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Processus de formation des représentations sociales

PREMIERE PARTIE

Chapitre 1 – La théorie des représentations sociales

3- Processus de formation des représentations sociales

3-1Mécanismes psychosociologiques de production des représentations

Trois mécanismes psychosociaux ont été mis en évidence par Moscovici (1961) et repris plus tard par Herzlich (1973), afin de permettre l’émergence d’une représentation sociale : la dispersion de l’information, la focalisation et la pression à l’inférence. Moliner (1996, p.34) explicite ces mécanismes en précisant qu’ils posent des conditions préalables à l’apparition d’une représentation.

sont pas toujours accessibles aux individus « pour des raisons inhérentes à la complexité de l’objet social, mais aussi en raison des barrières sociales et culturelles. » L’objet se trouve alors mal défini, et va « favoriser la transmission indirecte de savoirs et donc l’apparition de nombreuses distorsions » (Ibid). Les individus disposent alors d’informations incomplètes selon la nature de l’objet.

- La focalisation se « rapporte à la position spécifique du groupe social vis-à-vis de l’objet » (Ibid). Il s’agit de l’implication et de la position des différents sous groupes en présence, de l’intérêt particulier pour certains aspects de l’objet. En l’occurrence, il n’existe pas de vision globale de l’objet.

- La pression à l’inférence correspond à la nécessité pour les individus « de développer des conduites et des discours cohérents à propos d’un objet qu’ils connaissent mal » (Ibid). L’individu prend position, fait des hypothèses, trouve des arguments, produit des connaissances par rapport à quelque chose qu’il connaît mal, pour ne pas faire preuve d’ignorance. Cette troisième condition « favoriserait l’adhésion des individus aux opinions dominantes du groupe » (Ibid).

L’épidémie de chikungunya qui a sévi à La Réunion en 2006 constitue un exemple qui remplit les trois conditions précitées. En effet, l’objet « chikungunya » a suscité de nombreuses craintes et interrogations concernant notamment l’origine de l’épidémie, les modes de transmissions et les remèdes. Les informations ont été diffusées progressivement en fonction des connaissances scientifiques (peu nombreuses à ce moment-là) et avec des distorsions ou l’absence d’explications claires relatives aux moyens curatifs et préventifs mis en œuvre telle que la lutte antivectorielle. Par ailleurs, la focalisation était maximale sur un aspect de l’objet : le vecteur de transmission (le moustique). Les individus contaminés par le virus, ceux qui ne l’étaient pas et les professionnels de santé n’étaient pas impliqués de la même façon et n’avaient pas les mêmes priorités (par exemple : guérir pour les malades, soigner pour les médecins et se prémunir pour les autres). Par ailleurs, chacun avait son idée sur la question de l’origine du moustique, sur un éventuel remède ou la façon de tuer l’insecte incriminé. Durant cette épidémie qui, rappelons le, avait fait de nombreuses victimes (pratiquement le tiers de la population atteint par le virus et plusieurs dizaines de décès directs ou indirects), la population était dans l’incertitude et se posait des questions par rapport aux informations parfois contradictoires livrées par les autorités politiques ou scientifiques et amplifiées par la médiatisation locale et nationale.

Face au déficit de savoirs et d’informations concernant un objet social et pour réduire l’incertitude qu’ils éprouvent, les individus émettent des hypothèses, échafaudent leurs propres théories. Et comme le précise Jodelet (1989, p.31) nous fabriquons des représentations parce que « Nous avons toujours besoin de savoir à quoi nous en tenir avec le monde qui nous entoure. Il faut bien s’y ajuster, s’y conduire, le maîtriser physiquement ou intellectuellement, identifier et résoudre les problèmes qu’il pose. » L’incertitude est selon Moliner (2001b, p.16) « le moteur essentiel » qui préside à la construction des représentations sociales.

Pour Jodelet (op.cit p. 32) lorsqu’un événement qui ne peut laisser indifférent surgit dans l’horizon social « Il mobilise peur, attention et une activité cognitive pour le comprendre, le maîtriser et s’en défendre. Le manque d’information et l’incertitude de la science favorisent l’émergence de représentations qui vont circuler de bouche à oreille et rebondir d’un support médiatique à l’autre », (comme le SIDA lors de son apparition en 1979). Le chikungunya constitue un exemple récent d’événement social, comme nous avons exposé plus haut, générant la peur, l’incertitude et crée une activité cognitive intense.

Pour Jodelet (op.cit), dans certains cas des scientifiques, des religieux ou des idéologues se chargent de réduire cette incertitude en développant à propos d’un « phénomène étrange, nouveau et inquiétant », un discours dogmatique. Comme elle l’explique (idem) « Dans certaines couches de la société, et selon les époques, ces discours peuvent revêtir un caractère de légitimité. Qui doutait de la parole de la science au milieu du vingtième siècle ? » Ainsi, il n’est pas nécessaire de produire des connaissances à propos de l’objet concerné. Seuls les individus qui mettent en doute le discours des professionnels du savoir auront leur propre vision et procéderont à une reconstruction de la réalité, tout en s’appuyant même partiellement sur ces mêmes informations. Ils préservent de la sorte une certaine forme de liberté de penser. (Moliner, 2001b, p.17)

3-2 Processus psychologiques dans la production des représentations sociales

Les processus psychologiques plus précisément sociocognitifs qui interviennent dans le système représentationnel sont l’ancrage et l’objectivation (Moscovici, 1961, 1976). Ces processus « ont trait à l’élaboration et au fonctionnement d’une représentation sociale… Ils éclairent une propriété importante du savoir : l’intégration de la nouveauté qui apparaît comme une fonction de base de la représentation sociale.» Jodelet (1984, p. 367)

3-2 1 L’objectivation

Le processus d’objectivation permet de rendre concret et matériel ce qui est abstrait. Autrement dit « il transforme un concept en une image ou en un noyau figuratif .» (Doise et Palmonari, 1986b, p.20). Ce noyau figuratif est constitué de « quelques éléments qui forment un ensemble cohérent et imagé, qui rendent concret ce qui est abstrait. Dès lors, il a acquis un statut d’évidence qui le rend non discutable et il est ainsi intégré dans une réalité de sens commun.» (Guimelli, 1994b, p.14).

En étudiant la représentation sociale de la psychanalyse (1961), Moscovici a notamment mis en évidence les différentes étapes de cette opération mentale « imageante et structurante », à l’œuvre dans la représentation. Ainsi, le noyau ou schéma figuratif permet par l’intermédiaire de notions simples, faciles à concrétiser, de mettre en images la psychanalyse2.

Les notions sont sélectionnées et décontextualisées pour former un schéma figuratif qui procède à la naturalisation et c’est à partir du schéma que va se construire la représentation (Jodelet, op.cit, p.368). Le schéma figuratif constitue, selon Moliner, (1996 p. 149) « une forme perceptible et naturelle de l’objet de représentation. » Moliner (2001b) cite

2Schéma figuratif de la psychanalyse : le conscient (l’apparent, la volonté, le réalisable, l’extérieur) et l’inconscient (le caché,

l’involontaire, le possible, l’intérieur) localisés dans le cerveau, de part et d’autre d’une ligne avec le refoulement (navette entre le conscient et l’inconscient) produisant le complexe (Jodelet, 1984, p. 308). La vision du psychisme est articulée autour de l’opposition entre intérieur et extérieur (l’inconscient et le conscient) et un mécanisme nocif (le refoulement) à l’origine de tous les maux. (Doise et Palmonari, 1986b, p. 21).

Les notions sont sélectionnées et décontextualisées pour former un schéma figuratif qui procède à la naturalisation et c’est à partir du schéma que va se construire la représentation (Jodelet, op.cit, p.368). Le schéma figuratif constitue, selon Moliner, (1996 p. 149) « une forme perceptible et naturelle de l’objet de représentation. » Moliner (2001b) cite l’exemple de la représentation de l’entreprise dans laquelle les sujets évoquent la « hiérarchie » en utilisant des formes objectivées telles que « patron », « la direction ». Il ne s’agit plus selon lui « d’une connaissance sur le monde de l’entreprise mais d’une connaissance du monde de l’entreprise. On passe d’un savoir distancié de son objet, de type scientifique, à un savoir assis sur l’expérience du sujet .» (p. 19,20). Par le processus d’objectivation, la représentation, poursuit Moliner (Idem, p. 21), « passe de l’état de culture à l’état de nature » et ainsi elle est disponible à tous « puisqu’elle se donne pour un élément de la réalité. » Moliner étaye ses propos en donnant l’exemple de la mondialisation incarnée par José Bové.

Plus généralement, l’objectivation, comme le montre Roqueplo (1974, in Doise et Palmonari, 1986b, p.22 et Jodelet, 1984, p.369), est une caractéristique inhérente à la vulgarisation scientifique. Son triple caractère : sélection, schématisation et naturalisation est applicable à toute représentation. (Jodelet, Idem,).

Moliner précise que, par ce processus d’objectivation « les connaissances relatives à l’objet de représentation n’apparaissent plus comme des concepts, des constructions intellectuelles destinées à rendre compte de cet objet, mais bien comme des éléments tangibles de la réalité. » (2001b, p.19). La conséquence de l’objectivation, c’est d’après Moliner (Ibid. p.21) « l’inscription illusoire dans le réel d’une construction intellectuelle ».

Guimelli (1994b, p.14) souligne l’opérationnalité de ce processus en évoquant l’inscription de l’objet social de la représentation dans le concret, le réel. En effet, l’information concernant l’objet est simplifiée et remodelée, et s’inscrit dans la logique et la cohérence internes au groupe. Cette information devient alors consensuelle dans ce groupe et donc communicable.

Selon Jodelet (1984, p. 367) la représentation grâce à ce processus d’objectivation, met « en images des notions abstraites, donne de la texture matérielle aux idées, fait correspondre des choses aux mots, donne corps à des schémas conceptuels. »

3-2 2 L’ancrage

L’ancrage est le second processus en œuvre dans l’élaboration et le fonctionnement des représentations sociales. C’est le processus « par lequel l’objet de représentation devient un instrument familier inséré dans des catégories de savoirs préexistants. » Moliner (1996, p. 11). Il concerne « l’enracinement social de la représentation et de son objet…L’intervention du social se traduit dans la signification et l’utilité qui leur sont conférées.» (Jodelet, op.cit, p 371). De plus cet auteur souligne un autre aspect important : « l’intégration cognitive de l’objet représenté dans le système de pensée préexistant et aux transformations qui en découlent, de part et d’autre. »

Les informations relatives à l’objet de représentation sont interprétées en référence au réseau de significations préexistant (valeurs, croyances) propre au groupe d’appartenance, pour faire sens, et être intégrées dans la réalité existante (Guimelli, 1994b, p.14 ; Fischer, 1988, p.122 ; Moliner, 2001b, p. 19 ; Jodelet, 1984, p. 372). Autrement dit, le processus d’ancrage permet de « mettre un objet nouveau dans un cadre de référence bien connu pour pouvoir l’interpréter.» (Doise et Palmonari, 1986b, p.22). Des transformations s’opèrent aussi bien au niveau de l’objet représenté que des connaissances anciennes : « La pensée constituante s’appuie sur la pensée constituée pour ranger la nouveauté dans des cadres anciens, dans du déjà connu avec pour effet des transformations de part et d’autre. » ( Jodelet, 1991, in Guimelli, op.cit).

Les nouveaux savoirs produits par le système d’interprétation et de signification forment un cadre et un instrument de conduite. L’ancrage oriente l’utilité sociale de la représentation en permettant dans un groupe donné, comme le précise Moliner (op. cit. p.21), « l’utilisation d’un cadre de référence commun dans lequel vont se réaliser les différentes opérations de la cognition sociale. » Par exemple dans l’étude de la psychanalyse (Moscovici,

1961), selon l’ancrage choisi par un groupe social donné (politique, philosophique, religieux, sexuel), la représentation de la psychanalyse aura une coloration particulière. Ce choix se fonde sur « le système de valeurs et d’idées auquel s’adhère le groupe », s’inscrit dans la vie et la culture du groupe et par conséquent « le groupe exprime ses contours et son identité par les sens dont il investit la représentation … L’enracinement de la représentation dans la vie des groupes constitue un trait essentiel du phénomène représentatif, car il rend compte de son lien avec une culture ou une société donnée. » (Jodelet, 1984, p.372).

Pour Jodelet (op.cit) l’objectivation, est la constitution formelle d’une connaissance (le social dans la représentation), l’ancrage de son insertion organique dans une pensée constituée (la représentation dans le social). Des groupes sociaux différents vont choisir des ancrages différents selon leur culture, ce qui confère à la représentation une instrumentalité différente qui « assure une orientation des conduites et des rapports sociaux. » (Fischer, 1988, p.123).

Nous pouvons dire ainsi que l’objet de représentation prend corps, (l’abstrait devient concret) grâce à l’objectivation, et l’ancrage intègre l’objet de représentation dans la vie sociale du groupe, lui confère une signification et une utilité (cadre de référence commun au groupe). Doise et Palmonari (1986b, p.23) soulignent que les processus d’ancrage et d’activation sont « surtout actualisés lors d’une confrontation avec l’inattendu ou l’inexplicable ». Jodelet (Idem, p.376) précise que l’ancrage va avec la familiarisation avec l’étrange et complète ses propos en disant « Comprendre quelque chose de nouveau, c’est le faire sien, c’est aussi l’expliquer. Le système de représentation fournit les cadres, les repères par lesquels l’ancrage va classer dans le familier et expliquer de façon familière.»

3-3 Communications collectives

Un processus global de communication collective fait partie des processus de formation des représentations sociales. Selon (Moliner, 2001b), les mécanismes psychosociologiques et psychologiques décrits précédemment ne suffisent pas. En effet, les individus et les groupes doivent communiquer collectivement et ce, sous plusieurs formes. Il

distingue ainsi les communications interpersonnelles, le débat public, les communications culturelles et la communication de masse.

La communication interpersonnelle, constituée d’échanges en temps réel, ,essentiellement verbaux et informels, se déroule dans des cadres restreints entre des individus de grande proximité sociale (famille, amis, collègues de travail, voisins). Selon Moliner (Idem, p.22), « Parce qu’elle est informelle, la communication interpersonnelle est l’espace privilégié de la rumeur et de l’approximation. C’est là que s’échangent des informations invérifiables et des hypothèses improbables. À l’abri des regards des professionnels du savoir, c’est là que peuvent s’opérer toutes les transformations, toutes les interprétations, tous les glissements de sens. L’absence de contrôle institutionnel ou épistémique permet toutes les audaces.»

La communication interpersonnelle a par ailleurs une visée consensuelle parce qu’elle se déroule entre proches, et permet de repérer ce qui est plausible et désirable en fonction des valeurs et des normes du groupe parce qu’elle se déroule en temps réel. En cela, précise Moliner, la communication interpersonnelle « est le lieu ultime de validation sociale des inférences, des catégorisations, des attributions. C’est là que se concrétise in fine le sens commun. » (Idem).

Le débat public quitte le cadre consensuel, concerne des personnes d’origines sociales et de niveaux d’expertise variés qui s’affrontent en marquant ses positions. Le débat a un caractère formel, exempt de création collective et le plus souvent contradictoire. D’après Moliner, le débat public va donc figer des positions et permettre aux groupes d’identifier leurs spécificités.

Moliner évoque la communication culturelle qui regroupe la littérature, le cinéma, le théâtre, la chanson et la publicité. Ces différentes formes d’expression culturelle doivent tenir compte des valeurs, des jugements préalables, des croyances et attentes du public. Une adéquation doit exister entre ces éléments et les contenus des œuvres culturelles, pour qu’elles soient accessibles au public et compréhensibles. « Il résulte de cette nécessaire adéquation un

véritable processus de validation sociale. » (Idem, p.25). Ainsi, les attentes et les croyances (cognitions constitutives des représentations sociales) du public acquièrent alors une légitimité culturelle.

Enfin les processus de communication de masse, que nous avons évoqués dans la section précédente, ont été mis à jour par Moscovici (1961) à l’occasion de son étude sur la psychanalyse. Il a montré que les médias communiquent les informations concernant la psychanalyse différemment selon leur sensibilité politique et/ou religieuse. Trois systèmes de communication présentant des impacts et objectifs différents sont en jeu : la diffusion, la propagation et la propagande.

La diffusion a un objectif économique « il s’agit, pour elle, de vendre de l’information à la plus vaste audience possible » (Moliner, 2001b, p. 24) et est idéologiquement neutre. La diffusion accompagnerait le processus d’objectivation, « de par la neutralité de son ton, elle suggère que les faits et les informations qu’elle rapporte sont bien des données objectives de notre environnement social. » (Idem).

La propagation est menée par des médias qui revendiquent une orientation idéologique et visent une audience qui partage cette orientation. Dans ce cas, « le style se caractérise par la régularité des prises de position et des références aux normes partagées avec l’audience. » (Idem). La propagation rappelant les points de référence au groupe orienterait le phénomène d’ancrage.

Enfin, dans le système de propagande, il s’agit de renforcer l’identité et la cohésion d’un groupe idéologique. Dans un style globalement conflictuel, « il s’agit de présenter l’environnement social sous une forme qui légitime et encourage l’action du groupe. » (Idem). Moliner pense que la propagande aurait une incidence sur les processus sociocognitifs en jeu dans la sauvegarde de l’identité du groupe, ceux par exemple de la catégorisation sociale.

Ce processus global de communication collective participant à la formation des représentations sociales est à considérer avec les processus sociocognitifs d’ancrage et d’objectivation et les processus psychosociologiques. Ces différents processus rentrent en jeu non seulement dans la formation du système représentationnel mais également dans son fonctionnement notamment au niveau de la stabilité de la représentation, quant il s’agit par exemple d’intégrer une information nouvelle et abstraite en la rattachant à un cadre de référence connu et en lui donnant un aspect concret.