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L’histoire de l’Ecole à La Réunion

PREMIERE PARTIE

Chapitre 3- L’histoire de l’objet de représentation et de la population concernée

2- L’histoire de l’Ecole à La Réunion

2-1 De 1664 à 1815 : l’amorce du système éducatif colonial

Les débuts de l’enseignement à la Réunion, ou plutôt à Bourbon, datent des années 1680/1690 avec le Père Bernardin de Quimper qui « ouvre les premières petites écoles.» (Eve, 1990, p. 9). Du premier peuplement de l’île en 1665 à 1815, l’enseignement est marqué par « des tâtonnements » des responsables de la colonie et du « laisser-aller » des habitants, malgré l’ordonnance Vauboulon qui fait obligation aux enfants de colons de s’instruire. Comme le précise l’auteur, « Jusqu’en 1815, le sous-équipement scolaire reste une caractéristique de Bourbon » (p.10).

Seules sont concernées la population blanche et la population libre, les esclaves n’ont pas accès aux écoles. Notons qu’à partir de 1750, la population blanche prolétarisée ne peut pas profiter, faute de moyens financiers, des rares écoles. (Eve, op.cit).

Le traité de Paris de 1814 est un acte déterminant également (nous l’avons vu dans l’histoire du peuplement) pour l’enseignement dans l’île. L’île passe à une économie de marché, avec la production sucrière. Cette dernière engendre « la nécessité de former une

1997, p. 56). La question est de savoir qui former, car « instruire les esclaves, ce serait reconnaître leur humanité. Ce serait aussi courir le risque de les voir apprendre des choses défendues, mais ce serait surtout marginaliser définitivement blancs pauvres et libres de couleur. » (Ibid. p. 57).

Le choix est porté sur des congrégations religieuses, qui sont chargées de « fournir du personnel qualifié et de lutter contre l’oisiveté en éduquant les enfants des pauvres. » (Idem. p. 58,73).

2-2 De 1816 à 1871 : l’éducation des enfants des pauvres et des libres de couleur Cette période est marquée par une réelle organisation du second degré, « le décollage » de l’enseignement primaire avec les écoles congréganistes et la mise en place d’un Commission d’Instruction Publique.

Le collège Royal est créé en 1818 et des écoles primaires gratuites sont ouvertes aux filles et aux garçons, tenues par les Frères. Ces derniers « suppriment la distinction entre classe blanche et classe libre. Désormais tous les enfants se retrouvent dans la même classe selon leur niveau. Cette mesure entraîne le départ des enfants dont les parents ne tiennent pas à voir leurs garçons s’asseoir à côté d’enfants d’affranchis. », (Eve, op.cit. p. 19).

À côté des écoles gratuites, fonctionnent des écoles payantes fréquentées par les enfants des familles les plus aisées.

Concernant la scolarisation de la population servile, en 1840, une ordonnance du roi Louis-philippe, « ordonne l’accueil des esclaves dans les écoles publiques » (Ibid. p.22). Mais cette mission ne peut être assurée pleinement par les Frères, qui se chargent essentiellement l’enseignement religieux des jeunes esclaves. Ainsi, « L’intérêt porté à la masse servile est trop tardif pour qu’à l’aube de 20 décembre 1848 elle soit vraiment loin des chemins de l’ignorance. Combien de temps leurs descendants prendront-ils pour briser de telles chaînes ? », (Idem. p. 23).

Durant cette période allant de 1816 à 1871, l’île est dotée d’un système éducatif, avec un lycée, des écoles primaires pour les filles et d’autres pour les garçons. Toutefois, seule une minorité de la population libre y a accès. Les esclaves sont exclus du système éducatif mis en place.

2-3 De 1872 à 1964 : laïcité, obligation et gratuité

Cette période est celle de la restructuration de l’enseignement primaire avec la laïcisation et la formation des maîtres. En 1890, avec un décret d’application des lois scolaires de 1881, 1882 et 1886 (avec notamment la gratuité et la laïcité des écoles primaires publiques et la hiérarchie dans les niveaux de formation) l’enseignement public se réorganise en devenant laïc (Eve, 1990).

Cependant, ces lois sont appliquées avec beaucoup de lenteur par les élus de la colonie. L’enseignement connaît une « évolution chaotique » (Lucas, 1997). Il faut attendre l’après-départementalisation pour observer des investissements importants (en personnel et en locaux) consentis à l’enseignement dans l’île. Ainsi, comme le constate cet auteur (Ibid. p. 345), « L’Ecole coloniale n’a pas à permettre à chacun de tenter sa chance mais bien au contraire de stabiliser l’ordre colonial par l’intégration des populations successives faisant irruption sur la scène sociale. ».

La population scolaire ne cesse d’accroître (11 000 élèves en 1890, 23 131 en 1940, 34 772 en 1946 et 75 612 en 1959). Les classes sont surchargées et « jusqu’en 1960, il n’était pas rare de trouver des classes comprenant plus de 60 élèves. » (Larbaut et Tupin, 2003, p.11). Des cours complémentaires prolongeant l’enseignement primaire sont créés mais « seule une petite élite courageuse, munie du Certificat d’Etudes Primaires peut les fréquenter et arriver au Brevet Elémentaire » (Idem. p.32). À partir de 1950, ces cours se développent et sont transformés en collèges d’enseignement général.

population était illettrée et seuls quelques privilégiés pouvaient accéder à l’enseignement du second degré. La sous scolarisation était générale dans l’île, la pénurie de cadres se faisait cruellement sentir, beaucoup de diplômés préférant rester en France. » (Scherer, op.cit. p. 113).

2-4 La démocratisation de l’enseignement à partir de 1965

Cette période est marquée par la création en 1982 de l’Université de La Réunion, de l’Académie de La Réunion en 1984 et par la démocratisation de l’enseignement avec le développement de l’enseignement préélémentaire, du secondaire et du supérieur.

Cependant à la rentrée 1985, le défi à relever est grand car un élève sur 2 parvient en classe de troisième.

Les lois de décentralisation donnant plus de compétences aux élus locaux à partir de 1986, de nombreux collèges et lycées sont construits et on assiste à « une massification des scolarités en collège » (Larbaut et Tupin, op. cit., p.13). Et comme le précisent ces auteurs « porter l’accès à la troisième de 1 élève sur 2 à tous les élèves nécessitait la création très forte de capacités d’accueil en lycée et en lycée professionnel ».

Par ailleurs, le taux d’analphabétisme supérieur à 60% avant 1960 et proche de 20% en 1990 est de 12% en 1998, (Eve op. cit., et Statistiques de l’Académie de La Réunion). Ces différents chiffrent montrent qu’une partie de la population ne profite pas de l’enseignement dispensé par le système éducatif.

Certes, « les évictions d’antan » n’ont plus cours grâce à la démocratisation de l’enseignement et à l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans. Mais, selon Larbaut et Tupin (op.cit.), une « dualité d’écoles » existe derrière cette massification, avec « l’intériorisation d’un parcours au rabais » pour les uns. Ce phénomène est accentué par la non prise en compte effective de la langue maternelle avec le sentiment de rejet, et « peut maintenir en grande partie les écarts sociaux constatés au départ. » (Ibid. p.20). Simonin et Wolff (2003,

p. 164) soulignent cette dualité en disant que « Deux mondes sociaux divisent la jeunesse réunionnaise : ceux qui tirent bénéfice de l’Ecole et les jeunes en échec, ces exclus de l’intérieur qui deviennent aussi des exclus sociaux. L’opposition entre ces deux groupes juvéniles est source de tension qui ne fait que s’exacerber et s’exprime par une montée considérable d’incivilités, des violences sociales et scolaires. »

Comme nous venons de voir, l’histoire de l’école à la Réunion est plus ou moins marquée par l’exclusion. Pendant la période coloniale et juste après la départementalisation, seule une partie de la population a accès au système éducatif. Les classes sociales les plus défavorisées ont dû attendre la démocratisation de l’école pour pouvoir prétendre suivre une scolarité secondaire avec la multiplication des collèges. Aujourd’hui, un peu plus d’un jeune sur deux atteint le niveau du baccalauréat et tous ne quittent pas le système éducatif avec une qualification (Voir l’état des lieux de l’école en 2005). Les valeurs rattachées aux normes scolaires ne correspondent pas toujours à celles des familles réunionnaises. Cette distanciation relative entre la culture scolaire et les cultures familiales constitue probablement une source de difficultés pour beaucoup de parents et de leurs enfants face à l’école.

Le chapitre suivant aborde dans une première section la sociologie de l’éducation qui traite des différentes approches du fonctionnement de l’école et des pratiques éducatives des familles. La deuxième section pose des concepts relatifs à l’identité et à la culture et dans une troisième nous nous intéresserons au socioconstructivisme qui renvoie à la dimension sociocognitive d’une représentation sociale.

Chapitre 4- Sociologie de l’éducation- Identité et culture