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Les conditions d’émergence d’une représentation sociale

PREMIERE PARTIE

Chapitre 1 – La théorie des représentations sociales

2- Les conditions d’émergence d’une représentation sociale

2-1 Objet, représentation autonome et groupe - L’objet

L’objet présumé doit correspondre à une classe d’objets, autrement dit être polymorphe. Cette caractéristique correspond à une propriété de l’objet. De plus l’objet doit avoir une valeur d’enjeu, ce qui correspond à une spécificité de son insertion sociale.

- Représentation autonome

Flament (op.cit. p. 206) considère que tout objet ne peut pas être objet d’une représentation autonome. Une représentation est autonome si « le principe organisateur se situe au niveau de l’objet lui-même » et non pas « hors de l’objet lui-même, dans une représentation plus globale dans laquelle l’objet est intégré. » (Abric,1994b, p.24). Dans le cas de représentations autonomes l’auteur cite comme exemples : la psychanalyse (Moscovici 1961), la maladie mentale (Jodelet 1989b) et l’intelligence (Mugny et Carugati 1985). Concernant les représentations non autonomes nous pouvons citer : la représentation du changement de train liée à celles de déplacement en général et de l’image de soi (Abric et

Morin 1990) ou la mutualité rattachée à la représentation de la sécurité sociale, du syndicat et de l’assurance (Syngery-Bensaïd, 1984 ; Abric,1994).

- Le groupe

Une représentation sociale est un ensemble de connaissances socialement élaborées et partagées par les membres d’un groupe donné (Jodelet, 1984, 1989). À ce titre, il convient lorsque nous nous interrogeons sur la représentation d’un objet de poser d’abord l’existence du groupe social donné (Moliner, 1996, p.37). Ce dernier distingue deux configurations de groupes selon leur position par rapport à l’objet : structurelle et conjoncturelle. La première concerne les groupes « dont l’existence est intimement liée à l’objet de représentation », la seconde aux groupes « préexistants confrontés à un objet nouveau et problématique .» (Idem p.39).

Ces conditions d’émergence d’une représentation sociale ne sont pas suffisantes d’après Moliner (1993, 1996, 2002). Toute situation sociale qui présente les caractères ci- dessus ne génère pas forcément des représentations sociales, « S’il n’y a pas de représentation sans objet, il peut y avoir des objets sans représentation » (Moliner, 1996, p.30). Cinq critères essentiels sont à considérer selon cet auteur pour qu’un objet donne naissance à une représentation sociale : outre les spécificités de l’objet et les caractéristiques du groupe que nous avons vues, il est question des enjeux, de la dynamique sociale et de l’absence d’orthodoxie (Moliner,1996 ; Moliner et al, 2002).

2-2 Les enjeux, la dynamique sociale et l’absence d’orthodoxie - Les enjeux

Ainsi selon Moliner (op.cit) les enjeux s’articulent autour de l’identité du groupe qui « passe par l’identité psychosociale des individus qui le composent .» (p. 41), et de la cohésion sociale. S’agissant de l’enjeu identitaire, Moliner précise qu’« en contribuant à l’édification des identités individuelles, les représentations contribuent à l’affirmation d’existence des groupes sociaux. » (Ibid p. 43).

Cet enjeu dépend de la place occupée par l’objet dans le groupe social et « c’est, d’une certaine manière, parce que l’objet est au cœur du groupe qu’il fonde sa survie en contribuant à l’identité de ses membres. » (Idem). C’est dans une configuration structurelle du groupe que l’élaboration de la représentation sociale sera motivée par l’enjeu d’identité. Pour Clémence (2003, p.394) « une représentation sociale naît lorsqu’un objet devient un enjeu, que des points de vue différents se forment et qu’elle se développe lorsque ces points de vue se rencontrent et s’étendent. »

Par contre, l’enjeu de cohésion sociale concerne les groupes dans une configuration conjoncturelle. Le maintien de la cohésion préexistante du groupe est mis en question car le groupe est confronté à un objet étranger et problématique.

Moliner précise toutefois qu’il n’y a pas de réel clivage entre les types de configuration et d’enjeux, des passerelles étant possibles.

- La dynamique sociale

La valeur d’enjeu d’un objet n’a de sens que si cet objet est au centre d’une interaction sociale, s’il revêt une certaine utilité sociale et corresponde à un besoin. Ainsi c’est dans l’interaction du groupe avec d’autres groupes, que ce besoin trouve sa justification et autrement dit « la valeur utilitaire de l’objet se fonde sur l’insertion de cet objet dans une dynamique sociale. » (Ibid p.44)

- L’absence d’orthodoxie

Un groupe placé dans une dynamique sociale par rapport à un objet polymorphe porteur d’enjeu ne suffit pas, d’après Moliner, à faire émerger une représentation sociale. En effet, l’absence d’orthodoxie constitue la cinquième condition. Dans un système orthodoxe où « les connaissances ne sont pas élaborées collectivement puisque des instances régulatrices contrôlent la diffusion et la validité des informations relatives à l’objet » (Moliner et al, 2002, p. 31), les processus représentationnels ne peuvent pas se mettre en place. Dans un tel système, l’activité individuelle est régulée et contrôlée et le sujet orthodoxe

1996, p.46). Le système orthodoxe, s’il est organisé autour de l’objet en question, favorise « l’émergence de l’élaboration idéologique ou scientifique. » (Idem).

Ainsi selon Moliner (1993, p. 13), le processus représentationnel peut apparaître quand « pour des raisons structurelles ou conjoncturelles, un groupe d’individus est confronté à un objet polymorphe dont la maîtrise constitue un enjeu en termes d’identité ou de cohésion sociale. Quand, en outre, la maîtrise de cet objet constitue un enjeu pour d’autres acteurs sociaux interagissant avec le groupe. Quand enfin le groupe n’est pas soumis à une instance de régulation et de contrôle définissant un système orthodoxe. »

2-3 Saillance sociocognitive et pratiques communes

Flament et Rouquette (2003) définissent deux critères (clauses minimales) autour de l’objet lui-même nécessaires à l’émergence d’un processus représentationnel : la saillance sociocognitive de l’objet et les pratiques communes se rapportant à cet objet.

La saillance sociocognitive de l’objet est liée au caractère polymorphe et au statut de référence dans les communications. L’objet doit selon ces auteurs « être une abstraction, renvoyer à une classe générale ou générique » et « doit avoir une présence thématique récurrente dans les communications. » Il doit générer des interactions et « faire partie de la négociation permanente de la sociabilité » (Idem p. 32, 33). Le volume d’interactions, et leur intensité entre les différents sous-groupes et à travers les communications signent l’enjeu que peut avoir l’objet. En effet, un objet sans enjeu ne peut engendrer une dynamique sociale et nourrir des communications interindividuelles et intergroupes. La saillance sociocognitive renvoie à la condition d’enjeu précédemment exposée (Moliner, 1996 et 2002).

Les pratiques communes renvoient également aux enjeux suscités par l’objet et aux interactions entre différents groupes en présence dans la pratique sociale de l’objet. Les pratiques communes dépendent de l’utilité sociale de l’objet et du niveau d’implication de chaque individu et de son groupe d’appartenance. Cette implication sera d’autant plus forte

que si l’objet présumé de représentation présente un intérêt d’ordre social, une utilité, apte à générer une dynamique sociale en relation avec lui, dans la population considérée.

Ces auteurs proposent ainsi comme expertise d’un objet, afin de savoir s’il est potentiellement objet de représentation, de procéder à un diagnostique préalable en trois points : la fonction de concept de l’objet, la relation de l’objet aux pratiques, et la présence de l’objet dans les communications. (Ibid p.51)

Pour Jodelet (1984, p.360), une représentation est « une manière d’interpréter et de penser notre réalité quotidienne, une forme de connaissance sociale. » Quels sont les processus psychiques mis en œuvre dans l’élaboration de cette connaissance sociale et comment sont intégrées les informations nouvelles à propos d’un objet donné?

Nous venons de voir les différentes conditions relatives à l’objet et au groupe nécessaires à l’émergence d’une représentation sociale. À ces éléments s’ajoutent les processus psychosociaux et des processus psychologiques. Nous abordons maintenant ces différents processus et les communications collectives qui rentrent en jeu dans la formation des représentations sociales.