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L ES DIMENSIONS JURIDIQUES DE LA PRESCRIPTION DE LA MEDIATION

2. les évolutions récentes pour la médiation judiciaire : la loi J 21.

Si, depuis une vingtaine d’années, depuis la loi du 8 février 1995 portant sur la médiation judiciaire40, de plus en plus de textes sont venus encadrer la procédure de médiation, le

mouvement semble s’être accru depuis maintenant cinq ans.

La dernière modification importante est intervenue avec la loi « de la modernisation de la Justice 21ème siècle » dont l’un des objectifs est de renforcer la place des modes alternatifs de

règlements des différends dans notre procédure judiciaire.

2.1. L’instauration de la médiation en matière administrative

Une première mesure emblématique de cette loi J21 se trouve à l’article 5 du texte qui institue une véritable médiation en matière administrative.

Désormais, aux termes de l’article L. 213-7 du Code de justice administrative, « lorsqu’un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel est saisi d’un litige, le président de la formation de jugement peut, après avoir obtenu l’accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci. »

Les litiges relevant du Conseil d’Etat sont également concernés, puisque, comme le prévoit le nouvel article L. 114-1 du même code : « Lorsque le Conseil d’Etat est saisi d’un litige en premier et dernier ressort, il peut, après avoir obtenu l’accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci selon les modalités prévues au chapitre III du titre Ier du livre II. »

Si on peut discuter de l’emploi dans ces deux textes du terme ordonner, ces nouvelles dispositions constituent évidemment un développement majeur de la médiation. Dans la pratique et jusque-là, le magistrat prescripteur use d’une « ordonnance de médiation » ou d’une « ordonnance de désignation du médiateur ». Si bien que la pratique ne va pas être réorientée par cette disposition. Ainsi, on doit y voir l’extension aux litiges administratifs d’une forme de prescription déjà largement usitée.

Pour parfaire cette introduction de la médiation en matière administrative, le législateur a précisé les conditions qui devraient l’entourer. Ces conditions sont calquées sur celles de la médiation judiciaire, ce qui prouve une fois que plus que la voie de la médiation tend à devenir un mode de résolution des litiges en tant que tel, applicable à un nombre croissant de domaines de contentieux.

Ainsi, aux termes du nouvel article L. 213-2 du Code de justice administrative, « Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. »

« Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties. »

« Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants :

40 L’article 21 inaugure la présence de la médiation dans la procédure judiciaire : « La médiation régie par le présent chapitre s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ». Cf. l’Annexe n°5, pour les deux premiers titres de la loi.

58 « 1° En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;

« 2° Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre. »

Ces dispositions sont en tous points similaires à celles existantes auparavant. Les limitations « de raisons impérieuses d’ordre public » sont d’ores et déjà des limites intégrées par les magistrats dans leur pratique de prescription.

« Je ne suis pas à l’instance donc par nature et par principe c’est sous la responsabilité de leur conseil que l’homologation doit se faire. Il est évident qu’il ne faut pas qu’il y ait violation de règles d’ordre public (…). Mais cela ne doit pas se passer évidemment et j’ai une procédure avec représentation obligatoire donc nécessairement leur protocole m’arrive par leurs

conseils. » Magistrat – TGI Lyon

C’est moins le cas pour la seconde exception car dans bien des dossiers, les parties préfèrent garder secret le contenu de l’accord quitte à ne pas bénéficier de la sécurité de l’homologation en pratiquant un simple désistement d’instance.

En définitive, on assiste à l’extension du domaine de prescription de la médiation dans les litiges administratifs. La loi J21 accentue le mouvement de prescription, autorise plus de possibilités en la matière mais n’est pas un véritablement un moment fondateur. Nous allons voir que ce constat est commun à l’ensemble des dispositions de cette loi qui portent sur la médiation.

2.2. La modification de la médiation familiale

Les règles encadrant la médiation familiale sont également modifiées par la loi J21. Pour être plus précis, le législateur a choisi d’écarter cette médiation d’un type particulier lorsque des violences ont été commises par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant. Cela rejoint les dispositions citées plus haut et pose d’une certaine manière les limites de l’exercice et de la prescription de la médiation. Désormais, aux termes de l’article 373-2-10 du Code civil, le juge peut enjoindre aux parents, de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de cette mesure en dehors des cas de violences précisés plus haut. Cette modification permet de se conformer à l’article 48 de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la France le 4 juillet 2014, qui oblige les États parties à prendre des mesures législatives pour interdire les modes alternatifs obligatoires de résolution des conflits en cas de violence. De plus, cette évolution confirme les bornes qui entourent l’utilisation de la médiation, clarifie la réponse au débat sur la pratique de la médiation (familiale ou non) en cas de manifestations de violence. Plus fondamentalement, cela confirme que la médiation n’est pas un processus niant toute cadre légal mais qu’au contraire le législateur lui en fournit progressivement un.

59 Par ailleurs, pour favoriser un développement futur de la médiation familiale, la loi J21 a également fait le choix de rendre celle-ci obligatoire à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2019 dans 11 TGI. L’expérimentation va porter uniquement sur les litiges post-divorce, autrement dit les litiges pour lesquels les divorcés reviennent devant le juge en raison d’un différend sur l’application des dispositions du divorce. Le législateur souhaite donc envisager non pas la médiation obligatoire mais le fait que le justiciable puisse être informé sur le processus de médiation.

Dans ces juridictions, à peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office, la saisine du juge par le ou les parents doit donc être précédée d’une tentative de médiation familiale, sauf :

1° Si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l’homologation d’une convention selon les modalités fixées à l’article 373-2-7 du code civil ;

2° Si l’absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;

3° Si des violences ont été commises par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant.

Il s’agit ici de généraliser les expériences conduites entre 2012 et 2014 dans les tribunaux de grande instance d’Arras et de Bordeaux. Celles-ci ont en effet été jugées très concluantes puisque le taux de succès des médiations a atteint 77 %. Avec de tels résultats, on ne peut pas exclure que le dispositif soit généralisé.

2.3. La médiation dans les actions de groupe

Toujours dans les innovations, la loi J21 prévoit l’intégration de la médiation dans la procédure d’action de groupe dont le domaine a été considérablement élargi.

Aux termes de l’article 75 de la loi, les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent désormais « participer à une médiation, dans les conditions fixées au chapitre Ier du titre II de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels. »

Cette procédure de médiation peut être engagée à n’importe quelle phase de l’action de groupe. Elle est complétée par une formule de règlement amiable spécial propre aux actions de groupe : la procédure collective de liquidation des préjudices.

Toutefois, la pratique de l’action de groupe étant récente, on peut s’interroger sur la place que va prendre la médiation dans les voies de résolution des litiges concernés. Qui plus est, rien n’est précisé sur les modalités de représentations, autrement dit quelles seront les personnes habilitées à jouer le rôle de médié. Enfin, du côté de la prescription judiciaire, aucun élément incitatif ou orientant vers la médiation n’a été porté au texte de loi. On peut donc penser que l’usage de la médiation dans ces cas de figure sera très limité.

2.4. L’instauration d’une liste auprès des CA

Pour favoriser le développement de la médiation judiciaire, l’article 4 de la loi J21 prévoit, lui, l’insertion d’un nouvel article 22-1 A dans la loi du 8 février 1995. Le texte enjoint la création

60 qu’une liste de médiateurs dressée pour chaque cour d’appel dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’Etat pris dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21ème siècle. Cependant,

pour l’instant, aucun décret n’a été adopté. Ce qui n’a pas empêché pour autant les tribunaux de s’organiser pour établir ces listes de médiateurs.

Cette disposition a reçu écho considérable dans les tribunaux. Il s’agit d’une demande plus ou moins explicite chez les magistrats, à tout le moins qui faciliterait leur action de prescription. Ce projet de liste suscite cependant plusieurs interrogations :

Tout d’abord, sur quels critères seront choisis les futurs médiateurs inscrits sur ces listes ? À l’instar des experts, devront-ils prêter serment devant la cour d’appel ? Devront-ils rendre des comptes sur leur activité ? Si oui, sous quelle forme et à quelle régularité ? Dans quel cas pourra- t-on retirer un médiateur de la liste ? Dans quelles conditions un médiateur peut-il intégrer la liste une fois celle-ci établie ?

Toutes ces questions sont liées à une crainte plus grande, celle de voir la création de cette liste de médiateurs alignée sur le modèle de la liste des experts judiciaires près la cour d’appel prévue par la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 et prendre comme référentiel - ce qui était envisagé dans la première rédaction du texte de la loi – les paramètres de recrutement et de désignation des experts auprès des mêmes cours d’appel. Si cette crainte est présente chez les médiateurs, elle l’est également chez les magistrats qui prescrivent aujourd’hui des médiations. Car il faut noter que la plupart des magistrats prescrivant aujourd’hui régulièrement des médiations ne désignent pas directement un médiateur dans leurs ordonnances de médiation et préfèrent renvoyer ce choix à l’organisme de médiation qu’ils désignent, même s’il ne s’agit pas là d’une pratique homogène et généralisée.

Il semble donc que cette disposition – qui part de l’idée de faciliter l’action de prescription de la médiation et donc sa présence dans les tribunaux – n’est pas aboutie et qu’elle demandera sans aucun doute des aménagements et des modifications futures.

2.5. La conciliation obligatoire

Enfin, une autre évolution importante apportée par la loi J21 ne concerne pas directement la médiation judiciaire mais la conciliation. On sait que les confusions sont nombreuses entre les deux modes amiables et le législateur n’a pas toujours œuvré dans le sens d’une clarification et d’une distinction entre les deux ; la loi J21 n’a pas forcément œuvré dans ce sens (Gorchs- Gelzer, 2016). Etant donné la proximité entre ces deux procédures, il risque cependant d’avoir une influence sur le développement de la médiation.

En effet, l’article 4 de la loi impose désormais la conciliation par un conciliateur de justice avant de saisir un juge d’instance, du moins lorsqu’on procède par déclaration au greffe et non par assignation. La disposition vise uniquement les petits litiges, ceux inférieurs à 4000 euros. Pour tous ces litiges, il ne sera désormais plus possible de saisir le tribunal d’instance par déclaration au greffe qu’après une tentative de conciliation. En cas de non-respect de cette obligation, le juge pourra prononcer (même d’office) l’irrecevabilité de la saisine.

Cette obligation n’est pas originale. En effet, le décret n°2015-282 du 11 mars 2015, codifié dans le Code de procédure civile, prévoit également depuis le 1er avril 2015 que les assignations

et requêtes doivent préciser « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » (CPC, art. 56 et 58). En revanche, la sanction prévue est ici différente. En

61 effet, jusqu’à présent, en cas de non-respect de ces diligences, la seule conséquence envisagée était que le juge propose aux parties une conciliation ou une médiation (CPC, art. 127). Avec la nouvelle loi, un pas est franchi car la sanction est l’irrecevabilité de la demande, même si cela ne concerne que la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe et même si des exceptions sont prévues, notamment si le requérant demande l’homologation d’une transaction lorsque les parties sont déjà parvenues à un accord – par une sorte de transaction dans la conciliation.

Cette sanction sévère et redoutable est empruntée au régime des clauses de conciliation préalable obligatoire qui rendent l’action irrecevable si elles ne sont pas respectées.

D’une manière plus globale, on entrevoit une tendance de fond qui privilégie les modes amiables comme voie d’entrée à la justice. Si les dispositions que nous venons de décrire concerne essentiellement la conciliation, nulle doute que la médiation est à mettre à la même enseigne. Car c’est l’ensemble des modes amiables qui, progressivement, devient incontournables.

2.6. Favoriser l’implication des avocats

En plus de ces innovations introduites par la loi J21, on notera enfin parmi les dernières évolutions législatives et réglementaires le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016. Ce décret a inséré dans le décret du 19 décembre 1991 un chapitre IV bis relatif à l’aide à la médiation qui prévoit, dans un nouvel article 118-9, les modalités de rétribution de l’avocat. Le premier alinéa de cet article prévoit que, dans le cadre d’une médiation judiciaire, une majoration définie dans le barème figurant à l’article 90 du décret du 19 décembre 1991 est appliquée à la rétribution de l’avocat. S’agissant de la médiation judiciaire en matière familiale, le décret a revalorisé le montant de la majoration au profit de l’avocat lorsque le juge ordonne une mesure de médiation. Par ailleurs, le décret a introduit dans le barème figurant à l’article 90 du décret du 19 décembre 1991 une majoration de 4 UV pour les procédures au titre desquelles le juge a la possibilité d’ordonner une médiation.

Ces nouvelles majorations sont entrées en vigueur à compter du 1er janvier 2017. Elles sont applicables à toute demande d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision d’admission intervenue à compter de cette date. Ainsi, pour une mission de médiation réalisée en 2017 à la suite d’une décision d’admission datant d’avant le 1er janvier 2017, l’ancien régime de majoration

sera applicable, soit 2 UV pour les majorations pour une mesure de médiation ordonnée par le juge en matière familiale.

Ces dispositions, très techniques, doivent être comprises comme facilitant l’investissement des avocats dans les procédures amiables, en particulier la médiation. Nous verrons par la suite, que l’implication des avocats n’est pas acquises, qu’ils sont parfois réticents au processus de médiation, voire hostile. L’enjeu est donc de reconnaître la place de l’avocat comme accompagnateur, ce que tente de faire le législateur en valorisant cette posture, une manière de rappeler qu’en médiation judiciaire l’avocat doit jouer un rôle et n’est en rien exclu du processus.

Les dimensions juridiques de la prescription de la médiation ne sont pas encore abouties. Si l’étape de la loi J21 marque un moment important, il n’est pas fondateur. Il laisse encore en suspend nombre de questions sur les modalités de la prescription, questions auxquelles les acteurs prescripteurs tentent de donner des réponses concrètes aux travers de leur pratiques et des dispositifs qu’ils produisent parfois. C’est ce que nous proposons de voir à présent.

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PARTIE C

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