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Hypothèses 1 Diagnostic préalable et apports théoriques

2 Identité et culture

Chapitre 6 Hypothèses 1 Diagnostic préalable et apports théoriques

L’approche holistique des représentations sociales permet de lier, de fédérer les différentes disciplines des sciences humaines (l’histoire, la sociologie, la socio linguistique, la psychologie interculturelle, la psychosociologie cognitive) que nous avons convoquées dans cette première partie. La sociologie de l’éducation, avec l’approche macrosociale des théories de la reproduction dans lesquelles l’individu subit le système et l’approche microsociale privilégiant l’individu acteur, apporte des éléments d’analyse et d’explication du fonctionnement de l’institution scolaire et notamment de l’inégalité des chances des élèves face à l’école. Les analyses sociologiques intègrent les données socioculturelles des familles et soulignent leur importance dans le parcours scolaire.

L’éclairage apporté par l’histoire, la sociolinguistique, la psychologie interculturelle et la psychosociologie cognitive nous donnent des éléments nécessaires à une meilleure lecture de l’interaction famille/école et complètent les points d’analyse de la sociologie de l’éducation. La théorie des représentations sociales est une théorie du lien social, et se situe au cœur des interactions sociales et des communications. L’école qui s’inscrit dans le champ éducatif constitue par ses enjeux et ses objectifs un objet d’étude pertinent des représentations sociales. L’école est un objet social qui remplit les conditions d’objet de représentation sociale (saillance sociocognitive et enjeux, pratiques communes et dynamique sociale, communications collectives).

Forte de ses missions de transmission de savoirs savants, de savoir faire et savoir être, elle côtoie d’autres vecteurs éducatifs, non institutionnels, qui proposent « une multiplicité de savoirs et avec eux les lieux où ils se définissent » comme le précisent Garnier et Rouquette (2000, p. X). Cette position qui la place en concurrence ne fait qu’accroître l’intérêt que la société lui porte. Nous avons vu les défis que doit relever cette institution dans une Académie qui, certes a beaucoup progressé depuis les 25 dernières années, mais doit continuer de

nombre de jeunes une qualification. La mise en œuvre des dispositifs nationaux (comme celui de l’éducation prioritaire avec les réseaux « Ambition Réussite ») qui, à La Réunion concerne 6 fois plus de collèges qu’en métropole, souligne l’importance des besoins.

En effet, l’école à La Réunion est dans un contexte socioéconomique marqué par une population scolaire importante (1 réunionnais sur 3), et un fort taux de chômage (en particulier celui des jeunes de moins de 25 ans avec 54,3%). Par ailleurs, l’école se trouve également au centre des débats autour de la langue créole. L’éclairage historique de l’école à La Réunion, de sa population et les éléments relatifs à la situation sociolinguistique définissent le cadre dans lequel la dynamique sociale riche d’interactions sociales et de communications collectives s’articule autour du système scolaire.

Le code de l’éducation (2006) garantit désormais les droits des parents d’élèves en précisant le rôle qu’ils doivent tenir dans la relation famille/école, afin de prendre la place légitime et responsable qui est la leur. Tous s’accordent à penser que le dialogue entre les parents et l’école est d’une absolue nécessité et la qualité de ce dialogue a un impact fort sur la réussite scolaire et l’insertion sociale.

L’IGEN (Inspection Générale de l’Education Nationale) dans un rapport sur la relation famille/école (2006), fait état de constats et préconise des pistes d’amélioration de cette relation. Outre l’absolue nécessité de renforcer et d’améliorer les contacts entre les familles et l’institution, ce rapport relève une forte attente des parents vis-à-vis de l’école et leur attachement au suivi de la scolarité de leurs enfants. Concernant les pistes d’amélioration, nous relevons l’inscription dans la formation initiale et continue des personnels et particulièrement des enseignants de la relation aux parents, le développement de la coopération entre les parents et l’école dans le domaine scolaire comme dans le domaine éducatif, le recours aux diverses possibilités de médiation extérieure à l’école, la révision de certaines pratiques et procédures d’orientation. Le rapport souligne également l’importance de faire prévaloir dans les relations parents/école une culture du dialogue et du débat, du respect mutuel et d’une cohérence éducative de tous.

À la lecture de ce rapport, nous avons le sentiment que nous savons ce qu’il y a lieu de faire mais ce que nous vivons au quotidien et ce que nous observons dans les faits montre que nous ne savons pas faire ou du moins que nous ne savons pas comment faire pour généraliser les bonnes pratiques qui existent dans certains établissements. Nous avons également le sentiment de nous trouver face à des évidences. Toutefois, nous gagnons à souligner les évidences qui ne le sont pas forcément pour tous.

En effet, l’inégalité des chances face à l’école existe malgré les différentes mesures prises afin de les réduire. Les conditions de dialogue et d’écoute ne sont pas réunies dans chaque école, et bien souvent les parents ont beaucoup de difficulté à prendre la place qui est la leur et à jouer pleinement leur rôle. Des parents sont disqualifiés d’avance sous prétexte qu’ils ne viennent pas à l’école et qu’ils ne suivent pas la scolarité de leurs enfants. De plus un décalage existe d’une part entre le discours des enseignants et leurs conduites et d’autre part le discours et les conduites des parents face à l’école. Le respect mutuel préconisé par le rapport de l’IGEN avec notamment le respect des rôles d’éducateur et de pédagogue passe par le respect avant tout du sujet, qu’il soit enfant, père, mère ou enseignant. La capacité de chacun d’assumer son statut (élève, parent, enseignant) doit être reconnue et vécue comme telle.

Le code de l’éducation reconnaît-il aux parents le droit d’être « parents » ? Les droits reconnus sont le droit d’information et d’expression, le droit de réunion et le droit de participation. Trop souvent dans notre pratique de psychologue scolaire nous rencontrons des situations dans lesquelles des parents d’élèves en difficulté ne sont pas reconnus par l’institution en tant que parents. Ces mères et ces pères n’ont pas la possibilité de jouir de leur statut légitime de parents. Le besoin de reconnaissance est préalable au dialogue souhaité et attendu. Ces parents ne se trouvent pas en situation d’assumer leur rôle de parents d’élève et n’ont pas la possibilité de s’exprimer en tant que tel comme le prévoit le droit d’expression.

L’école est révélatrice des différences interindividuelles qui ne sont pas suffisamment prises en compte, dès lors qu’un enfant ne rentre pas dans la norme imposée. C’est ce qui se produit quand le modèle de socialisation scolaire est très éloigné du modèle de socialisation

familial. Le décalage entre les deux génère « une violence symbolique » (Bourdieu) préjudiciable à l’investissement des apprentissages et à la construction identitaire du sujet. En effet, les références culturelles de la famille et du groupe d’appartenance ne correspondent pas toujours à celles qui sont véhiculées par l’école, formatées selon les critères de la classe dominante. « La norme scolaire à partir de laquelle s’opère la différenciation des classes sociales par l’école est toujours celle de la culture dominante.» (Gilly, 1989, p.368).

Des travaux menés par Lecigne (1998) concernant les représentations de l’élève signalé chez les maîtres montrent qu’à un enfant signalé est attribué un label « difficilement dissociable de l’enfant lui-même, autour duquel graviteront les savoirs naïfs et théories implicites permettant aux enseignants de juger, d’expliquer son statut et de prendre des décisions à son égard. » (p. 75).

L’auteur conclut que si le signalement est basé sur des «caractéristiques singulières de l’élève », il s’appuie également sur « un système de pensée qui, intégrant les normes et valeurs sociales, produit spontanément des attentes chez les maîtres. » (Idem). L’enfant se voit ainsi assigné une identité « élève signalé » et c’est comme le dit Bourdieu (1982, p.60) « signifier à quelqu’un ce qu’il est et lui signifier qu’il a à se conduire en conséquence ». Ceci concerne les représentations sociales du point de vue des enseignants.

Des dysfonctionnements liés à l’étiquetage « enfant signalé » ou » enfant en difficulté » marginalisent les enfants. Ces derniers sont victimes du « système » et qui de fait, peuvent ne pas être considérés par leurs enseignants et leurs parents comme étant potentiellement capables de faire des progrès. Un rapprochement peut être fait avec les travaux de Chryssochoou, Picard et Prounine (1998)10 , portant sur les explications de l’échec scolaire et les théories implicites des enseignants. Ces auteurs relèvent l’importance de l’origine sociale et culturelle dans les théories implicites des enseignants, avec la mise en évidence d’un « handicap socioculturel », c’est l’origine sociale qui « constitue le principe

10 Dans cette étude des enseignants de collège devaient expliquer « le même état d’échec scolaire de quatre élèves différenciées de par leurs appartenances sociales (élevée/faible) et culturelle (française/maghrébine). »

organisateur fondamental structurant ces théories », sur la performance scolaire (p.55). « Les pratiques familiales qui, selon les enseignants contribuent à la réussite ou à l’échec, sont tributaires aussi des appartenances sociales. » (Ibid. p.43).

Ne pouvons-nous pas considérer que des parents d’enfants en difficulté qui ont connu eux-mêmes un parcours scolaire difficile et qui ont du mal à venir à l’école soient perçus par des maîtres comme « parents signalés » ou parents en difficulté ? Avec des conséquences similaires à celles qui sont observées concernant les enfants et par conséquent les disqualifiant au niveau de leur capacité à être parents (suivi scolaire, prise de décisions d’orientation, étayage affectif).

Des familles seraient alors « touchées » doublement dans leur aptitude à progresser et à modifier le statut « d’élève et d’adulte en difficulté ». Les attentes des enseignants seraient différentes selon l’origine sociale des familles et un effet« Pygmalion » affaiblirait leur position parentale. Cet effet présupposerait un lien entre les attentes de l’école et la capacité à être parent, tout comme pour les élèves, il présuppose un lien entre les attentes des enseignants et les performances des élèves, voire le développement intellectuel, (Rosenthal et Jacobson, 1972).

L’effet Pygmalion est à rattacher aux « effets d’attente » qui selon Duru-Bellat et Henriot-van Zanten (1992) induisent une lecture différente des comportements et des devoirs des élèves selon le niveau de performance attendu. « Ainsi les maîtres ont tendance à surestimer le travail des élèves dont ils attendent beaucoup : élèves scolarisés dans des bonnes sections, élèves dont les devoirs précédents ont été bons et aussi élèves d’un milieu social favorisé. » (Ibid. p. 35).

L’effet Pygmalion est produit par les attentes des maîtres qui sont perçues par les élèves, « et de fait les élèves dont on attend beaucoup progressent plus que ceux dont on attend peu. » (Idem.). Nous avons des raisons de croire que de telles attentes sont susceptibles d’être perçues par les parents également, pour ce qui les concerne eux personnellement et leur(s) enfant(s).

Ces deux études montrent l’impact que peuvent avoir les représentations des enseignants sur les performances des élèves et l’interaction entre les représentations et les pratiques. Les attentes des enseignants étant différentes selon l’origine sociale des familles, cet impact touche également les parents qui se trouvent être parents d’enfant en difficulté ou du moins d’enfant non reconnu capable de devenir un élève à part entière. Le dialogue peut difficilement s’établir dans des situations où les attentes des enseignants par rapport aux parents ne mettent pas ces derniers en position de « réussir » leur métier de parents d’élève.

Le dialogue entre les familles et l’école se place dans des interactions entre des acteurs majeurs de l’éducation que sont les parents et les enseignants. Ces interactions ne peuvent pas se faire sans un processus de communication collective grâce auquel les échanges se font. Les représentations sociales s’inscrivent dans les interactions sociales, dans des rapports sociaux entre individus et entre groupes. Elles sont socialement élaborées et partagées.

Le système représentationnel qui a une dimension sociale et individuelle est une reconstruction de la réalité s’appuyant d’une part sur l’histoire, la sociologie, les normes et les valeurs du groupe, et d’autre part sur le vécu de chacun de ses membres. La dimension culturelle et l’identité qui y sont rattachées sont comme nous avons vu, prégnantes, elles orientent la vision de la réalité et participent pleinement à la construction sociocognitive de la connaissance de l’environnement social.

Le contexte socioculturel de La Réunion, empreint d’une jeune histoire collective marquée par le colonialisme et l’esclavagisme, riche de cultures et d’ethnies différentes, apporte une touche de complexité et une coloration métissée qui rendent a priori, plus difficile la lecture du lien social. Pendant très longtemps une grande partie de la population a connu la privation de ses droits élémentaires d’être humain et l’exclusion. Cette exclusion sociale et économique a été accompagnée de l’exclusion scolaire et de l’accès impossible au savoir réservé à une élite. Cette difficulté accentue l’intérêt que nous accordons à l’approche psychosociologique que nous avons choisie, avec un regard sur le positionnement des parents et des enseignants face à l’école.

De l’Instruction Publique à l’Education Nationale, l’école a vu son institution de tutelle changer d’identité et a connu des mutations rapides et importantes pour faire face à la demande très forte de la jeunesse réunionnaise. Le système scolaire réalise en beaucoup moins d’un siècle à La Réunion, ce qu’il a fait en plusieurs siècles en métropole. Il a dû s’adapter rapidement aux caractéristiques démographiques de l’île et au contexte économique et social. En effet, le dynamisme économique avec une croissance élevée, l’arrivée massive de jeunes sur le marché du travail et un taux de chômage élevé, placent le système scolaire au centre d’enjeux capitaux, en termes de formation et de qualification. De plus, la situation sociolinguistique marquée par la coexistence de deux langues à statuts inégaux, la langue de la maison et la langue de l’école, rattachées à des cultures différenciées, à des enracinements différents, questionne l’école par rapport à la reconnaissance de l’identité créole des parents et des élèves, notamment des créolophones unilingues.

La population réunionnaise a, il va de soi, une histoire collective commune, mais toutes les composantes de cette population n’ont pas le même parcours et n’ont pas occupé une place sociale et économique équivalente. Face à cette diversité à tous les niveaux, l’école, elle, est unique et se base sur le modèle, sur les valeurs et les normes nationales. Derrière cette diversité des familles réunionnaises n’existe-t-il pas un fonds de valeurs, de croyances et d’attitudes commun à tous par rapport à l’école?

Comme le dit Moliner « une étude de représentation sociale vise à découvrir ce qui se cache derrière les pratiques et les discours, ce qui les organise et les soutient, comme autant de piliers, qui dissimulés dans la masse des murs soutiennent une maison. » (1996, p. 96). La maison est la même pour tous, c’est l’école. Comment est-elle perçue par les différents groupes et sous-groupes en interaction ? Comment expliquer et comprendre les différences interindividuelles illustrées dans les pratiques et discours variés qui font état d’histoires individuelles différentes et d’une certaine homogénéité face à l’école ? L’approche structurale du noyau central constitue une grille de lecture à même de nous renseigner sur ces liens, sur ces divergences et sur les consensus autour de valeurs fondatrices et constructives. Les enseignants et les familles qui ont tant de mal parfois à dialoguer ne partagent-ils pas des

mêmes valeurs centrales par rapport à l’école? Si des différences existent, quelles sont-elles, où se situent-elles ?

« Il est légitime de se poser la question des représentation sociales chaque fois que l’on pourra observer un décalage entre des données objectives d’une situation et les prises de position, les jugements ou les conduites adoptés par les individus ; chaque fois que l’on pourra observer que des individus placés dans des conditions similaires manifestent des prises de positions, des jugements ou des conduites différents ; chaque fois enfin que l’on souhaitera comprendre les significations que des individus attribuent à certains aspects de leur environnement. » (Moliner et al, 2002, p.36).

2- Hypothèses

H1 : Compte tenu de l’aperçu de la composition et de l’organisation de la représentation sociale de l’école issues des entretiens exploratoires, le noyau central de la représentation sociale de l’école des parents originaires de la Réunion s’articule autour des apprentissages et de l’éducation.

H2 : parce que l’école est un objet social qui présente une saillance sociocognitive, renvoie à des enjeux importants, est au cœur de communications collectives et de pratiques communes, la représentation sociale de l’école du groupe de parents originaires de La Réunion « REU » et celle du groupe d’enseignants parents originaires de La Réunion « EPREU » ont le même noyau central. Il y a un consensus concernant la finalité de l’école, les prescriptions absolues sont les mêmes.

H3 : parce que la périphérie d’une représentation sociale est composée d’éléments descriptifs et d’attentes et qu’elle a une détermination essentiellement individualisée et contextualisée, la représentation sociale de l’école du groupe de parents originaires de La Réunion « REU » et celle du groupe d’enseignants originaires de La Réunion « EPREU » ont des éléments périphériques différents et des éléments périphériques communs..

H4 : parce que le noyau central d’une représentation sociale a une détermination essentiellement sociale, historique et idéologique, liée à la mémoire collective et à la mémoire du groupe, la représentation sociale de l’école des parents originaires de La Réunion « REU », celle des parents de l’enseignement privé « PRIV » et celle des parents du groupe primaire « PRIM » ont le même noyau central.

H5 : Les réponses « vraies » des parents originaires de La Réunion « REU » à l’échelle d’opinions et les réponses qui leur sont « imputées » par les enseignants parents originaires de La Réunion « EPREU » sont significativement différentes et réciproquement. La perception des parents et des enseignants est basée sur des a priori..

H6 : parce que la périphérie d’une représentation sociale est composée d’éléments descriptifs et d’attentes et qu’elle a une détermination essentiellement individualisée et contextualisée, et la représentation sociale de l’école des enseignants parents non originaires de La Réunion « EPNREU » a le même noyau central que celle de la représentation des parents non originaires de La Réunion « NREU ».

H7 : parce que le noyau central d’une représentation sociale a une détermination essentiellement sociale, historique et idéologique, liée à la mémoire collective et à la mémoire du groupe, la représentation sociale de l’école des parents originaires de La Réunion « REU » et celle des parents originaires de la Métropole « METRO » n’ont pas le même noyau central et sont par conséquent différentes.

H8 : parce que le noyau central d’une représentation sociale a une détermination essentiellement sociale, historique et idéologique, liée à la mémoire collective et à la mémoire du groupe, la représentation sociale de l’école des enseignants non parents « ENP » et celle des étudiants « MASTER » s’articulent autour des mêmes valeurs centrales et différent au niveau des éléments périphériques.

DEUXIEME PARTIE