• Aucun résultat trouvé

Travaux réalisés à La Réunion

2 Identité et culture

Chapitre 5- Travaux réalisés à La Réunion

1- Familles et école à la Réunion

Concernant la situation à la Réunion, Simonin et Wolff (2003) soulignent que familles et Ecole « connaissent des transformations brutales et massives au sein d’une société elle- même en profonde mutation. La société réunionnaise contemporaine apparaît comme la résultante d’un télescopage entre une traditionnelle, locale, rurale et familiale et une société moderne, globale, urbaine et individualiste selon un modèle exogène et d’inspiration métropolitaine auquel participe l’Ecole. De cette interprétation des formes et des pratiques sociales émerge une forme réunionnaise de modernité. Les liens qui se tissent entre les familles et l’Ecole s’inscrivent dans ce contexte particulier. » (Ibid. p.153).

Deux matrices culturelles antagonistes coexistent à La Réunion, d’une part la tradition et la modernité et d’autre part la mondialisation de la culture et les spécificités culturelles (Hamon, 2005). De ce fait, « la société réunionnaise post-moderne est sous la double contrainte de l’hétéroculture et de la dysculturation. » (Idem. p. 232).

Le peuplement de l’île basée sur le colonialisme, l’esclavage et l’engagisme, a fait émerger une structure sociale articulée autour de l’économie de plantation, dans laquelle chaque individu selon son origine ethnique, occupe un rang dans l’échelle socio-économique. Le fait important est l’apparition d’une classe moyenne, qui constitue « un puissant moteur du changement social, elle apparaît très active dans la construction d’une modernité réunionnaise en proposant de nouveaux modèles familiaux et sociaux qui s’inspirent largement de standards métropolitains tout en n’abandonnant pas certains éléments de la tradition créole. » (Simonin et Wolff, op.cit., p.154).

Les pratiques éducatives participant à la socialisation des enfants, s’articulent autour de deux modèles, un « traditionnel » et un autre « moderne », en les combinant plus ou moins, selon les demandes scolaire et sociale. Dans le premier, « l’enfant est avant tout membre d’une communauté dont les exigences priment sur les siennes….dés le plus jeune âge

il est soumis à l’autorité de l’adulte qui exerce un contrôle serré des comportements en société.» (Ibid. p. 155). L’accès rapide à une relative autonomie est une cause majeure de la distanciation entre Ecole et famille.

Dans le deuxième modèle, l’enfant est considéré comme un sujet en devenir, une personne ayant ses propres goûts et désirs et dont « on sollicite l’avis dans le cadre d’une démocratie familiale au quotidien. » L’accompagnement et la protection des parents se prolonge tant que nécessaire. Ainsi « l’horizon éducatif est alors illimité et l’action éducative parentale se poursuit tout au long de ce processus sociocognitif. La collaboration avec les professionnels de l’école se maintient d’autant que cette conception parentale de l’enfance portée par les classes moyennes est majoritairement celle du corps enseignant. » (Idem). Les auteurs précisent que ces deux conceptions s’expriment très rarement dans leur pureté, mais sont des combinaisons de dimensions appartenant à « la modernité en adéquation totale avec les demandes de l’Ecole » et d’autres à « des conceptions éducatives traditionnelles.» Ces deux modèles forment un cadre dans lequel « chaque famille bâtit ses propres repères scolaires. C’est ce cadre qui constitue la trame organisatrice des discours parentaux sur l’école. » (Idem).

L’histoire de l’Ecole à la Réunion, comme nous l’avons vue précédemment, montre qu’elle a été bâtie durant la colonie selon un modèle « élitiste et discriminatoire », avant de connaître un développement rapide après la départementalisation. Selon Simonin et Wolff (op.cit.), « les usagers de l’Ecole et les professionnels de l’éducation construisent leurs perceptions de l’Ecole sur une tradition fragile de la scolarisation… L’Ecole apparaît comme une grande débutante, au sein d’un espace insulaire encore très fortement marqué par un rapport de transcendance aux connaissances et aux croyances, qui est le propre des sociétés traditionnelles. » (p. 156).

Ces auteurs établissent que les familles se référent notamment au catéchisme pour « décrypter L’Ecole d’aujourd’hui ». Un parallèle entre l’école et le catéchisme est mis en avant concernant les pratiques parentales (suivi et contrôle des apprentissages), avec un

barrières ethniques et sociales, le catéchisme constitue une expérience encore largement partagée. » Ils concluent en disant que « Ti l’école9 et catéchisme participent à la construction d’un cadre de référence qui s’organise autour du modèle traditionnel de l’Ecole « lontan », dans lequel les parents puisent leurs modèles pédagogiques d’accompagnement scolaire. » (Idem).

Ainsi, à la Réunion, « Pratiques et perceptions parentales s’inscrivent sur un continuum qui se réfère à deux modèles. L’un est orienté vers l’Ecole lontan et l’autre centré sur L’Ecole koméla. L’Ecole c’est aussi un espace public, une institution de la modernité, un lieu d’apprentissage de la citoyenneté. Rapport aux savoirs et mode d’appropriation de l’espace public scolaire sont deux axes essentiels cadrant les relations que les familles entretiennent avec l’Ecole » (Ibid. p. 144).

L’entrée en sixième illustre le contraste entre les deux modalités d’accompagnement scolaire. La première est marquée par la tradition pour qui ce passage est « l’accomplissement d’un rituel », constituant pour l’enfant « l’une des marques symboliques décisives de son passage au stade adulte », et représente une rupture dans le processus de socialisation. Par contre, dans l’autre modalité tournée davantage vers la modernité, l’entrée au collège n’est « qu’une simple formalité administrative, moment presque anodin inscrit dans la continuité de la vie scolaire de leur enfant », qui comme nous avons vu précédemment est « un être en devenir qu’il faut accompagner et protéger. » (Ibid. p. 158).

La ritualisation attachée à la modalité traditionnelle se retrouve également au niveau du suivi scolaire par l’acquisition d’« instruments du savoir » tels que cassettes, encyclopédies, collections de livres, ordinateurs qui sont investis symboliquement par les parents, « en fonction d’une perception transcendantale de l’apprentissage », surtout si leur

9Cours de soutien scolaire dispensé dans un cadre plus ou moins familial à un nombre réduit d’enfants, en

complément de la scolarité institutionnelle. Autrefois, ces cours accueillaient des enfants ne pouvant pas se rendre à l’école trop éloignée de leur domicile.

cursus scolaire est court. « Exposée dans le salon, leur présence suffirait par « magie » à assurer une bonne scolarité. Ce matériel livresque dont l’accès est contrôlé, la manipulation déférente tel un objet sacré, représente une garantie (dans le sens créole de talisman ou de protection). » (Ibib. p. 157).

Les mêmes auteurs soulignent par ailleurs la pertinence de prendre en compte l’expérience scolaire des familles, la langue maternelle et le fait que l’école n’est plus « l’unique dispensatrice du savoir » in Gaillard J.L (2003, p.250). En effet, des savoirs sur le monde sont de plus en plus accessibles par « le développement récent de l’offre télévisuelle et plus largement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. », (Simonin et Wolff, 2002, p. 165). L’école se trouve ainsi en position de concurrence avec ces réseaux de transmission de connaissances et le rapport aux savoirs évolue au point où « l’Ecole doit en même temps faire face à une demande et des attentes toujours plus importantes des familles qui n’hésitent pas à discuter le pouvoir des enseignants de moins en moins légitime. » (Idem).

Ce point de vue est à rapprocher de l’analyse de Garnier et Rouquette (2000) concernant la multiplicité des formes de savoirs et des contextes d’apprentissage associés (chapitre 1 : Education et école).

2- Pratiques éducatives de parents réunionnais, notions culturellement valorisées

Dans d’une recherche concernant « la coexistence de deux formes de cognition et leur rapport dans une approche interculturelle » chez des enfants culturellement différenciés, Parmentier (2000) a mené des entretiens de parents d’élèves également différenciés culturellement et répartis en trois groupes (Réunion, Paris et Métro), afin « d’approcher les notions culturellement valorisées se référant aux ethnothéories. » (p. 393). Le groupe « Réunion » comprend des parents nés à La Réunion, le groupe « Métro » de parents résidants à La Réunion et originaires de la métropole et le groupe « Paris » des parents

Trois questions ouvertes sont posées aux parents, la première a trait aux activités que le parent fait avec son enfant : « Disposez-vous du temps pour faire des activités avec votre fils (fille) ? Que faites-vous ? » La deuxième interroge les parents sur les savoirs extrascolaires qu’ils jugent importants pour leur enfant : « Que souhaitez-vous que votre enfant apprenne en dehors de l’école ? » La dernière renvoie davantage à l’avenir de leur enfant, à un futur idéal en élargissant le champ des représentations : « Quand vous imaginez votre fils (fille) adulte, quelles choses vous paraissent les plus importantes pour lui (elle) ? » (Parmentier, op. cit., p.396).

Intéressons nous aux résultats concernant les groupes « Réunion » et « Métro ». Les activités privilégiées par le groupe « Réunion » renvoient à une éducation informelle (activités intégrées à la vie courante, conduites sociales, apprentissage « incident » essentiellement fait par observation, imitation et démonstration). Les loisirs sont peu présents dans ce groupe. Les savoirs extrascolaires sont des savoirs sociaux (la politesse, le respect d’autrui, l’obéissance) et des savoir-faire. Concernant l’avenir de leur enfant, les parents réunionnais mettent l’accent sur le « métier ». À la Réunion, « le métier est la condition à laquelle sont subordonnés les autres aspects. Du métier dépendra une vie facile, de l’argent, des relations, une famille, un bien-être. » (Idem. p. 405).

Le groupe « Métro » privilégie une éducation formelle qui regroupe le travail scolaire et les activités périscolaires dont l’apprentissage se fait par échanges verbaux. Les savoirs extrascolaires sont principalement les savoirs culturels et les savoir-être. Contrairement au parents réunionnais, les parents métropolitains se centrent sur les loisirs. Ces derniers conçoivent l’avenir de leur enfant axé autour de la santé, le bonheur et l’épanouissement.

L’intégration sociale de l’individu est privilégiée par les parents réunionnais, tandis que l’individu est considéré davantage en termes d’entité et de personnalité chez les parents métropolitains.

Nous avons ainsi une approche des valeurs culturellement valorisées avec « d’un côté, un groupe (Métro) qui privilégie l’individu en termes d’entité, de l’autre un groupe (Réunion) qui privilégie l’intégration sociale (de par le métier) qui conditionnera le bien être . » (Idem,

p. 405). L’auteur dégage ainsi deux modes éducatifs présentant des dominantes non exclusives l’une de l’autre. Ces modes sont schématisés de la façon suivante avec les réponses les plus pondérées correspondant aux trois questions relatives respectivement aux activités, aux savoirs et à l’avenir (p. 406) :

- Le groupe « Réunion » :

Activités informelles, savoirs sociaux et savoir-faire, métier. - Le groupe « Métro » :

Loisirs, savoir-être et savoirs encyclopédiques, personnalité.

Les cultures réunionnaise et métropolitaine accordent une pondération différente à l’individu et à son insertion sociale. Dans la première, la dimension pragmatique est davantage valorisée, avec une primauté accordée aux savoirs sociaux et à l’insertion sociale. La culture métropolitaine est plus centrée sur l’individu, « porteur de valeurs, point nodal autour duquel tout s’organisera. » (Idem p.408). Pour Parmentier, le « locus of control » interne serait renforcé dans la population de parents métropolitains. Elle explique cette position par le fait que, d’une part, les métropolitains ont fait librement le choix de « s’expatrier » et l’assument positivement : « on a eu raison de faire ce choix, ce qui va renforcer, si besoin est, ce sentiment d’être à l’origine des événements et de ne pas en être le jouet » ( Idem p. 409). D’autre part, il y a un renforcement « des valeurs identitaires » sur lesquelles s’est construite la famille, engendré par la perte des relations de métropole.

« L’opération identitaire se fait différemment : dans les cultures où le moi est érigé comme principe central, le coefficient individuel de l’identité croît aux dépens du caractère d’appartenance. Dans les milieux culturels où l’intégration est au centre de l’émergence identitaire, le coefficient d’appartenance croît aux dépens du coefficient individuel. » ( Idem p. 410).

À La Réunion, le contexte éducatif et culturel, comme que nous l’avions évoqué précédemment (situation sociolinguistique), est marqué par une situation de dysglossie, avec

réunionnais, est essentiellement une langue orale. A l’inverse, le français, la langue de l’école, est « une langue où l’écrit tient une place considérable, ce qui amène la question fondamentale de la logique qui sous tend chacune de ces langues. » (Hamon, 2005, p.227). Les modes de traitement de l’information (logicomathématique ou logique naturelle) sont différents selon les notions culturellement valorisées par les familles (Parmenetier, 2000 ; Parmentier et Hamon, 2002 ; Hamon et Parmentier, 2005). En effet, la culture « propose une catégorisation du réel intériorisée par ceux qui la partagent. Elle fournit un code qui privilégie une certaine approche des objets et un mode d’appréhension de l’environnement qui permet aux individus de se repérer dans le monde en procédant par analogie » et le langage « jouerait un rôle d’amplificateur linguistique en servant de base orientatrice au traitement de l’information. Cet amplificateur aurait un poids plus ou moins important selon que le milieu familial privilégie les savoirs ou les savoir-faire. » (Idem, p.228).

« La culture réunionnaise favoriserait les savoir-faire et les connaissances pragmatiques », alors que la culture occidentale privilégierait les savoirs scientifiques et encyclopédiques aux dépens des savoir-faire (Parmentier, 2000 ; Hamon et Parmentier, 2004, in Hamon, 2005, p. 231). Ces perceptions différentes des deux groupes culturellement différenciés nous conduisent à penser qu’il serait pertinent de voir si les parents se positionnent différemment par rapport aux valeurs autour desquelles s’articulent la représentation sociale de l’école selon le type d’enculturation des parents (culture réunionnaise et culture métropolitaine) et des pratiques linguistiques (le créole et le français : unilingue ou bilingue).

Chapitre 6 - Hypothèses