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L ES PRATIQUES DE PRESCRIPTION

3. La prescription chez les médiateurs

3.1. Un rôle de soutien à la prescription

La prescription de la médiation n’est pas vraiment une mission assumée par les médiateurs ; elle l’est peut-être plus par les associations ou instances de médiation. C’est donc au niveau de l’organisation que se jouerait le fait d’inciter des personnes à choisir la médiation judiciaire lorsqu’ils ont affaire à un litige ou un conflit à caractère juridique. Cependant, il faut convenir qu’une ambiguïté peut exister chez les médiateurs entre la prescription et la promotion de la médiation. Le second élément répond aux actions visant à faire connaître la médiation auprès d’un public qui soit la méconnait soit ne possède aucune représentation de celle-ci. La prescription, comme nous l’avons précisé au début de ce rapport est en lien avec l’ensemble des actions qui visent à orienter vers un processus, ici la médiation, quel que soit le niveau de connaissance a priori de ce processus chez la ou les personnes concernées. Bien évidemment ces deux actions sont souvent complémentaires, mais elles ne peuvent se substituer totalement l’une à l’autre.

Cependant, les opérations de promotion de la médiation se multiplient et l’on peut se demander si elles n’auront pas un effet sur la prescription. D’ailleurs la plupart des médiateurs ont conscience qu’il est de leur devoir d’informer sur la médiation.

Dans le domaine institutionnel, on peut signaler quelques initiatives qui visent à toucher le grand public, comme la présence d’un stand « médiation » à la foire de Lyon depuis 2 ans. Pour ce qui concerne la médiation judiciaire proprement dite, on peut souligner l’initiative de plusieurs instances de médiation, comme le CIMA à Lyon, qui tentent d’instaurer une relation régulière est privilégiée avec le monde judiciaire. Enfin, il faut signaler également la création du portail de la médiation de la région Lyonnaise et Grenobloise55.

Cependant, il apparait à l’analyse que le travail de prescription n’est pas une tâche qui semble assumée directement par les médiateurs. On peut avancer deux explications à cela. D’une part de nombreux médiateurs sont également avocats ou d’anciens avocats. Dès lors, la prescription de la médiation relève du conseil au client. De nombreux médiateurs rencontrés et exerçant cette profession dévire sur cette question connexe dès qu’on les interroge sur notre problématique :

« Les trois associés au cabinet, on est trois médiateurs et on a une valeur ajoutée... Surtout au regard de ce qui se préfigure dans les pratiques de la profession. Les avocats dans

leur culture, dans leur pratique quotidienne la médiation comme vraiment un outil à leur service autant qu’à celle de leur client, ce sont ceux qui émergeront, incontestablement. Parce que leur discours va correspondre à un besoin sociétal. La manière dont ils vont envisager le conseil ou le procès – puisque si on vient les voir il y a un litige, donc c’est l’aspect juridique du dossier… “ Et vous avez pensé à la médiation ? Bien, je vais vous en parler ! ”. Voilà

comment on l’utilise. » Médiateur et avocat

55http://www.mediateurlyon.fr/ Toutes des initiatives ont eu lieu au cours des deux dernières années écoulées, autrement dit durant l’étude dont il est fait ici le rapport. Cela démontre qu’une dynamique existe bel et bien en matière de médiation, dynamique qui, au regard de ces faits, s’intensifie.

88 La seconde raison tient au fait que dans le domaine judiciaire, la médiation reste à l’initiative du magistrat. Dans ce cas de figure, le médiateur lui est dépendant et doit transformer son travail de prescription de la médiation en celui de convaincre les parties de saisir l’opportunité ouverte par le magistrat. Ce second registre – que l’on peut qualifier de soutien à la prescription de la médiation – est quant à lui bien identifié par les médiateurs. Il s’agit de faire en sorte que les prescripteurs « naturels » à savoir les magistrats et les avocats de par leur mission de conseil soient relayés par les médiateurs pour amener le client à la médiation. Dans l’extrait d’entretien qui suit, émanant d’un médiateur également avocat, le travail de prescription décrit reste celui de l’avocat. À aucun moment ce médiateur ne se positionne comme prescripteur en tant que médiateur :

« Plus de médiateurs c’est très sympa mais s’il n’y a pas d’avantage de prescription cela ne sert à rien d’avoir des milliers de médiateurs en plus. Il faut avoir d’avantage de prescripteurs qui jouent convenablement leur rôle de prescripteur car ce n’est pas non plus la

panacée, ce n’est pas non plus la médiation ou rien. Il faut vraiment savoir faire la bonne recommandation au bon moment c’est ce qui est intéressant dans les rôles de prescripteur. Un

avocat comme d’autres intervenants peuvent avoir comme objectif de mieux prescrire et plus prescrire pour que la médiation se développe dans de meilleures conditions. » Médiateur et

avocat

« Savoir faire la bonne recommandation » dit-il pour ensuite bifurquer sur l’avocat (« comme d’autres intervenants ») sera le fil rouge de son argumentation. Plus loin il ajoute que cette mission de prescription se poursuit dans le fait de convaincre l’autre confère du bien-fondé de la démarche :

« (…) je considère que quand je suis avocat et que je suis prescripteur d’une médiation je suis déjà le processus pour convaincre le client de l’intérêt pour lui d’aller en médiation, et après je fais le processus de médiation avec l’autre partie ou avec l’autre confrère qui connait bien la médiation ou qui est contre la médiation. Je suis avec lui ce processus pour aller avec lui en médiation. Donc c’est vraiment la formation médiation qui me permets de faire le mieux possible ce job d’avocat-accompagnateur de mon client dans la médiation et d’avoir un

autre avocat qui essaye de convaincre l’autre client d’aller en médiation. » Médiateur et avocat

On peut noter une ambiguïté repérée de nombreuses fois chez les médiateurs également avocats, la difficulté à placer une ligne de partage claire entre l’avocat prescripteur et le médiateur prescripteur. L’insistance avec laquelle nos interlocuteurs ont eu recours à la posture de l’avocat accompagnateur confirme cette difficulté à concevoir la prescription de la médiation par le médiateur en tant que tel.

Ainsi, dans le cadre de la médiation judiciaire, la marge de manœuvre des médiateurs en matière de prescription semble réduite. Soit elle consiste à fournir ou conseiller les éléments nécessaires pour que ce dernier incite son client à opter pour cette voie, ce qui peut être facilité

89 lorsque le médiateur est également avocat, soit elle consiste à soutenir une proposition émanant du juge et qu’il doit accompagner.

Sur ce dernier point, les médiateurs rencontrés sont assez unanimes pour souligner l’intérêt de médiations proposées lors d’audience, des expériences auxquelles ils ont parfois participé. Les médiateurs sont présents au côté du magistrat lorsque celui-ci fait part de son intérêt pour la médiation dans le dossier qui lui est soumis et qu’il en informe les parties. Et il vient en soutien de la proposition pour informer tant les parties que l’avocat de l’intérêt pour eux de la médiation56.

« C’est un magistrat qui est actuellement en charge du fonctionnement de ses médiations, je pense que c’est lui qui a eu l’idée depuis un certain nombre d’années, M. X conseiller à la Cour d’appel chambre sociale, au pôle Y. Il est très favorable à la médiation bien entendu et il a mis en place il y a je pense 5-6 ans ce type de médiation qui peut être proposé après les plaidoiries. On invite les parties à prendre une information si elles en sont d’accords auprès du médiateur qui est là. Le médiateur donne son info. Si les parties décident d’aller en médiation il est d’usage devant les chambres de nommer le médiateur qui été présent et qui a

donné l’information. Sauf, évidemment – et les gens ne le savent pas toujours, il faut bien le rappeler, cela fait partie de ce que l’on disait tout à l’heure – si les parties disent “ok je veux

aller en médiation mais pas avec vous, votre tête me revient pas”, ils sont totalement libre de dire au juge non je veux un autre médiateur. Et dans ce cas-là le juge nommera un nouveau

médiateur. Moi je fais cela à la cour d’appel depuis deux ans maintenant à peu près.

- Cela veut dire donc qu’il y a déjà eu un jugement.

- Oui 4-5 ans après. Parfois c’est après cassation. Parfois après plusieurs renvoi de la cour d’appel on peut aller en médiation. De mon expérience j’ai vu des cas où cela fonctionnait. (…) Très souvent les avocats n’ont pas très envie d’aller à cette réunion d’information : “ ah non je ne peux pas, j’ai une autre audience, je dois m’en aller après…

” J’insiste : “3 minutes ! C’est bien que vous restiez auprès de votre client pour vous expliquer ce que peut vous apporter la médiation”. On arrive à les convaincre. Car déjà on

passe de l’affrontement – c’est toujours une épreuve désagréable les plaidoiries à la cour d’appel dans ce domaine en particulier – on arrive tout de suite à l’apaisement, si bien évidemment j’ai donné l’information de façon a priori apaisée et adaptée. Et si une partie, en

l’occurrence souvent le salarié, est présent, il est à l’écoute, on suscite son intérêt. Parce que si le magistrat a bien fait sa recommandation (prendre l’information sans obligation d’entrer en médiation), si le magistrat a bien fait le job, (…) si c’est bien fait tout cela vous n’êtes pas

du tout rassuré après avoir plaidé, vous êtes dans le doute. Il n’y pas la décision et le juge vous a fait comprendre qu’il y a de l’aléa judiciaire dans votre histoire… » Médiateur et

avocat.

Ainsi la présence des médiateurs à des audiences où des propositions de médiations vont être prononcées participe à ce rôle de soutien à la prescription. Son rôle est de concrétiser, dans

90 l’instant, une proposition qui peut être alors très hypothétique et que la présence des médiateurs va en quelque sorte incarner.

Même si les médiateurs sont au cœur de la médiation, ils ne semblent pas l’être pour sa prescription. Ils sont présents comme soutien à une prescription qui est décidé par d’autres (les magistrats pour l’essentiel) et doivent amplifier un mouvement qu’ils n’initient pas. C’est là une des fragilités des médiations judiciaires et peut-être des médiations en général. D’autant que leur désignation n’est non plus pas complètement autonome.

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