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D ES OBSTACLES IDENTIFIEES AUX PROPOSITIONS POUR AMELIORER LA PRESCRIPTION

1. Connaitre la médiation pour la prescrire : formation à la pédagogie de la médiation

Dans le monde de la médiation, il existe un secteur qui semble bien se porter : il s’agit de la formation. Dans le ressort de la Cour d’appel de Lyon, on compte trois pôles de formation, le premier siégeant à la Faculté de Droit et de Science Politique de l’Université Lumière Lyon 2, le deuxième à l’Institut Universitaire Catholique de Lyon et le troisième à Saint Etienne à la Chambre National des Praticiens de la Médiation. Toutes ces unités de formation ne proposent pas le même type de formation (diplômante ou non, pratique ou théorique, axé sur différents champs de la médiation ou plus généraliste, …). À cela il faut ajouter les formations (professionnelles) que dispense l’EDARA depuis quelques années, même si ces dernières sont souvent organisées autour des modes alternatifs de règlements des différends (MARD) et non spécifiques à la médiation. Dans le ressort de la Cour d’appel de Pau, l’offre est plus limitée, plus en lien avec le barreau des avocats. À Paris, celle-ci est nettement plus développée, avec la présence de plusieurs centres de formation, parfois rattaché à l’Institut Catholique de Paris comme la formation dispensée par l’Ifomène, d’autres à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CMAP) ou encore au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), mais aussi aux Universités comme celle de Paris 2 et Paris 5.

La place n’est pas au catalogage mais plutôt à la reconnaissance que la formation à la médiation commence à être bien établie dans les grands centres urbains français. Et cette offre participe sans doute à la diffusion de la médiation. Mais elle demeure encore peu organisée et présente parfois des contenus hétéroclites. Sans entrer dans le jugement, il semble que cette situation, ce manque de structuration soit mal ressenti par les potentiels prescripteurs de médiation. En effet, le magistrat ne considère pas qu’il y aille de son rôle de vérifier la compétence du médiateur. Nous n’avons pas rencontré de magistrats souhaitant maîtriser le monde de la médiation qui l’environne. Cependant, à l’exemple du cas palois, où une instance de médiation a été quasiment créée pour l’expérimentation à la chambre sociale de la CA, les rapports entre médiateurs (et leurs associations) et magistrats des tribunaux semblent s’organiser progressivement. On a constaté à Lyon un rapprochement entre le TGI et les associations de médiateurs de la région par l’entremise de Pierre Garbit, nommé par le premier président de la Cour d’appel comme chargé de mission sur les modes amiables (OMA). S’il s’est agi de fixer essentiellement des règles de fonctionnement réciproque. C’est là un signe important pour une compréhension commune et réciproque.

Car, à bien écouter les magistrats à propos de la formation des médiateurs, ils opèrent souvent une distinction entre la formation dans l’objectif d’exercer les missions et d’adopter la

116 posture du médiateur et la formation destinée à comprendre le fonctionnement général de la médiation, ou bien la médiation comme une procédure de règlement des litiges.

« Il faut que le juge s’implique, qu’il parle, qu’il expose. Il ne faut pas qu’il impose. Il faut pour le juge être patient, déjà montrer qu’il sait ce qu’il y a dans le litige et non pas convaincre, mais arriver à, en discutant avec les avocats et les parties à leur montrer qu’il y a

peut-être une autre façon de régler le conflit. Et toute la difficulté est là. Et c’est d’autant plus difficile que le juge qui n’a pas eu de formation à la médiation ne sait pas vraiment comment cela se déroule. Ce qui serait bien – sans aller vers une formation obligatoire à la médiation parce que c’est quand même lourd et long – qu’il y ait une plus forte… qu’il n’y ait pas seulement des topo sur ce qu’est la médiation par rapport à la conciliation, etc., mais

peut-être une journée entière avec des jeux de rôle, des exercices, pas forcément avec des professeurs de droit, même si le cadre juridique il n’est pas très compliqué. Mais faire toucher

du doigt ce qui se passe et comment on peut arriver à décortiquer tout cela. » Pierre Garbit.

« Toucher du doigt ce qui se passe » dit cet ancien magistrat qui s’est formé à la médiation. Car pour de nombreux magistrats, la médiation est méconnue, non pas comme un dispositif juridique (elle existe dans les codes et nombreux sont ceux qui peuvent y faire référence), mais comme un processus avec ses règles, son cadre, son fonctionnement singulier. Comme Pierre Garbit le précise, il ne s’agit pas d’une formation / sensibilisation, mais d’une formation qui va au cœur de la « machine médiation », qui permet au magistrat d’expérimenter la posture du médiateur sans avoir pour autant l’objectif de l’adopter dans sa pratique quotidienne et professionnelle. C’est en définitive une meilleure compréhension de la pratique de médiation vue de l’intérieur qui est recherchée.

Il ne semble pas que la formation à la médiation attendue par les magistrats soit celles qui visent à en faire, à plus moins long terme des médiateurs. Les juges qui sont dans cette dynamique, se formeront par eux-mêmes comme l’ont fait ceux que nous avons rencontrés et qui sont estampillés « spécialistes ou promoteurs de la médiation ». La formation à la médiation telle qu’elle semble émerger comme besoin actuel ne répond pas à cette demande. Elle vise plutôt à une sorte d’acculturation des magistrats aux processus de médiation. Car pour beaucoup de ceux que nous avons rencontrés, magistrats, avocats et médiateurs, il est malaisé de prescrire un processus qu’ils connaissent mal, voire pas du tout. Par conséquent, il est compliqué d’entreprendre un travail de pédagogie sur la médiation auprès des parties qui n’en possède souvent aucune notion.

Car, en définitive, c’est bien de cela qu’il s’agit : une acculturation qui permet d’entreprendre une pédagogie de la médiation. De cette manière la dynamique est assez proche de celle que l’on peut observer dans d’autres domaines assez éloignés que la médiation judiciaire, comme la médiation scolaire. L’objectif de cette médiation est de développer une culture de la médiation – en formant des élèves médiateurs – qui deviendront par la suite des prescripteurs (Bonafé- Schmitt, 2000).

En matière de formation à la médiation, le besoin semble assez large. Un magistrat nous a relaté un épisode où le responsable local de la formation continue de l’ENM était sollicité pour organiser une formation sur la médiation « pour savoir ce qui se passait » :

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« Je reviens sur la formation. Qu’est-ce que vous diriez s’il y avait chez les magistrats une formation à la médiation ?

Oui, tout à fait. On avait fait un colloque à l’EDARA sur la médiation. Et à l’issue de ce colloque, auquel participait notre magistrat délégué à la formation continue, il représente l’ENM pour assurer la formation permanente de tous les magistrats de la cour du

ressort, et tout le monde a convenu, tous les magistrats présents, que ce serait bien qu’on voit ce que c’est la médiation concrètement qu’on participe à une séance de formation à la médiation. Et notre MDF, comme on l’appelle, était tout à fait d’accord pour organiser au

nom de l’école de la magistrature une formation pour les magistrats à la médiation, mais à l’intérieur de la médiation. Pas ce que c’est la médiation, mais comment on forme les médiateurs à la médiation. Parce que c’est toujours intéressant d’avoir les notions de cette nature. Donc normalement ça devrait être mis en place. Et si c’était fait au plan national ce

serait encore mieux. Il y a des modules au niveau de l’Ecole de la magistrature sur la supervision, par des experts, des psychologues, des choses comme ça, sur la gestion des conflits,

des choses comme ça. Mais pourquoi pas un module sur la médiation. Sachant qu’il ne faut pas confondre quand même ; le juge n’est pas un médiateur. Mais on aimerait bien savoir ce qui se passe. Voilà, comment sont formés les médiateurs, ça c’est sûr que ça nous intrigue. »,

Magistrat – CA de Lyon.

Au-delà de la curiosité explicitée par ce magistrat qui pourtant prescrit régulièrement des médiations, on voit poindre la conviction qu’une formation à la connaissance du processus peut rassembler beaucoup plus de magistrats que ceux qui sont d’ores et déjà engagés. Nous ne savons pas si cette demande a été relayée par l’ENM, mais nous pouvons tout de même constater que des formations professionnelles sont proposées aux magistrats depuis quelques années dans le catalogue des formations professionnelles disponibles71. Qui plus est, si l’on en

croit ce témoignage, il s’avère que la demande est aujourd’hui consensuelle et très largement partagée.

Un problème assez similaire se rencontre chez les avocats lorsqu’on évoque avec eux la question de la formation à la médiation. Au détour de nos échanges, il apparait que la distinction mise en lumière plus haut est également opérante. Par de nombreux aspects, la position des avocats est assez similaire à celles des magistrats. Car, il s’agit pour eux de présenter le processus, la médiation, comme une voie possible de résolution du litige. Or, cela nécessite selon eux de connaître le processus, par forcément de l’avoir expérimenté de fond en comble ou d’avoir une expérience reconnue de médiateur. De ce fait, la formation, qui semble nécessaire pour les avocats visent des objectifs communs ; elle pourrait même intervenir bien avant la formation aux métiers d’avocats, dans les facultés de droit, puisque tant les futurs avocats et que les futurs magistrats, ils en ont fréquenté les amphithéâtres :

« Moi pour ma part, que ce soit à l’Université ou à l’école d’avocat – j’ai fini mes études en 2003 – j’ai jamais eu de formation sur les règlements amiables des litiges, médiation, j’ai jamais été formé à l’Université sur ça, mais… (…) Je pense que les étudiants en droit ça

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serait bien de faire une formation plus complète durant leur cursus notamment, alors pas en 1ère ou 2ème année, mais en master 1 ou master 2, surtout en master 1 parce que ça là où on

voit que ça touche le plus grand nombre, parce qu’en master 2 c’est des groupes de 20/30 personnes… Mais en master 1 faire une formation pour ceux qui se destinent au droit du travail, au droit de la famille, au commercial, qu’il y ait une formation sur tout ce qui est

médiation et règlement amiable des litiges ». Avocat – Lyon

Les barreaux de Lyon, comme ceux de Pau et de Paris semblent avoir pris la mesure de l’évolution des règlements des différends par des voies amiables ou non-juridictionnelles. Cependant, il semble qu’il existe encore une incertitude quant à la place que doit prendre la médiation dans l’activité de l’avocat. La méconnaissance de la médiation entretient d’ailleurs ce flou qui n’est pas sans conséquence sur la perception que peuvent en avoir les justiciables et par ricochet leur éventuelle adhésion au processus en cas de proposition. Les résultats de notre étude soulignent à plusieurs reprises que ce problème est un élément qui fait obstacle au développement serein de la médiation.

Reste que les avocats qui ont expérimenté la médiation dans leur pratique, ceux qui ont été amené à accompagner un client lorsqu’une proposition de médiation avait été émise, saisissent que cette situation exige de l’avocat d’ajuster sa posture professionnelle. C’est d’ailleurs sur ce point que les difficultés parfois émergent dans leurs propos ; comment dois-je faire sachant que je ne suis plus dans une posture de défenseur de mon client ? Sachant que celui-ci est un acteur dans le processus de médiation, quelle place vais-je occuper ?

Emerge ici la question de l’accompagnement du client par son avocat en médiation, sachant qu’il ne s’agit pas d’une sorte de transmission de dossier, comme ce peut être le cas entre confrères. Le problème de l’avocat est de savoir comment amener la médiation comme une proposition autrement dit comment agir en tant que prescripteur tout en déclinant la posture que cela implique pour lui dans ses rapports à son client au cours du processus. Cela rejoint fortement une demande que nous avons perçue chez certains représentants des barreaux au sujet du contenu de la formation lorsqu’on abordait la question de la médiation. Il s’agissait non pas de transformer les avocats en médiateur, mais de les initier à la manière de proposer la médiation à leur client lorsque le litige s’y prête.

Les enjeux que croisent l’avocat et le magistrat sont donc assez proches. Il ne s’agit pas de provoquer chez ces professionnels une remise en cause, ni même de considérer que l’on espère acquérir une nouvelle compétence dans l’exercice du métier, mais d’accompagner le justiciable vers la médiation pour le confier, en confiance, dans les mains du médiateur. Et, pour opérer de la sorte, il leur semble important à l’heure actuelle de bénéficier d’une formation adéquate et qui viserait ces objectifs. À l’analyse, il nous semble que ces formations devraient être fréquentées tant par les avocats que les magistrats.

119 Proposition n°1 : Former à la pédagogie de la médiation

- Augmenter l’exigence de formation obligatoire et continue en médiation pour les médiateurs

- Développer des formations à la médiation spécifiquement destinées aux prescripteurs de la médiation, magistrats et avocats portant sur la pédagogie de la médiation :

- La culture de la médiation

- La connaissance de la conduite d’une médiation - Comment prescrire la médiation ?

- Réguler la formation initiale et continue des médiateurs judiciaires intervenant en matière civile générale par ressort de cour d’appel

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