• Aucun résultat trouvé

Ce que travailler veut dire

Au début de ce travail, nous avons distingué l’activité professionnelle de l’activité bénévole dans le sens d’un emploi rémunéré, donc d’un poste de travail salarié, et non lié à un champ de pratique spécifique compte tenu que l’animation socioculturelle s’appuie énormément sur le bénévolat. Et nous pouvons constater dans les récits produits que l’engagement dans l’ASC ne se traduit pas seulement en termes d’emploi. L’éthos professionnel, ou les valeurs et intérêts, qui se traduit dans l’activité professionnelle se retrouvent aussi dans les activités annexes à l’emploi. Il semblerait qu’être animateur ce n’est pas seulement travailler, cela touche d’autres aspects que la sphère du travail.

Bernard va jusqu’à dire : « on peut dire que le Centre de Loisirs, ça n’a pas été mon travail. […] ça été ma vie, ça été ma fanfare, ça été un peu tout. Le magasin c’était un travail. » (l.556-561)

Roland souligne que ses convictions guident son implication tant au niveau du travail que des autres activités dans lesquelles il s’est investi : son travail d’animateur, la coopérative sociale, l’engagement politique au sein de l’exécutif dans sa commune. Nous notons également que les réalisations mise en avant dans le cadre de son mandat politique s’apparentent clairement à l’animation socioculturelle avec la mise en place d’un accueil extrascolaire pour les enfants, la

création d’une structure pour la petite enfance, et d’un atelier jeunesse à Châtel-Saint-Denis (l.393-424). Nous voyons aussi qu’il y a des liens entre les différentes activités au-delà du sens et des convictions défendues. Faire partie de la commission cantonale pour l’égalité homme-femme permet de défendre des actions par rapport à l’égalité mais aussi de monter une exposition dans le cadre du travail à l’espace des inventions (l.425-432). Cela participe donc aussi de la constitution d’un réseau professionnel.

Daisy quant à elle parle d’activités bénévoles : « et puis là je faisais aussi du bénévolat au Rel’aids, je faisais pleins de trucs, ça c’était aussi histoire de vider la tête aussi » (l.350-351). Nous observons toutefois que ces activités bénévoles sont d’une nature proche de travail et rejoignent les mêmes centres d’intérêts. Elles touchent également à l’espace public et au travail de rue, le Rel’aids étant une équipe de travail social hors-murs, les activités avec Mère Sofia aussi touchent la rue avec entre autres l’organisation d’une soupe populaire au centre-ville de Lausanne. Par ailleurs, il y a un lien évident entre ces activités bénévoles et son activité professionnelle :

 Au niveau des acteurs, l’équipe du Rel’aids de l’époque est composée de personnes qu’on retrouve dans l’activité professionnelle avec le partenariat avec la Ville pour le contrat de quartier aux Boveresses ;

 Le bénévolat se relie aussi avec des moniteurs qui travaillent au Centre ;

 Au niveau du public : « c’était d’ailleurs des moments où je retrouvais des gens des Boveresses, c’était assez marrant » (l.356-357)

Nous relevons aussi dans le vocabulaire utilisé pour décrire leur activité une sémantique qui renvoie à l’engagement de manière générale : « je m’investis »,

« je m’engage », « des convictions », « de l’intérêt ».

MILITANCE

Ils manifestent aussi d’une implication marquée par des intérêts de l’ordre de la mobilisation collective, de valeurs et de sens attribués à l’activité plus que de l’ordre d’intérêts personnels (dans le sens de finalités de l’action). Bien que de formes et d’objets plus ou moins distincts, leur parcours sont marqués par la militance et des structures qui organisent et régulent ces espaces d’engagement. S. Nicourd (2009) précise que les pratiques militantes sont fabriquées par les conditions sociales et organisationnelles ce qui permet de les maintenir dans le temps (p.13) : « s’engager doit, pour cela, être considéré comme un travail, certes non rémunérés mais nécessairement organisé, hiérarchisé et régulé [...] Le militant est mobilisé par le collectif autant qu’il se mobilise pour lui » (p.13). Cependant, la particularité de l’engagement et de la militance dans le cadre de l’animation socioculturelle est de prendre des formes concrètes dans le travail rémunéré également. Roland souligne

« très souvent, mon environnement proche ou un peu plus lointain se demande si je travaille ou si je milite quand je parle de mes activités. […] les gens se posaient des questions sur la nature de mon travail parce qu’on peut gagner sa vie en faisant ça. » (l.604-610)

Daisy relate aussi son côté militant étant jeune, son engagement dans les mouvements du situationnisme, la participation à des manifestations et on retrouve aussi cette dimension dans le travail : « moi je suis partie avec les côtés un peu militant dans le sens qu’on faisait des grandes banderoles, […] » (l.435-436).

Nous pouvons aussi relever dans les discours de Roland et de Daisy la mention des luttes syndicales. Chez Roland cela se traduit dans l’activité elle-même, en tant

que finalité de l’action, notamment en lien avec le travail avec les chômeurs et les activités à l’USL/Pôle Sud. Daisy en parle en termes de défense des conditions de travail et de participation à la commission du personnel : « j’ai quand même pas mal milité pour que les gens aillent à la commission du personnel, s’investissent dans le [syndicat] » (l.757-758).

C’est moins explicite dans le récit de Bernard où il n’utilise pas le terme « militant » et ses dérivés, toutefois il raconte des épisodes qui manifestent clairement d’une mobilisation et d’un engagement de type militant, notamment autour de la création du Centre de Loisirs avec la pétition et la constitution d’un groupe de jeunes pour aborder les pouvoirs politiques pour l’ouverture d’un Centre.

Cependant, il convient de souligner que cette caractéristique militante correspond aussi à une époque et un contexte socio-historique que nous pouvons relier aux mouvements de mai 68 et à l’émergence d’un métier dans ce contexte avec une visée émancipatoire. Se pose dès lors la question de savoir si cela traduit un ethos propre à cette génération ou est-ce une caractéristique qui peut s’inscrire dans la professionnalité des nouvelles générations ?

L’INVESTISSEMENT

L’engagement dans le travail se traduit aussi dans le rythme de l’activité.

Nous pouvons constater que tous multiplient les activités en parallèle, et ont des périodes d’activité que nous qualifions de foisonnante. Daisy travaille, fait du bénévolat et s’occupe de sa famille. Roland travaille, s’implique dans une coopérative, construit sa vie de famille, s’engage politiquement et bénévolement aussi à travers l’association Ciao. Bernard mène une double activité professionnelle de décorateur d’un côté et d’animateur de l’autre, il fonde aussi une famille et s’occupe de l’éducation de ses enfants.

En termes de rythme de travail, nous relevons qu’il y a une certaine intensité et un rythme soutenu qui traduit un investissement important:

 Dans le récit de Bernard nous pouvons relever plusieurs moments où cela apparaît :

o « on y passait la nuit,[…] ça je pouvais plus faire après. J’ai pu faire, j’avais 30 ans, j’ai eu passé mes nuits des fois, à finir des trucs […] » (l.521-527),

o la période du mois de septembre avec le Comptoir Suisse20 était particulièrement soutenue et reflète le rythme de travail de deux activités professionnelles : à 7h30 au magasin pour distribuer le travail au personnel, de 9h à 18h au Comptoir pour tenir le stand, faire les commissions pour le bar du Centre, ouvrir l’accueil pour les jeunes de 19h à 22h30 en semaine, le samedi avec les discos ouverture du Centre jusqu’à minuit/1h du matin, et rangement jusqu’à 1h/2h.

o Il souligne toutefois que ce rythme il pouvait le tenir à 30/40 ans : « je supportais, j’avais la santé, je pouvais le faire. Après 50 ans, ça aurait… je faisais une soirée j’étais mort. » (l.1042-1053)

 Chez Daisy également cet aspect est explicite :

o « on bossait comme des fous, on faisait les centres aérées, le soir on

20 Le Comptoir Suisse est une foire annuelle qui se tient au palais de Beaulieu avec de multiples stands de vente, d’expositions et d’attractions pour le public.

montait les films » (l.449-450)

o On ne compte pas les heures de travail, un travail aussi du soir (l.453-457), les fêtes et ouvertures toute la nuit (l.194-195 ; l.210-212)

o Des horaires aussi de travail entre midi et deux heures (l.325-328) Roland n’évoque pas directement la question du rythme, mais nous imaginons aisément que le cumul des activités précitées implique aussi des horaires soutenus.

Nous pouvons constater qu’il y a des horaires de travail en animation qui se déploient beaucoup sur les soirées, et des durées relativement longues.

Cette question du rythme de travail nous amène aussi à considérer la relation entre travail et vie de famille.