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Partie 2. Découverte de la diversité des perceptions

I. Dites-moi ce qu’est la politique culturelle du Département des Yvelines…

1. Analyse des discours ayant accompagné le changement de politique culturelle

1.2. Résultat de l’analyse des discours politiques

Il nous semble important de s’attarder sur la vision de la « culture » que mobilisent les acteurs dans le cadre de cette politique culturelle. La culture est une notion très complexe et ayant plusieurs connotations. En effet, la culture peut être représentée en tant que pratiques et produits artistiques, en tant que modes de vie et de pratiques quotidiennes, en tant que culture populaire versus « haute » culture, en tant que processus ou en tant que produit, en tant que patrimoine, en tant qu’objet à préserver ou en tant que pratique à développer, etc. Utiliser le terme « culture » dans les discours permet de mobiliser des publics hétérogènes mais sensibles à la culture. Cependant, chaque audience est susceptible de mobiliser différemment le terme « culture » dans sa construction de sens.

Par exemple, dans l’article du Mag des Yvelines d’automne 2017, la culture est considérée comme un objet qui n’est pas forcement accessible à tous les citoyens (« Le Département apporte son soutien aux projets qui rendent la culture accessible à tous les Yvelinois, aux plus fragilisés, notamment. », « ouvrir la culture à tous »). Cela suppose que « la culture » est ici vue comme nécessitant un apprentissage, un certain nombre de références et de pratiques culturelles n’étant pas habituelles ou quotidiennes pour tous les habitants des Yvelines mais seulement pour une partie d’entre eux. Dans l’article du Mag des Yvelines de mars 2016, « la culture fait partie de l’identité des Yvelines. Elle est présente partout dans notre histoire, notre patrimoine et

7 Résultats issus de l’analyse des données secondaires transmises par le Département des Yvelines (discours politiques, articles de presse, etc.) : Le MAG des Yvelines – mars 2016 « Joséphine Kollmannsberger : Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture « Promouvoir les projet innovants » » ; Le MAG des Yvelines – automne 2017 « La culture un levier pour l’insertion »

La tribune de l’Association des bibliothécaires de France de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêts ; La réponse à cette tribune de la part de Mme Joséphine Kollmannsberger : Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture

notre façon de vivre ». Ici la culture est présentée comme quelque chose d’innée au territoire, ce qui est à la fois valorisant et distinctif ; la culture est alors rattachée fortement au patrimoine. Ici, aussi, on imagine plutôt la culture artistique, celle qui est sédimentée dans le patrimoine et dans notre façon de vivre qui suppose l’amour des Yvelinois à l’art ou l’art de vivre.

Ainsi, cette vision de la culture au sens de création artistique non accessible à tous inscrit le changement mené par le Département dans un discours de « médiation culturelle ».

L’on retrouve aussi une conduite du changement basée sur une volonté de co- construction avec les acteurs experts « J’ai rencontré beaucoup d’acteurs culturels » (le Mag, mars 2016) , « les Yvelines ont entamé une réflexion concertée avec les bibliothèques, mais aussi avec les acteurs culturels », « Il me parait indispensable de poursuivre les échanges en impliquant sans aucun doute les associations professionnelles des bibliothèques, mais aussi toutes les parties prenantes de cette question (professionnels de la culture, Etat, élus de tous les niveaux de collectivités). » (Réponse de Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture). Dans ces communications destinées à des associations professionnelles ou à un public plus large, de nouveau, il s’agit d’un discours plutôt de médiation culturelle, et moins de démocratie culturelle. Autrement dit, la participation des citoyens dans ce projet n’est pas valorisée. Certes, une approche marketing semble bel et bien en place « L’exécutif départemental souhaitait une réponse adaptée aux besoins des Yvelinois » (Réponse de Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture), les projets culturels doivent « nous présenter des résultats chiffrés de leurs actions : cible touchée, nombre de spectateurs, retours espérés… » (le Mag, mars 2016). Si le discours marketing colonise les discours du service et du management public (Fairclough, 2006), il peut être vécu par certains comme étant en confrontation avec les discours de démocratie participative et de service public. Le discours marketing ne présuppose pas de répondre aux besoins de tous les consommateurs, mais uniquement aux consommateurs solvables. En revanche, le discours de la démocratie participative nous semble être plus en adéquation avec les valeurs de service public. Ce discours avec D (impliquant non pas uniquement des communications, mais aussi une philosophie, des pratiques et des structures) peut consister en une plus grande valorisation du fait que les projets soient ouverts à tous les acteurs, y compris des associations culturelles d’une grande proximité pour certaines « quotidiennes » avec les habitants.

Ainsi, ce changement ne stimule pas tellement des réponses aux besoins des consommateurs culturels, mais la valorisation des pratiques culturelles artistiques plus au moins quotidiennes des citoyens. D’autant plus que certains acteurs culturels ont participé à la réflexion autour du changement impulsé avec le PDC, ou de la plateforme collaborative LeVivier qui favorise d’ailleurs la collaboration entre les acteurs ainsi que « l’expression » partielle des voix plus au moins divergentes.

Cependant, la participation des citoyens de manière encore plus directe dans la gouvernance des appels à projet culturels ou à travers d’autres pratiques de démocratie participative peut renforcer le discours de démocratie participative en lieu et place d’un discours purement marketing afin de rendre le projet mené encore plus compatible avec les valeurs de service public. Tous les changements engagés par les collectivités territoriales ne permettent pas forcement une relecture à travers le discours de l’implication citoyenne quotidienne comme cela peut être le cas pour le projet étudié. La participation citoyenne structurée nécessite une vision de la culture non pas en tant qu’objet inaccessible à tous mais en tant que pratiques culturelles artistiques et sociales quotidiennes.

Le contexte des collectivités territoriales est défini de manière presque identique par les acteurs. Selon la tribune de l’Association des bibliothécaires de France et de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêts, nous sommes « A l'heure de la recomposition territoriale et de la réduction des moyens budgétaires » ; selon Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture « C’est dans un contexte de recomposition territoriale » (dans la réponse à la tribune précédente) ou encore « Du fait de la baisse des dotations de l’État et de l’augmentation des dépenses sociales obligatoires nous avons été contraints d’annoncer à nos partenaires des diminutions de subventions » (dans le MAG- mars 2016). Tout comme la notion de culture, le terme de « recomposition territoriale » est flou, ambigu et complexe, ayant de multiples causes et origines, de multiples conséquences et étant un processus qui s’inscrit dans le temps et se construit par une multitude d’acteurs. Ainsi, selon les contextes géographiques, politiques, administratifs et sociaux cette recomposition peut prendre des formes différentes.

« Le regroupement de communes, la montée en charge des coopérations et les actions mutualisées au sein des intercommunalités incitent » à cette recomposition territoriale(La réponse à la tribune de la part de Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture). Ici, cette recomposition est vue comme étant du bas vers le haut, volontaire et positive (le termes « coopérations », « actions mutualisées » ont une connotation plutôt favorable). Tant les « opposants » que les « promoteurs » du changement voient ces deux dimensions du contexte comme des « données », en mobilisant des « noms » (« recomposition », « réduction ») les phénomènes sont transformés en processus sans agents responsables. De même, la baisse des subventions concernant la politique culturelle du Département est vécue comme une contrainte externe et non pas comme un choix interne ou un mixte des deux.

Cette définition commune du contexte, d’un côté, permet le dialogue mais, de l’autre, réalise une « clôture » et incite les acteurs non pas à tenter de modifier les processus à l’œuvre dans leur environnement afin de le rendre plus favorable, mais à « s’adapter » à celui-ci. Ainsi, la réflexion peut être inversée et la finalité étant le

développement culturel il est probablement possible d’identifier avec les acteurs des pistes de recomposition territoriale et ou de nouvelles sources budgétaires.

Tant les « opposants du changement » que les « promoteurs » défendent leur position à partir des mêmes valeurs républicaines et de service public. « Depuis 1986, les départements exercent cette compétence avec volontarisme et innovation, pour garantir l’égalité d’accès des citoyens à la culture dans tous les territoires » (La tribune de l’ABF et de l’ADBDP). « Il est donc de notre responsabilité de considérer les options les plus appropriées et de défendre une politique de lecture forte fondée sur l’accompagnement des territoires…, cette politique… est tout aussi volontaire, structurante, voire plus forte pour les communes bénéficiaires » (La réponse à cette tribune de la part de Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture) ou encore « Lutter contre l’isolement, créer du lien social, ouvrir la culture à tous, enfin renforcer l’autonomie des personnes. » (le MAG- automne 2017). L’ensemble des acteurs a donc pour finalité « l’égalité d’accès » et « l’ouverture de la culture à tous », mais en outre, tous partagent le fait que pour cela il faut du « volontarisme » et de « l’innovation ».

Si les analyses du contexte par les « opposants » et les « promoteurs » du changement PDC semble proches, si leurs valeurs sont identiques, les pistes d’actions proposées sont opposées. Ainsi ce qui pour les uns est « La décision du Département des Yvelines ne saurait être élevée au rang de « modèle innovant » au regard du déficit criant des budgets d’acquisition de documents dans nombre de bibliothèques territoriales. Sans les apports des BDP8, dans les équipements les plus modestes, les usagers devraient

se contenter de collections en faible quantité, vieillissantes et peu renouvelées » (La tribune de l’ABF9 et de l’ADBDP10) est pour les autres « Nous n’avons été animés ni par

un désir d’innovation ni par une ambition de modélisation… Notre mobilisation nous a autorisé à nous poser toutes les questions : comment positionner une politique de lecture publique yvelinoise au regard des nouveaux périmètres communaux et intercommunaux ? » (La réponse à la tribune ABF de la part de Mme la Vice- présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture). Ainsi dans leur tribune, l’ABF et l’ADBDP considèrent que ce que le Département des Yvelines appelle « innovant » n’est qu’une « simple coupe budgétaire » provoquant ainsi une inégalité territoriale du développement de la lecture publique. En réponse, le Conseil Départemental rejette l’accusation d’une gestion mécanique de son budget culture (« modélisation ») et atteste que leur « mobilisation » pour un meilleur service public leur a donné « l’autorisation » (le pouvoir et le droit) « à nous poser toutes les questions » (sans tabous). Or, dans la tribune de l’AFB et de l’ADBDP, il peut s’agir de revendications ou de préoccupations sectorielles telles que renvoyées entre autres par la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture : « Consciente

8 Bibliothèques départementales de prêt 9 Association des bibliothécaires de France

de la portée de notre action et mesurant pleinement les interrogations de la profession que vous représentez, je souhaite vivement vous rassurer quant à l’intérêt des Yvelines pour cette compétence, et vous apporter quelques compléments d’informations propres à pondérer vos déclarations » (La réponse à la tribune ABF de la part de Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture). Le Conseil Départemental présente et oppose sa vision de l’ancienne situation au changement impulsé par le PDC ainsi : « La BDP constitue-t-elle elle-même, dans les Yvelines, un équipement d’aménagement du territoire ou doit-elle œuvrer à cet aménagement ? La fourniture de ressources via le Département est-elle incontournable ou faut-il miser davantage sur un accompagnement professionnel pour capitaliser les ressources déjà existantes ? ». En outre, ce questionnement n’est pas une posture, mais est fondé sur un diagnostic : « Nous avons donc réalisé un diagnostic précis sur la situation de la BDY, l’évolution des bibliothèques sur le département, et des dynamiques à l’œuvre sous l’effet de la reconfiguration des territoires… Il est donc de notre responsabilité de considérer les options les plus appropriées. » (La réponse à la tribune ABF de la part de Mme la Vice-présidente du Conseil Départemental déléguée à la culture). Autrement dit, le discours stratégique mobilisé atteste implicitement du sérieux des analyses, des conclusions et donc des actions induites.

2. Un changement radical de nature culturelle et structurelle : analyse des