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Le travail institutionnel réalisé dans le cadre du changement de politique culturelle du Département des Yvelines

Les 4 phases du travail institutionnel :

II. Le travail institutionnel réalisé dans le cadre du changement de politique culturelle du Département des Yvelines

Cette partie vise à étudier les pratiques mises en œuvre par les acteurs pour rendre effectifs les changements opérés. Dans une première partie, nous présentons le cadre théorique retenu qui sera suivi, dans une deuxième partie, de la présentation des résultats et enfin des recommandations managériales.

1. Le travail institutionnel : cadrage théorique et conceptuel

L’approche par le travail institutionnel permet d’appréhender la mise en œuvre de la nouvelle politique culturelle des Yvelines en tenant compte de son environnement institutionnel. En effet, contrainte par son environnement, une organisation poursuit une double quête à la fois d’efficacité mais aussi de légitimité visant à faire accepter ses pratiques par les autres parties prenantes. La quête de légitimité interroge alors la capacité des acteurs du changement institutionnel à faire accepter les nouvelles institutions afin que le changement soit effectif et orienté dans le sens des objectifs fixés. Dans le cas d’une politique publique locale, la quête de légitimité apparaît d’autant plus critique que le système politico-administratif d’un territoire impose de fait de s’intéresser – tôt ou tard – à l’adhésion des citoyens et des opérateurs aux changements institutionnels orchestrés.

La notion d’institution correspond à un ensemble de normes et de règles socialement construites qui influencent le comportement des individus et des organisations. Selon Fligstein (2001 : 108), les institutions sont « des règles et des significations partagées [...] qui définissent les relations sociales, aident à définir qui occupe quelle position dans ces relations et guident les interactions mettant à disposition des individus des cadres cognitifs et des ensembles de significations qui permettent d'interpréter le comportement des autres ».

Les institutions font à la fois référence à des normes, à des règles davantage formelles, ou encore plus largement à un ensemble de croyances et de significations. Aussi, afin d’y apporter une grille de lecture englobante et pluridisciplinaire, Scott (1995) propose de les définir à partir de trois éléments distinctifs qui constituent les briques de base des structures institutionnelles. Ces trois éléments, qu’il nomme « piliers », se distinguent par leur nature et leur mécanisme de fonctionnement et se situent sur un continuum « allant du conscient à l’inconscient, du légalement imposé au pris pour acquis » (Hoffman, 1997 : 36) : il s’agit du pilier règlementaire, du pilier normatif, et du pilier culturel-cognitif. Dans notre cas, nous nous intéresserons à la manière dont chaque pilier se manifeste dans la perception des acteurs interrogés, et à la manière dont ils affectent leurs pratiques.

Le pilier réglementaire définit l'étendue des comportements possibles des individus. Le pilier réglementaire vise ainsi à réguler et contraindre les individus ; « les processus règlementaires impliquent la capacité d’établir des règles, de contrôler la conformité

des autres à ces mêmes règles, et, nécessairement, de jouer sur les sanctions – récompenses ou punitions – afin d’influencer un comportement futur » (Scott, 1995 : 59).

Le pilier normatif renvoie aux normes et aux valeurs qui guident le comportement des individus en introduisant une dimension prescriptive, évaluative, et obligeante à la vie sociale. Les normes « spécifient comment les choses doivent être faites » et les valeurs correspondent aux « conceptions de ce qui est préféré ou souhaité et qui permettent de construire des standards à partir desquels les structures et les comportements existants peuvent être comparés et évalués » (Scott, 1995 : 64).

Le pilier culturel-cognitif fait référence aux « représentations symboliques du monde » internalisées par un individu (Scott, 1995 : 67) et qui influencent le sens qu'il donne aux choses. Il s'agit donc d'un système de significations qui influence la réalité perçue et socialement construite des individus. Le pilier culturel-cognitif invite à considérer que les processus d'interprétation internes d'un individu sont façonnés par les structures culturelles externes car la culture fournit à l'individu « les modèles pour penser, ressentir et agir » ; il s'agit « du logiciel de l'esprit » (Hofstede, 1991 : 4).

Si ces trois piliers diffèrent, ils ont en commun de contribuer à un ordre social institutionnalisé dans la mesure où chaque pilier favorise l'adoption de comportements stables (Scott, 1995). Aussi, à travers ces trois piliers, les institutions apparaissent comme à la fois contraignantes et habilitantes (Battilana et al., 2009). Elles constituent des structures sociales stables et résistantes au changement, elles sont maintenues et reproduites dans le temps (Zucker, 1977). Les institutions se caractérisent donc par leur stabilité (Zucker, 1977) et dans le même temps, par une forme d’inertie qui suppose de déployer des efforts pour orchestrer un changement institutionnel (Slimane et Leca, 2010). Cet effort correspond à un travail institutionnel, soit « l’action intentionnelle des acteurs ou des organisations visant à créer, maintenir ou déstabiliser les institutions » (Lawrence et Suddaby, 2006).

Le travail institutionnel apparaît donc critique pour faire accepter et favoriser l’appropriation de nouveaux éléments institutionnels. Aussi, dans le cadre de la politique culturelle des Yvelines, nous cherchons à identifier et caractériser ce travail institutionnel notamment à travers la typologie de Cloutier et al. (2016), complétée par les travaux de Arnaud et Serval (2017). Cette typologie apparaît tout à fait pertinente à utiliser comme grille de lecture dans la mesure où elle a été construite à partir d’un cas de mise en œuvre d’une nouvelle politique publique et de l’émergence d’un réseau territorial dans le champ de la culture sur le Département des Yvelines (Anim’Assos). La transposition du modèle semble donc particulièrement pertinente pour l’étude menée ici. Ces derniers distinguent en effet différentes formes de travail institutionnel afin de mettre en œuvre une nouvelle politique publique dont le travail structurel, le travail conceptuel, le travail opérationnel, le travail territorial et le travail relationnel.

Le travail structurel renvoie aux efforts managériaux visant à formaliser les rôles, les systèmes de règles, les principes d'organisation et les modèles d'allocation de ressources qui soutiennent le cadre des nouveaux éléments institutionnels. Selon les auteurs, le travail structurel est un travail précurseur dans la mesure où il paraît difficile « d’engager des efforts substantifs ou de changer quoi que ce soit » sans des rôles assignés et des règles de fonctionnement définies (Cloutier et al., 2016 : 266). Le travail structurel est également récursif (contraint par les structures antérieures qui peuvent plus ou moins être contradictoires avec les nouvelles), et disruptif (il s'agit d'un nouveau design organisationnel qui a pour point de départ les designs préexistants). Le travail conceptuel correspond aux efforts déployés par les manageurs pour établir un système de croyances, de normes et de schémas d'interprétation cohérents avec les nouveaux éléments institutionnels. Le travail conceptuel est spécialisé et dédié à des personnes particulières ayant les compétences et le temps nécessaires. Le caractère spécialisé du travail conceptuel apparaît dans un environnement institutionnel élargi, impliquant des personnes extérieures aux organisations. Le travail conceptuel est également détaché des opérations existantes afin de produire la rupture souhaitée, et répétitif pour pouvoir lever les ambiguïtés induites par l’introduction de nouveaux éléments institutionnels.

Le travail opérationnel renvoie aux efforts managériaux visant à mettre en œuvre des actions concrètes directement liées aux nouveaux éléments institutionnels et qui changent les comportements quotidiens des acteurs de terrain. Le travail opérationnel est fragmenté, sujet à controverse (conflictuel notamment avec les relations de pouvoir, les valeurs et intérêts structurés par les règles institutionnelles antérieures), et transactionnel (fondé sur des intérêts particuliers).

Le travail territorial (Arnaud et Serval, à paraître) repose sur le fait que l’espace requiert un travail particulier qui consiste à mener des efforts de construction du territoire qui délimite, supporte et finalise l’action visant à introduire de nouveaux éléments institutionnels. Le travail territorial est inextricablement relié aux autres formes de travail institutionnel (figure 10). En effet, le travail territorial est un médiateur qui permet de générer des significations qui servent de filtres interprétatifs pour les autres formes de travail institutionnel. Le travail territorial est situé et permet de circonscrire à la fois le travail conceptuel, structurel, opérationnel et relationnel en construisant in fine les frontières, toujours poreuses et évolutives, du travail institutionnel. Enfin, le travail territorial est incrémental en ce que le territoire se construit chemin faisant du fait de sa complexité qui complique les autres formes de travail institutionnel en faisant intervenir des actions et des acteurs non prévus a priori.

Enfin, le travail relationnel correspond aux efforts visant à construire des liens, de la confiance et de la collaboration entre les acteurs impliqués dans l'implémentation des nouveaux éléments institutionnels. Le travail relationnel est intégrateur et permet en ce sens de lier et soutenir les trois autres formes (figure 5).

Figure 25. Le modèle des formes de travail institutionnel (Source : Arnaud et Serval, à paraître)

2. Résultats

A partir des résultats précédents liés au changement, l’exploration des discours des répondants tendent à dessiner quatre phases dans le travail institutionnel accompli :

- Une phase de conception de l’ingénierie territoriale ;

- Une phase de communication liée aux modalités de changement auprès des acteurs culturels ;

- Une phase de mise en œuvre du changement ; - Une phase d’évaluation de celui-ci.

La phase de conception prend corps dans un contexte de ré-interrogation des fondements de la politique culturelle et de sa structuration spatiale :

« C’est le fruit d’une histoire, d’un territoire, d’une ré-interrogation qu’il y a eu, comment on a repensé une politique publique, on a une politique culturelle, dans un

contexte aussi de recherche des pistes, d’évolution territoriale très importante, avec la Loi NOTre, toutes les réflexions au niveau du Grand-Paris, on est dans une

incertitude, une évolution » (R16)

La phase de conception repose sur la volonté de mettre en œuvre une dynamique de développement territorial. Pour ce faire, la mise en œuvre de cette politique locale

TRAVAIL