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Les mécanismes psychosociaux des constructions cognitives

2 Identité et culture

3- Les mécanismes psychosociaux des constructions cognitives

3-1 Le socioconstructivisme

Vygotsky (1934) considère que le développement des processus cognitifs se fait dans des interactions tripolaires qui engagent le sujet individuel, l’objet et le sujet social. Sa thèse socioconstructiviste se place donc dans la conception ternaire du développement et postule que ce dernier est une conséquence des apprentissages, contrairement au modèle piagétien qui est binaire (sujet individuel/objet) et qui pose que le développement entraîne les apprentissages.

Ainsi pour Vygotsky, les activités humaines sont socialement médiatisées et la médiation sociale y occupe une place centrale dans la formation des processus mentaux supérieurs (mémoire, attention, raisonnement, conceptualisation…), « la dimension sociale est considérée comme consubstantielle aux processus eux-mêmes. » (Gilly ,1995, p. 132).

Cette médiation sociale régulant les interactions entre le sujet individuel, l’objet et le sujet social a deux composantes, à savoir la médiation par les outils « dans les rapports entre un individu et son environnement », avec une fonction de transformation de l’activité et une fonction de représentation. La seconde est la médiation par les signes : la médiation sémiotique « dans l’activité psychique intra individuelle. » (Gilly 1995, p. 131).

Intéressons nous à l’activité psychique pour laquelle selon Gilly, « les signes ou systèmes de signes assument des fonctions de représentation et de transformation » au même titre que les outils sociaux (p. 134). Les outils et les signes relèvent comme le précise l’auteur, en se référant à Vygostky, de l’héritage socioculturel et « marque de façon essentielle le passage des activités élémentaires aux activités supérieures. » (Ibid. p.133).

« La spécificité de l’activité cognitive humaine est non pas de s’exercer directement sur l’objet, mais d’être médiatisée par des outils sémiotiques (le langage en particulier) qui sont socioculturellement construits. » (Grossen, Liengm-Bessire et Perret-Clermont, 1997, p. 234). Le langage occupe une place déterminante dans les processus en jeu dans les constructions sociocognitives.

Pour Gilly, c’est un processus de sociogenèse qui permet le développement individuel des fonctions mentales supérieures à l’occasion des pratiques sociales de communication. Il insiste sur les « processus dynamiques de la médiation sémiotique » au travers d’échanges interactifs. Ces processus permettent « l’appropriation des fonctions mentales supérieures par transformation de la fonction sociale et communicative des signes (interpersonnelle) en fonction individuelle et intellectuelle (intra personnelle). » (Gilly, op.cit.p.135).

3-2 La médiation sémiotique, de l’interpersonnel à l’intrapersonnel

Les signes (verbaux et non verbaux) entrant en jeu dans la cognition, ont deux fonctions essentielles, la première, indicative, renvoie à la communication tandis que la seconde, significative, est à la source de la fonction intellectuelle, autrement dit elle permet à l’individu de penser (Gilly, op.cit.).

Pour se faire, la fonction significative prend appui sur la fonction indicative qui est prégnante au début du développement de l’individu. Au fur et à mesure, le versant significatif prend de l’importance et autorise l’élaboration des représentations, éléments indispensables au développement cognitif. Et c’est le travail de transformation des représentations et de conceptualisation, fait grâce à la médiation sémiotique, qui fonde les processus mentaux supérieurs.

La médiation sémiotique génère la construction de sens et l’appropriation de nouvelles connaissances. Les signes constitutifs de cette médiation appartiennent d’abord à l’espace interpersonnel et sont utilisés comme moyen de communication dans des situations interactives (fonction indicative), et passent ensuite au niveau intrapersonnel (fonction significative) (op. cit). Ainsi les activités mentales supérieures sont construites par un ensemble de signes qui constituent des médiateurs de l’activité psychique. Et comme le souligne l’auteur (Ibid. p.134) : « On voit l’importance, dans une telle conception, de la notion de médiation sémiotique de la vie mentale puisque ce sont les propriétés des signes et systèmes de signes qui confèrent leur spécificité aux activités mentales supérieures. » Ainsi, les signes langagiers ont une double fonction : une sociale, qui est de communiquer, l’autre cognitive qui permet de penser. La fonction sociale et communicative des signes de l’espace interpersonnel est transformée en fonction individuelle, intellectuelle et intrapersonnelle. Gilly précise que « la fonction communicative des signes précède et est à l’origine de leur fonction intellectuelle.» (Ibid, p. 135).

3-3 Les représentations sociales : des constructions sociocognitives

Une des caractéristiques essentielles des représentations sociales est qu’elles s’élaborent au travers et dans les rapports de communication (Doise, 1986, p., 84), et par conséquent elles sont par essence même socialement construites et médiatisées par le langage (Herzlich, 1973, p. 308). Elles se structurent et s’expriment par le langage, au travers d’un contenu discursif. C’est un système sociocognitif et contextualisé (voir « concept de représentation sociale » chapitre 1). Herzlich (op.cit) précise que dans les relations entre

représentation sociale et langage, il importe de souligner que « l’appréhension d’un objet social est inséparable de la formation d’un langage le concernant. »

Selon Jodelet (1984, p.360 ; 1989b, p.36), la représentation sociale est une forme de « connaissance socialement élaborée et partagée » de l’environnement social. C’est « une manière d’interpréter et de penser notre réalité quotidienne », une forme de connaissance sociale pratique. Le social intervient par « le contexte concret où sont situés personnes et groupes ; par la communication qui s’établit entre eux ; par les cadres d’appréhension que fournit leur bagage culturel ; par les codes, valeurs et idéologies liés aux positions ou appartenances sociales spécifiques. » (Idem).

Le langage, en général, et plus précisément la langue maternelle occupe une place centrale dans la transmission de notre héritage culturel avec notamment sa fonction de médiation qui permet à chacun d’entre nous de fonder « ses perceptions du monde au travers de sa culture et des croyances qu’elle véhicule et qui lui sont transmises par ses parents et la société dans laquelle il se développe » (Hamon , 2005, p.224).

Nous avons vu précédemment que les représentations sociales sont composées de cognitions, qui par définition, sont socialement construites et partagées et qui s’élaborent par et autour du langage, au travers de contenus discursifs. Les représentations sociales sont des constructions sociocognitives, qui constituent « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. » (Jodelet, 1989b, p36). Ce savoir commun, savoir naïf ou encore théories implicites « sont fortement influencées par le langage. » (Moscovici, 1986, p.41).

Si les représentations sociales constituent un élément déterminant dans la formation des communications et des conduites (Herzlich, op. cit. p. 307), l’intérêt de les étudier afin de mieux connaître l’activité symbolique des parents, ne fait aucun doute. Il en est de même pour la pertinence du langage, car les représentations sont médiatisées par celui-ci (Idem p. 308).

Dans le contexte sociolinguistique et multiculturel de La Réunion, prenant ses racines dans l’histoire, (dans lequel sont élaborées et partagées les représentations sociales), les langues en usage occupent donc une place déterminante, tant au niveau des communications collectives, des rapports sociaux entre les différents groupes en présence qu’au niveau des processus sociocognitifs en jeu, dans la formation des représentations sociales. La pratique du créole et du français et plus exactement l’unilinguisme et le bilinguisme constituent un élément à prendre en compte dans l’approche comparative de la représentation de l’école. Le positionnement social des individus et des différents groupes d’appartenance nécessite « une base commune, un langage partagé entre les agents. En même temps que nous apprenons une langue, nous accédons à des points de vue ancrés dans cette langue. » (Clémence, 2003, p.394).