles. On pense bien évidemment au lien entre un fournisseur et une entreprise cliente. Quelle que soit la légitimité des parties dans le litige il est fréquent que les opposants aient tous quelque chose à perdre dans celui-ci. Le second critère est assez spécifique aux instances d’appel. Il s’agit de dossier où manifestement la solution choisie en première instance n’apparait pas complètement satisfaisante dans le sens où elle ne résout pas le litige ou trop partiellement nonobstant la qualité de l’argumentation juridique. Dans cette chambre, on se situe donc dans une logique d’anticipation de l’issue juridictionnelle du dossier. Le magistrat peut estimer que le règlement du litige, non seulement ne traite que partiellement celui-ci et qu’il se doit de donner aux parties des outils (comme la médiation) pour le faire, mais également penser que son action juridictionnelle n’apportera pas mieux à celle de la première instance.

L’élément qui fait l’originalité de cette expérimentation tient dans la création d’une unité de médiation, censé fournir les médiateurs nécessaires au dispositif. C’est ainsi que le président de la chambre a œuvré pour la création de l’Unité de Médiation Judiciaire à la Cour d’appel de Pau, coordonnée par le président de la chambre et ayant pour but d’accorder toutes les initiatives en matière de médiation sur le ressort de la CA de Pau voire au-delà (Bertrand, 2017). Par ailleurs trois associations de médiateurs ont été associées, sans exclusivité ni dans une logique de convention avec l’UMJ. Cependant l’instauration récente et obligatoire de liste de médiateurs entraine une sorte de lien privilégié entre ces associations et l’activité de la Cour d’appel en matière de médiation66. De la sorte, nous assistons bien à une initiative qui part d’un type de

litiges dans une juridiction spécifique pour aller vers une extension à l’ensemble de la juridiction. L’opération est à ce point détaillée qu’elle comprend l’établissement d’un référentiel sur l’office du juge prescripteur de médiation. En quelque sorte, il s’agit d’un guide pour le magistrat dans son activité de prescription qui est le résultat de plusieurs années d’exercice. Cela le conduit à agir rapidement dès la déclaration d’appel afin de respecter le délai de 3 mois pour l’appelant pour déposer ses conclusions. Dès qu’une quinzaine de dossiers sont repérés, une convocation leur est envoyée pour une réunion d’information collective et anonyme où à l’issue, le magistrat va recueillir l’adhésion ou l’opposition de chacune des parties pour intégrer une médiation,

66 Il faut noter qu’une convention proposait en 2015 de définir une liste de médiateurs agréés, disposition qui sera rattrapée par la généralisation de ces listes quelque mois plus tard.

112 sachant qu’un délai de 10 jours est accordé. Cette convocation revêt une importance particulière aux yeux du promoteur du dispositif car « contrairement à d’autres pratiques qui délèguent cette information à des permanences de médiateurs en particulier, nous considérons que le magistrat qui définit les critères de sélection et invite les parties et leur conseils dispose d’une légitimité singulière pour expliquer la proposition de médiation et recueillir l’adhésion des parties » (Bertrand, 2014, p.118). C’est sans doute pour cette raison que c’est un des rares magistrats que nous ayons rencontrés qui parle ouvertement du rôle du juge « prescripteur » de médiation, comme étant une de ses missions.

Ce dispositif a longuement été échafaudé particulièrement dans le détail. La raison tient dans le fait que le président de chambre souhaite sécuriser et clarifier le rôle de chacun des intervenants pour un processus qui a toujours un niveau de méconnaissance assez important, même chez les professionnels du droit. L’objectif est de proposer un processus que les médiés intègrent en toute confiance et connaissance.

Enfin, le dispositif insiste sur la formation, pas uniquement des médiateurs, mais également des professionnels du droit qui souhaitent utiliser la médiation. Car le pari est que le fonctionnement sera d’autant plus fluide et efficace que les acteurs auront acquis leur posture dans le cadre d’une prescription de médiation.

En résumé, cette expérimentation doit beaucoup à son promoteur, comme c’est souvent le cas de celles que nous passons en revue. Mais celui-ci étant proche de la retraite, il a bien entendu songé au problème de la pérennité et de la transmission du dispositif. La formation de magistrats à la médiation et surtout leur participation collective au dispositif sont sans doute des atouts dans la durée, car ils permettent d’inscrire une certaine culture de la médiation dans la juridiction. Or, celle-ci est le meilleur gage de continuité pour de telles opérations.

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