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La voix au travail et la voix au niveau des enjeux sociaux permettent de favoriser l’émancipation et la protection des travailleurs.

PARTIE I L’OBJECTIF DE LA LOI SUR LE STATUT PROFESSIONNEL DES ARTISTES : PERMETTRE L’ACCÈS À UN TRAVAIL DÉCENT AUX ARTISTES-

SECTION 2.1 L’autonomie collective comme moyen d’atteindre l’objectif visé

2.1.2 La voix au travail et la voix au niveau des enjeux sociaux permettent de favoriser l’émancipation et la protection des travailleurs.

Pour mettre en œuvre cet objectif global, l’autonomie collective s’articule autour de deux voix, reflétant les deux niveaux décrits précédemment. Dans un premier temps, une voix plus immédiate vise l’intérêt spécifique des travailleurs et s’inscrit dans l’autonomie conventionnelle, soit celle entourant la négociation collective et la réglementation collective qui en découle. Elle s’exerce à une échelle plus « locale ». Elle vise directement la capacité des parties à la négociation collective d’élaborer les normes qui les gouverneront dans leurs relations de travail384. À ce niveau, l’enjeu tourne autour de l’intérêt spécifique des travailleurs dans le contexte de leur travail, c’est-à-dire que les conditions mêmes de travail sont visées ainsi que les relations entre les parties385. Traditionnellement, la voix au travail a été limitée à des questions économiques et de travail (comme la rémunération, la restructuration de l’entreprise, la possibilité de sous-traitance, la sécurité d’emploi, les

381 Coiquaud, La loi et l’accès à la syndicalisation, supra note 69, à la p.82; Fudge, Tucker et Vosko, Changing

Boundaries in Employment , supra note 46, à la p.356, où ils rappellent que suite à la grande dépression et la montée du capitalisme corporatif, un si grand déséquilibre entre le pouvoir de négociation des travailleurs et des employeurs s’est creusé qu’il a mené à la crise de sous-consommation, les salariés ne pouvant se payer les biens et services qu’ils produisaient. La solution est vue dans la négociation collective, considérée comme nécessaire pour contrebalancer le pouvoir des employeurs en redonnant un pouvoir suffisant aux travailleurs pour obtenir une juste partie des augmentations de productivité.

382 Ou l’exercice de la liberté d’association, qui a historiquement permis aux travailleurs de protéger et

d’améliorer leurs conditions de travail et de vie. Voir Coiquaud, La loi et l’accès à la syndicalisation, supra note 69, à la p.83.

383 Il est important ici de distinguer l’objectif de l’autonomie collective de celui du droit du travail qui vise la

protection du travailleur, sans nécessairement « obéir à un objectif égalitaire » dans Verge et Vallée, Un droit

du travail?, supra note 1, à la p.33.

384 Blackett et Sheppard, Négociation collective, supra note 61, à la p.448.

385 Gernigon, Odero et Guido, ILO principles, supra note 355, à la p.51. Voir également Verge et Vallée, Un droit

bénéfices accordés par l’emploi, les conditions de travail mêmes). Cependant, elle s’ouvre également à des questions rattachées davantage aux droits de la personne (protection contre la discrimination au travail et le harcèlement, les opportunités de formation, les congés parentaux et autres pour obligations familiales)386 désormais aussi considérées comme des conditions de travail.

Dans le cadre du régime général de rapports collectifs du travail existant au Canada, régime inspiré par le Wagner Act américain387, cette échelle équivaut à l’entreprise. Dans ce contexte, l’autonomie collective joue un rôle important au sein même des entreprises où la représentation des travailleurs a lieu388: au lieu de laisser les travailleurs dans une situation telle que pour manifester leur insatisfaction, ils n‘aient d’autre choix que de mettre un terme à leur relation de travail, elle leur offre une alternative en leur procurant une voix. Au-delà de la négociation collective devant mener à la conclusion d’une convention collective, elle permet également aux travailleurs de faire entendre leur insatisfaction auprès de l’employeur, cela tout au long de la durée de vie de la convention collective, point de départ pour la recherche d’une solution389.

386 Blackett et Sheppard, Négociation collective, supra note 61, à la p.432.

387 National Labour Relations Act, (Wagner Act), c. 372, 49 Stat. 449 (1935). La description de ce régime

déborde le cadre de la présente analyse. Pour plus de détails, voir Coutu, Fontaine et Marceau, supra note 350; Voir également Verge, Trudeau et Vallée, Le droit du travail par ses sources, supra note 34, aux pp.33-54 et 84- 172.

388 Ceci étant dit, le régime général n’est pas le seul applicable (pour une revue générale des différents régimes

applicables au Québec, voir Verge, Trudeau et Vallée, Le droit du travail par ses sources, supra note 34, aux pp.309-322) et le rôle de l’autonomie collective au niveau de l’intérêt plus spécifique des travailleurs est tout aussi pertinent dans le contexte des autres régimes.

389 Harry Arthurs, « Reconciling Differences Differently : Reflections on Labor Law and Worker Voice after

Dans un second temps, l’autre voix vise l’intérêt plus général des travailleurs et s’inscrit davantage dans l’autonomie institutionnelle des associations en ce qu’elle touche à leur rôle plus large d’acteurs dans les enjeux sociaux et dans la détermination de politiques publiques qui peut en résulter. Elle dépasse le cadre de la convention collective.

L’État, dans la recherche de l’intérêt public, élabore des politiques publiques, soit «l’ensemble des actions et décisions prises en vue d’améliorer le fonctionnement de la société »390. Dans le cadre de l’élaboration de ces politiques publiques, une place peut être faite aux regroupements de travailleurs et d’employeurs à travers la concertation, qui « consiste à faire en sorte que les autorités compétentes sollicitent de façon appropriée les vues, les conseils et le concours des organisations d’employeurs et de travailleurs. »391 Elle se concrétise de deux façons principales : par la consultation et par la collaboration. La consultation consiste à donner l’occasion aux regroupements de se réunir pour discuter de questions d’intérêt commun, pour échanger de l’information et étudier ensemble les moyens de résoudre les problèmes. Le processus mène à des avis et à des conseils plutôt qu’à des décisions. La collaboration vise plutôt à confier aux partenaires sociaux une responsabilité directe dans la gestion et l’administration d’un service public relevant de la mise en œuvre de la politique nationale du travail. « En matière d’adaptation des lois du travail, le processus de concertation se manifeste davantage par la consultation que par la collaboration. »392 La consultation permet à l’État de prendre en compte de façon structurée les intérêts et les préoccupations de la pluralité des groupes dans la société. Aussi, les

390 Sexton, Leclerc et Déom, « Politique de main-d’œuvre et politiques publiques » (1980) 35 :1 Relations

industrielles 3, cité dans Doyon, Le rôle de l’État, supra note 359, à la p.97.

391 Doyon, Le rôle de l’État, supra note 359, à la p.100. 392 Ibid., à la p.101.

politiques publiques du travail émanent rarement de la seule volonté de l’État. Elles sont généralement impulsées par des acteurs sociaux, l’État demeurant un pont central dans cet exercice, son adhésion à certaines idées plus qu’à d’autres favorisant l’adoption de politiques publiques particulières393.

Ainsi, en exerçant leur autonomie collective au niveau plus général394, ce que j’appelle la voix au niveau des enjeux sociaux, les regroupements de travailleurs et d’employeurs peuvent influencer les politiques publiques adoptées par l’État395. Dans ce rôle, ils sont vus comme de véritables « entrepreneurs politiques »396. Au-delà de la consultation formelle, leur action peut prendre la forme d’activités d’information, de campagnes d’opinion publique, de pressions politiques397. Et cette influence vise plus que les conditions de travail des travailleurs que l’association représente directement, touchant non seulement aux conditions de travail entendues dans un sens large, mais également à l’inflation, à la formation de la main-d’œuvre, au chômage et à d’autres questions sociales398.

393 Bernstein et al., Les transformations du travail, supra note 77, à la p.198.

394 Ce que Murray identifie comme la « promotion des intérêts » de ce qu’il appelle le « salarié/citoyen », par

opposition au « salarié en tant que tel » . Voir Gregor Murray, «La représentation en relations industrielles. Perspectives et prospective», dans M. Audet et al. dir., La représentation. Miroir ou mirage de la démocratie au

travail?, Actes du XLIXe Congrès des relations industrielles, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1994, p.7,

aux pp.8 et 11.

395 Arthurs, Reconciling Differences Differently, supra note 389, à la p.161. Il mentionne qu’en ce qui concerne

les associations de travailleurs, elles ont eu cette capacité à la fois en elles-mêmes et par le jeu d’alliance et de participation à des coalitions progressistes de plus large envergure. Voir également à ce sujet Vallée, Pour une

meilleure protection des travailleurs vulnérables, supra note 6, à la p.31 « l’existence d’actions concertées entre

ces associations et les organisations syndicales peut même faire naître des solidarités élargies porteuses d’un renouveau pour le mouvement syndical et d’une meilleure capacité d’infléchir les politiques du travail » .

396 Bernstein et al., Les transformations du travail, supra note 77, à la p.196.

397 Vallée, Pour une meilleure protection des travailleurs vulnérables, supra note 6, à la p.31. 398 Gernigon, Odero et Guido, ILO principles, supra note 355, à la p.33.

En somme, l’autonomie collective a pour objectif de donner l’occasion aux travailleurs visés d’agir en véritables acteurs sociaux, émancipés et en vue de leur protection, plutôt que de simplement subir les décisions des autres.

« Dans le cadre des rapports de travail, le Québec envisage la loi comme un cadre général à l’intérieur duquel l’autonomie collective, c’est à dire « la détermination collective des régimes de travail avec l’acteur patronal » (Brunelle et Verge, 2003 : 728), devient le vecteur principal d’introduction à la démocratie, à l’équité et à l’institutionnalisation des syndicats. »399

Tel que le souligne Arthurs, « without voice there can never be genuine reconciliation, only paternalism or palliative measures. »400 Aussi, un lien étroit peut être tissé entre les concepts d’autonomie collective et de travail décent, tel que le résument les commentaires suivants de Servais :

« Les pouvoirs publics ont pour mission, sur le plan social, de mener des politiques de « travail décent » qui amortissent les conséquences fâcheuses, pour les personnes concernées, des mutations économiques en cours (…). Chaque fois, le rôle, important, des pouvoirs publics (…) consistera à reconnaître les acteurs sociaux, à favoriser leur développement et leur accès à l’information (en éliminant les obstacles, y compris les pratiques antisyndicales), à consacrer les institutions qu’ils créent (en participant, par exemple, à leur création) et à faciliter les rapports entre eux. En bref, ils assureront moins une fonction de tuteur que celle d’un inspirateur et d’un médiateur qui crée un environnement propice au dialogue. (…) ils intégreront ces acteurs représentatifs aux organismes qui mettent en œuvre des politiques sociales de formation professionnelle, de crédit, de sécurité sociale, etc. ; ils étendront le champ de leurs négociations autonomes ou encore les feront systématiquement participer à l’élaboration des politiques sociales, ainsi que des lois qui traduisent celles-ci en mesures durables et plus ou moins contraignantes.»401

L’autonomie collective permet l’atteinte des différents éléments du travail décent. L’autonomie collective fournit d’abord l’occasion aux travailleurs visés de participer au

399 Coiquaud, Le cas des chauffeurs locataires de taxi, supra note 15, à la page 97.

400 Arthurs, Reconciling Differences Differently, supra note 389, à la p.155. L’auteur s’exprime ainsi au sujet de

la vision du droit du travail d’un autre auteur, notamment telle qu’elle est expliquée dans son ouvrage principal : Paul C. Weiler, Reconcilable Differences : New Directions in Canadian Labour Law, Toronto, Carswell, 1980.

dialogue social. Cette participation permet à son tour aux travailleurs d’agir au niveau de leurs relations de travail et d’avoir le pouvoir nécessaire pour influencer l’élaboration de normes de travail décentes (qui reconnaissent les principes et droits fondamentaux au travail des travailleurs et en assurent le respect garantissant ainsi la liberté de ces derniers), ce qui joue sur la qualité de l’emploi et touche donc l’égalité des travailleurs en cause, i.e. une redistribution plus équitable des profits générés par le travail du donneur d’ouvrage vers ceux qui exécutent le travail ainsi que des normes minimales et une protection contre la discrimination qui assurent que ceux qui exécutent le travail sont tous traités de façon similaire. La participation au dialogue social permet également aux travailleurs en question d’exercer une influence à un niveau plus global. À ce niveau, cette influence vise à jouer sur le contexte social qui favorise la création d’emplois en quantité suffisante et en qualité adéquate. Ce dialogue social entraine aussi la possibilité de soulever des débats qui sortent du cadre de l’emploi comme tel et touchent davantage à l’appréciation même du rôle de ces exécuteurs de travail au sein de la société, mettant ainsi de l’avant la dignité de ces travailleurs. Enfin, la participation au dialogue social permet la mise en place d’un filet de protection sociale visant la sécurité des travailleurs en question. À nouveau, cela peut se faire par le dialogue instigué au niveau des rapports directs entre les donneurs d’ouvrage et ceux exécutants le travail ou à un niveau plus global à travers des prises de position et des moyens de pression pour l’obtention de régime étatique de protection sociale visant les travailleurs en question.

SECTION 2.2 Les artistes, à titre de travailleurs autonomes, doivent bénéficier de l’accès à un

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