• Aucun résultat trouvé

Partie 2. Découverte de la diversité des perceptions

I. Dites-moi ce qu’est la politique culturelle du Département des Yvelines…

1. Analyse des discours ayant accompagné le changement de politique culturelle

1.1. Analyse de Discours : philosophie et approches

Nous définissons d’abord la notion de discours avant d’en souligner les logiques épistémologiques sous-jacentes.

Définition de la notion de discours

Selon le Petit Robert, le discours est un développement oratoire, sur un sujet déterminé, dit en public, et en particulier lors d'une occasion solennelle, par un orateur ; allocution : Discours de bienvenue ; Propos tenus par quelqu'un, en général longs ; Péjoratif. Développement lassant et inutile ; vaines paroles ; Manifestation écrite ou orale d'un état d'esprit ; ensemble des écrits didactiques, des développements oratoires tenus sur une théorie, une doctrine, etc. : Le discours marxiste. Ainsi, le discours semble en général être de nature linguistique, banale, superficielle, plus au moins éloigné de la pratique et de la réalité.

Cependant, les approches interprétativistes et constructivistes des sciences humaines et sociales considèrent le concept de discours comme étant central pour l’activité humaine et sociale. Ainsi, le discours peut être défini comme étant toute forme de signification et peut représenter chaque type de pratique de signification (Lehtonen, 2000) : conversations orales, musique, images, textes écrits, comportement, objets… Autrement dit, le discours est toute action ou phénomène qui peut être « lu » au sens d’interpréter. Ainsi, le concept de discours présuppose que la communication consiste en la construction de sens et qu’il ne s’agit pas d’un simple « transfert d’information ». La construction de sens nécessite l’interprétation et non pas le traitement mécanique d’une « information ». La construction de sens est faite par le récepteur d’une pratique signifiante, moins par son auteur qui lui tente de donner du sens. Par conséquent, le processus de construction de sens est toujours une co- construction.

La notion de discours étant aussi large, il est nécessaire de distinguer les discours avec un grand D et les discours avec un petit d (Cooren, 2015). Les premiers se caractérisent par le fait qu’ils produisent des doctrines, des idéologies, ou des présupposés et des modes interactionnels typiques à certaines activités sociales (relations managers- ménagés, docteur-patient, etc.). Les seconds reproduisent et ou transforment les discours avec un D au quotidien dans chaque interaction particulière (Taylor et Van Emery, 2000). Ainsi, nous pouvons considérer que les textes, les échanges, les entretiens et les conversations analysés dans la présente étude peuvent être considérés comme étant des discours avec un d reproduisant des discours avec un D sur les valeurs de service public, le discours managérial, le développement inclusif, etc.

Présupposés ontologiques de l’analyse de discours

Les phénomènes, les objets et les systèmes naturels et sociaux étant très complexes et impliquant des structures et des processus multiples, de natures variées (physique, chimique, symbolique, physiologique…), ils supposent que chaque phénomène a des « essences », des identités, et des finalités multiples. Cette complexité implique la recherche de sens et de l’ordre (loi, régularité). Cette dernière consiste à réduire les phénomènes à certaines de leurs « essences » au détriment d’autres. Ce choix interprétatif peut être conscient ou inconscient (au sens d’être devenu un automatisme). Ainsi, les interprétations des acteurs ne reflètent pas « toute la réalité », elles la construisent (Potter, 2012).

Cela ne suppose pas qu’un acteur a toute la liberté de construction et de transformation de la « réalité ». D’un côté, les interprétations possibles sont avant tout des interprétations sociales ou collectives. Tous les apprentissages (les concepts, les représentations, les savoirs faire, les savoir-être) d’un individu étant des apprentissages sociaux (à travers l’imitation, les connaissances transmises, les interactions sociales), la marge de manœuvre d’un acteur porte sur l’assemblage de ces apprentissages (ressources sociales et culturelles) à un moment donné et dans un contexte donné. En outre, cet « assemblage » ne reflète « la réalité » qu’après négociation avec les autres acteurs de l’interaction sociale ou environnement sociale plus large. Ainsi, la création de sens est toujours un processus collectif et social.

L’analyse de discours permet d’identifier les concepts, les représentations, les présupposés assemblés par les acteurs d’une interaction afin de donner du sens à leur action, ou bien d’en rendre compte. Mais les discours ne reflètent pas la réalité, ils la construisent, à travers la définition de la situation, de ce qui est important par rapport à ce qui l’est moins, la répartition des rôles des différents acteurs, les jugements des actions perçues comme positives ou négatives en présupposant des valeurs partagées par tous, etc. (Hoffman et Ford, 2010). L’impact des discours (concepts, représentations, théories…) sur la structure sociale et l’environnement « matériel » n’est pas uniquement symbolique mais aussi « physique » en permettant soit de les reproduire, soit de les transformer plus ou moins radicalement à travers le sens qu’on leur donne.

De l’autre côté, la construction de sens est aussi une négociation permanente avec, en plus de l’environnement social, l’environnement « matériel » (l’environnement « matériel » peut être aussi une construction sociale et collective, ou bien une conséquence de l’activité humaine). Autrement dit, les agents interprètent les réactions (résistances) des phénomènes physiques (naturels ou créés). Par exemple, une coupe budgétaire est une conséquence d’une multitude de décisions et d’actions d’une multitude d’acteurs. Néanmoins, le budget actuellement disponible est considéré comme une donnée (de nature matérielle) qui modifie le contexte à telle point qu’il faut réinterpréter la situation et co-construire les futures actions. Ainsi,

toutes sortes « d’assemblage » ne sont pas faisables, même si les phénomènes matériels, étant tout aussi complexes que les phénomènes sociaux, permettent des interprétations différentes (parfois complémentaires, parfois contradictoires).

Par conséquent, la construction de sens (dans la communication/ interaction) est toujours locale, spécifique au contexte (relationnel) immédiat (type de relation, genre de l’évènement, contexte physique, moment particulier…) et au contexte (relationnel) plus large (cultures organisationnelles, cultures sociétales, pouvoir, contexte physique, historique…). Cependant, le contexte est lui-même interprété par les acteurs et consiste en tout élément apporté par l’auteur/destinateur et le lecteur/destinataire dans le processus de construction de sens (Lehtonen, 2000). L’analyse de discours (ou du sens construit ou donné) repose sur le principe que les acteurs ont la marge de manœuvre (plus au moins limitée, plus au moins consciente) de choisir leur vocabulaire, les caractéristiques des situations et des autres acteurs à prendre en compte, leurs actions, leurs interprétations, etc. afin de réaliser des buts conscients ou inconscients multiples de recherche de légitimité culturelle et sociale et de pouvoir (au sens de promouvoir sa vision du monde, une identité, … ) (Machin et Mayr, 2012). Le discours est une action car non seulement il modifie l’état de connaissances de son destinataire (la fonction de transmission d’information) mais en plus certaines actions ne peuvent qu’être purement linguistiques (baptiser, se marier, etc.) (Austin 1976). L’approche pragmatique de l’analyse des discours permet d’analyser non seulement les présupposés mais aussi les actions impliquées (Senth, 2014) par un discours (positionnement des objets et des actions, jugements et évaluations à la base de valeurs supposées partagées, etc.).

Dans une interaction, le sens de l’action et du contexte est co-construit entre les participants qui mobilisent une multitude de pratiques signifiantes (discours, comportements, objets, etc.) en même temps. Une interaction peut être plus au moins dialogique et donc co-construite (ou à l’inverse, elle peut être plus au moins monologique) avec l’un des agents ayant plus de pouvoir (statutaire, culturel, linguistique, …) à imposer sa vision. Néanmoins, le contrôle total d’un des agents sur les interprétations des autres est impossible.

Les interprétations et les pratiques signifiantes considérées comme appropriées à un contexte et habituelles au sein d’un collectif deviennent « naturalisées » (les choses comme elles sont ou des discours D englobant des représentations structurées, un ordre social et moral et des pratiques/comportements). Ce qui est considéré comme une donnée, n’est pas supposé être discuté et négocié dans une interaction (même si cela est toujours possible).

Dans le cadre d’un changement, notamment un changement radical, il s’agit de modifier tant les discours avec d que les discours avec D. Des nouvelles représentations et de nouveaux présupposés doivent être partagés, une nouvelle structure sociale doit être construite et reproduite au quotidien à travers certaines

nouvelles pratiques quotidiennes. Mais ce partage se co-construit à travers le dialogue et la réinterprétation en continu de nouveaux éléments du contexte qui intègre les premières conséquences du changement. Ces « lectures » du changement doivent aussi être matérialisées dans une partie des outils et comportements quotidiens des acteurs tant par rapport à leur métier que par rapport à leur valorisation sociale.

Dans le cadre de l’étude menée nous disposons uniquement de données discursives de nature orale et textuelle. A la base de ces données partielles nous pouvons tenter d’identifier les présupposés mobilisés en termes de ce qui est un fait non discutable, quelles sont les caractéristiques et les rôles supposés des différentes parties prenantes selon les auteurs des discours, etc. Un discours déconstruit lors de l’analyse de discours ne suppose pas que l’auteur du discours est loin de la « réalité » mais permet d’identifier les multiples « voix » que l’auteur tente de mobiliser et de représenter. L’objectif de ce type d’analyse est de jouer le rôle de « l’avocat du diable » ou plus tôt « l’avocat des oubliés ».