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Partie 2. Découverte de la diversité des perceptions

I. Dites-moi ce qu’est la politique culturelle du Département des Yvelines…

2. Un changement radical de nature culturelle et structurelle : analyse des entretiens

2.1. Les métaphores mobilisées par les acteurs du PDC

Tout d’abord, le changement a été réfléchi à la suite d’une insatisfaction avec les résultats de la politique culturelle du Département. Cette insatisfaction fait référence à un « manque » en termes de culture, à « une insuffisance ».

« On a identifié des zones carencées qui continuaient à rester carencées, notamment la partie rurale, qui malgré un certain nombre de subventions, restait

toujours à la traîne. » (E2)

« Donc pour moi c'est des missions temporaires, mais pendant tout ce temps où on sera encore là, c'est effectivement agir où il faut agir, et combler progressivement

les zones carencées, s'assurer qu'il y a un relai qui soit pris au niveau de la collectivité

ou en tout cas de l'EPCI. » (E2)

Ce corps malade est carencé par des « nutriments » essentiels : la culture. « On n’a pas pénétré les quartiers, les zones rurales. » (E1)

Ce ressenti a été un facteur de motivation importante pour les acteurs du PDC. Ils ont eu le sentiment d’avoir une mission d’améliorer le quotidien des habitants en leur apportant « la revitalisation culturelle ». Ce qui leur semble poser problème ce n’est pas le manque de traitement (de nombreux financements) : « Où l’argent pleuvait » (E3), mais l’organisation ou le mode d’administration du traitement : « C'est là où on a découvert que des fois, la subvention du Département, c'est 80 % du budget annuel.

On avait participé à mettre sous perfusion un certain nombre d'associations, un peu

Le problème du « mode de traitement » de la politique culturelle du Département est associé soit à la métaphore « agricole » soit à la métaphore « alimentaire ».

« Le but c'était d'arrêter d'être un arrosage, d'être un guichet de subventions, donc il fallait réformer pour donner du sens du fait de ne pas plus être un guichet » (E1) « Parce que ça mettait fin aux anciens dispositifs et donc au saupoudrage des coûts

pour les « copains » (E3)

« En tous cas on avait beaucoup d'aide qui permettaient un saupoudrage d'associations. On versait même 50 euros par ci par là, sur de petits dispositifs... On

arrosait toujours les mêmes. » (E2)

Dans les deux cas de figure, l’accent est mis sur un traitement non ajusté, identique pour tous, mais insuffisant ou peu ambitieux, qui permet de « vivoter » mais pas d’avoir un réel impact sur la place de la culture au sein du Département des Yvelines. Cette situation est vécue comme une irresponsabilisation du Département, comme une gestion administrative de la culture, non remise en question pendant des années.

« Ce sont des zones encore non investies et non accessibles. Donc je me suis dit qu'il fallait peut-être inventer un truc qui allait marcher. C'est le côté laboratoire, on va

défricher des terrains vierges, qui me plaisait. » (E1)

« Je travaille beaucoup avec les équipes pour défricher, accompagner les compétences. » (E1)

« Il y a tout un travail de défrichage et ça permet plein d'innovations, d'expérimentations pour essayer de faire bouger un modèle. » (E3)

La métaphore agricole est particulièrement intéressante dans le cadre la « culture ». La culture ici est vue dans sa vocation « civilisatrice » ou « humaniste » dans l’opposition de la « culture » versus la « nature », (au sens de la distinction évoquée par les anthropologues) ou l’« ignorance ». En plus de cette idée de la culture, ce qui est marquant dans la métaphore agricole c’est aussi le besoin d’efforts, de volonté de dompter la nature. Si on parle du changement étudié, nous pouvons induire qu’en appliquant cette métaphore, l’équipe du PDC se sent investie d’une mission, est consciente qu’il s’agit d’un changement radical d’une situation rigidifiée au cours des années et devenue « la nature », que l’opposition sera aussi « naturelle » comme cette « nature qui ne se laisse pas dompter facilement ». Cette métaphore implique aussi le sentiment de l’équipe du PDC non seulement d’une utilité de la réforme mais aussi de sa radicalité : « … parce qu'on a amorcé une rupture et qu'il a fallu que les gens se

remettent debout et repartent. » (E2).

Celle-ci est vécue par le PDC comme un défi ou une opportunité d’innover, d’être le pionnier, d’être « un laboratoire » d’inventions sociales. Toujours dans l’esprit de la métaphore agricole ce qui compte ce n’est pas le résultat final qui ne peut qu’être

ressenti à long terme dans le fait de donner la vie, d’impulser une philosophie qui petit à petit trouve un ancrage.

« Je trouve que progressivement on voit que ça germe. On est vraiment au niveau

de la petite graine qu'on a planté, ça commence à sortir de terre, c'est encore très timide. » (E2)

« Il y avait déjà un germe, ce qui a engendré un certain nombre d'outils qu'on a mis en place par la suite puisqu'on a mis en place des appels à projets. » (E3) Cette petite graine, elle est encore fragile, vulnérable après la tempête. Elle a encore besoin d’être protégée et nourrie.

« Là on avait briefé nos élus en leur disant "attention à ce qui s'amorce, il va falloir être solide parce que la vague, la lame de fond qui va arriver va faire un petit peu

mal". » (E2)

« Effectivement, là on a eu une ruée. On s'est fait assassinés. » (E2)

La tempête a été ressentie de manière très violente par l’équipe du PDC. D’autant plus qu’elle n’a pas eu « un abri politique ». L’opposition au changement semble être vécue comme étant une force incontrôlable par l’équipe du PDC. La violence émotionnelle de la mise en place du changement avec un soutien managérial et politique modéré a probablement en partie soudé l’équipe du PDC, mais aussi lui a probablement procuré un sentiment d’isolement, d’incompréhension et laisse émerger un discours presque guerrier du changement. Des métaphores de soft power et de bataille sont aussi mobilisées.

« D'où le concept de soft power, c'est exactement ça, quand tu déclares la guerre à quelqu'un tu prends un char, tu tues tout le monde sans le voir, par contre tu

déclares la guerre de manière plus insidieuse, tu travailles sur gagner des compétitions, etc, mais on te voit ... » (E1)

«… J’ai commencé à travailler à un schéma culture dans lequel il y avait déjà plus ou moins les grands piliers pour combattre le système actuel » (E3)

« Ça permet aussi d'éliminer ceux qui n'ont pas envie de bouger » (E3)

Ici l’on constate l’opposition entre « nous » et « eux », entre les « bons, les compétents, les dynamiques, ou bien ceux qui veulent changer » et les « mauvais, les incompétents, les traditionnels, ou bien ceux qui ne veulent pas changer ». Si celle-ci est naturelle dans le cadre de changements culturels radicaux, il s’agit de l’une des premières difficultés à gérer. Comment dépasser la stéréotypisation des « eux », comment comprendre les différents cas de « eux », comment prendre en compte leurs contraintes s’il ne s’agit tout simplement que des gens incompétents et rigides ayant prêté l’allégeance à des structures hiérarchiques et professionnelles

anciennes ? Dans une telle opposition il est difficile de parler une langue commune, de créer une vision commune. Ces dernières impliquent l’échange et l’écoute des deux, voire d’une multitude de côtés. Or, si de nombreuses occasions d’échange ont eu lieu, il est difficile d’affirmer qu’une réelle écoute entre les élus, le management, les acteurs locaux, les acteurs nationaux et le PDC ait existé.

Il n’est évidemment pas question de considérer les métaphores dans leur premier sens. Le propre de métaphore est le « transfert » de sens d’un domaine à un autre. Elles permettent « la construction » d’un « concentré » de sens concernant des phénomènes complexes et dynamiques. Ainsi, de point de vu d’une analyse culturelle l’étude des métaphores mobilisées par les acteurs permet d’induire leur vision, leurs valeurs, leurs motivations, ainsi que d’identifier les processus culturels à l’œuvre.

2.2. Les dimensions culturelles de la conduite du changement et du changement