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L ES PRATIQUES DE PRESCRIPTION

3. La prescription chez les médiateurs

3.3. Est-ce que le médiateur doit posséder des compétences juridiques étendues ?

Une des distinctions marquantes chez les médiateurs portent sur la propension à s’éloigner des références et des catégories strictement juridiques. Comparativement aux magistrats et aux avocats cette exigence est nettement moins marquée notamment quant à son caractère indispensable. À titre d’illustration, nous avons recueilli le discours d’un médiateur – par ailleurs avocat – qui souligne qu’agir en tant que médiateur doit nécessairement conduire à s’éloigner des catégorisations juridiques :

« On a coutume de dire que le conflit est ce qui intéresse le médiateur et le litige est ce qui intéresse le juge. Dans le conflit il y a le litige. Le conflit c’est qui intéresse seulement le médiateur. Moi, plus que je fais de médiation, moins que je fais de droit. Moins je suis avocat dans ma pratique de médiateur, moins j’ai de vision juridique, technique du dossier… Je ne l’occulte pas, mais ce n’est plus ma priorité. J’avais l’habitude dans le début de ma pratique de voir, de connaître le dossier. Et après de multiples échanges et formations, je fais partie de ceux pour qui le dossier je ne vais pas le connaître avant. » Médiateur et

avocat

Un autre, qui n’est pas un professionnel du droit, a remis en cause ce lien entre médiation et compétence juridique, lien qu’il faisait il y a maintenant longtemps alors qu’il s’initiait tout juste à la médiation :

Moi je n’avais aucune formation ni juridique, ni surtout à la résolution de conflit lorsque j’ai rencontré X. Pour moi la seule façon de régler un conflit, les deux seules façons de régler un conflit c’était la négociation et le tribunal. Et évidemment je ne suis pas crétin au point de

ne pas savoir ce qu’était l’arbitrage, mais pour moi l’arbitrage c’est le tribunal. Quand on a eu ce conflit, alors je savais ce qu’était la médiation mais dans ma tête un médiateur était un juriste – c’était un professeur de droit qui m’avait parlé de la médiation d’une école de droit bien connue... A tort j’ai considéré que c’était un truc de juristes. Mais quand ce conflit qui était dans 13 juridictions internationales, qui m’a concerné 13 semaines d’affilées à T. parce que la société était une société des Y, et que je me suis rendu compte de la totale impossibilité pour le juge de trancher notre différent sans couper toutes les branches de l’arbre et puis finir par la racine, parce que de toute façon ça n’avait ni queue ni tête et plus on argumentait et plus chacun avait raison. Ca s’est fini par une réunion à trois, la nuit, entre les deux chefs avocats et où on a fait émerger les intérêts de chaque partie (…). J’ai rappelé X et je lui ai dit “Dis-moi, il y a que des juristes qui peuvent devenir médiateurs ?” Il m’a dit “non” ! »

Médiateur indépendant.

Cette relation particulière avec le droit, qui n’est ni totalement absente chez les médiateurs, ni totalement déterminante à leurs yeux, peut entrainer des dissensions sur la question de la désignation du médiateur. Il peut y avoir un hiatus entre les médiateurs et les magistrats ces derniers étant peut-être plus tentés de nommer des médiateurs justifiant de connaissances juridiques solides. Lorsqu’on pose cette question aux différents acteurs de la prescription, on

95 distingue nettement que les médiateurs sont les moins affirmatifs sur la place indispensable de compétences juridiques.

Ils ne sont que 2 sur 36 à être sur cette opinion et 61% juge même que ce n’est pas indispensable. Mais au sein des médiateurs, il existe certainement une hétérogénéité de vue qui n’apparait pas dans le tableau ci-dessus. En croisant les résultats de la question portant sur la nécessité d’une formation juridique chez le médiateur avec celles concernant la profession exercée parallèlement à celle de médiateur (ce qui est le cas de 87% des médiateurs répondants), on discerne que pour ceux qui exercent une profession juridique (n=15) la très grande majorité accorde un intérêt aux compétences juridiques. À l’inverse, ceux qui n’exercent pas une profession juridique se détournent massivement de ces compétences.

Opinion des magistrats, médiateurs et avocats sur l’exigence d’une formation juridique pour le médiateur

Magistrat Médiateur Avocat Total

Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep.

oui, c’est indispensable 5 38,5% 2 5,6% 20 36,4% 27 26%

oui, c’est préférable 8 61,5% 12 33,3% 23 41,8% 43 41,3%

non, ce n’est pas

indispensable 0 0% 22 61,1% 12 21,8% 34 32,7%

Total 13 100% 36 100% 55 100% 104 100%

Dans les entretiens réalisés avec des médiateurs cette tension au sujet des compétences juridiques est bien présente et l’extrait d’entretien retranscrit plus haut, venant d’un médiateur également avocat, ne correspond peut-être qu’à une position minoritaire. Cette question – qui semble séparer les médiateurs possédant des compétences juridiques à ceux qui ne les possèdent pas ou ne souhaitent pas en faire part en tant que médiateur – peut avoir des conséquences en matière de désignation, précisément de discours émis aux des magistrats prescripteurs. À l’évidence, posséder des compétences juridiques ne suffit pas à justifier la prescription d’un médiateur.

Opinion des médiateurs sur l’exigence d’une formation juridique pour le médiateur en fonction la profession exercée en parallèle

Médiateurs avocat ou exerçant une profession juridique

Médiateur non avocat ou n’exerçant pas une profession juridique

Eff % Rep Eff % Rep

non, ce n’est pas indispensable 3 20,0% 13 92,9%

oui, c’est préférable 10 66,7% 1 7,1%

oui, c’est indispensable 2 13,3% 0 0,0%

96 La difficulté réside dans le fait qu’en matière de prescription de la médiation, le discours des médiateurs risque d’être orienté en fonction de la posture non pas de médiateur mais de la profession principale exercée. Ainsi, le « médiateur juriste » aura tendance à plus insister sur l’exigence de certaines compétences juridique à l’inverse des « médiateurs non juriste ». Sans doute faut-il trouver dans cette tension une des difficultés pour les médiateurs à se placer comme des prescripteurs de la médiation car le discours à porter, notamment envers les magistrats, n’est pas uniforme, et pourra même apparaître, pour un magistrat peu au fait du monde de la médiation, quelque peu paradoxal.

Cependant, les catégories juridiques ne sont pas des plus déterminantes dans la pratique de la médiation. À titre d’illustration, les réponses aux questions portant sur les éléments qui pourraient orienter une affaire en médiation mobilisent faiblement des catégorisations juridiques : si pour les magistrats et les avocats la nature du litige doit être prise en compte pour la très grande majorité d’entre eux, un quart des médiateurs pensent le contraire. Il en va de même pour le critère de la matière du litige où la moitié des médiateurs ne le juge pas pertinent alors qu’ils sont moins d’un tiers à être sur cette position chez les magistrats et les avocats.

Opinion des magistrats, médiateurs et avocats sur la nature du litige comme critère à prendre en compte pour ordonner une médiation

Magistrat Médiateur Avocat Total

Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep.

oui 14 82,4% 27 73% 53 91,4% 94 83,9%

non 3 17,6% 10 27% 5 8,6% 18 16,1%

Total 17 100% 37 100% 58 100% 112 100%

Opinion des magistrats, médiateurs et avocats sur la matière du litige comme critère à prendre en compte pour ordonner une médiation

De ce fait, la dimension juridique dans la pratique et sans doute de la prescription de la médiation est moins marquée même si elle est belle et bien présente. Cela signifie qu’en médiation judiciaire, la prescription doit s’appuyer sur des arguments qui ne sont pas strictement et uniquement juridique. Cette divergence explique peut-être la difficulté que les médiateurs ont à entrer dans une dynamique de prescription, alors qu’ils semblent plus à l’aise dans celle de la promotion de la médiation, qui, si elle a pour objectif de faire connaître le processus, ne vise

Magistrat Médiateur Avocat Total

Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep.

oui 12 75% 17 50% 37 67,3% 66 62,9%

non 4 25% 17 50% 18 32,7% 39 37,1%

97 l’orientation vers ce processus que de manière indirecte, suivant la logique selon laquelle le justiciable bien informé choisira de lui-même une orientation vers la médiation.

Comme on l’a entrevu, l’enjeu de la prescription de la médiation chez le médiateur est lié à son statut. On sait que de nombreux médiateurs partagent cette activité avec une autre, dans des proportions variables, celles-ci étant souvent plus visibles et plus prestigieuses. C’est le cas de figure « classique » des avocats médiateurs. De nos jours de nombreux avocats se forment à la médiation. Cependant ce peut être dans deux objectifs divergents et qui ont des conséquences certaines sur la prescription de la médiation. D’une part, il y a ceux qui voient dans la médiation une activité parallèle à celle de l’avocat. L’avocat deviendrait médiateur, quitterait sa robe en quelque sorte pour lui substituer le costume de médiateur. D’autre part, il y a les avocats qui s’intéressent à la médiation avant tout pour les techniques qu’elles développent et qu’ils souhaiteraient intégrer dans leur propre pratique professionnelle. Dans ce cas, le changement de tenue n’est pas de mise. On comprend aisément que les avocats qui perçoivent la médiation comme un ensemble de techniques nouvelles sont moins prompts à parler de la médiation car ce qui les motive est avant tout d’ordre technique. À l’inverse le premier type d’avocat est plus susceptible de se faire le promoteur d’une pratique effective même si elle est partielle.

Nous devons considérer que la part de l’activité de médiation par rapport à l’ensemble de son activité professionnelle a sans doute peu de lien avec le fait que l’avocat va ou non se muer en prescripteur de médiation. C’est surtout la relation qu’il instaure entre les deux types d’activité qui est déterminante dans sa propension ou pas à être prescripteur. Il en va de même avec le fait d’avoir suivi une formation à la médiation, qui plus est de longue haleine. Car c’est surtout l’usage de ces contenus d’enseignements qui peut être variable. À ce titre, l’acquisition de la posture de médiateur est fondamentale mais ce n’est pas toujours ce que recherchent les avocats qui se forment à la médiation.

Cette situation conduit à rendre secondaire le fait de parler de cette activité de médiation lorsqu’on possède déjà une posture professionnelle, à laquelle la personne est renvoyée et identifiée même si celle-ci tente de mettre en avant sa connaissance de la médiation. En définitive, tout se passe comme si la posture du médiateur n’était qu’une posture sous condition, sous condition d’en justifier une autre plus visible et reconnaissable.

On comprend alors pourquoi, chez les médiateurs, nous avons remarqué que ceux qui en faisait le plus la promotion étaient des personnes qui s’investissait franchement dans ce statut encore fragile. Sur la région lyonnaise notamment, les médiateurs les plus en vue sur la promotion de la médiation sont des « anciens », soit qu’ils aient quitté leur profession initiale pour embrasser celle naissante de médiateur ou qu’ils aient terminé leur première carrière et atteint les objectifs de celle-ci, soit encore, profil bien différent, des personnes qui s’investissent résolument dans ce qui leur apparait comme une nouvelle profession en devenir. C’est dans ce dernier contingent que l’on va principalement trouver des prescripteurs de médiation dans la foulée de leurs actions de promotion tant d’eux-mêmes comme médiateur mais aussi promoteur de la médiation en direction des personnes qui la méconnaissent.

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PARTIE D

LES TENTATIVES D’EXPERIMENTATION DE

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