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La transduction simondonienne est efficiente lorsque les relations débordent du cadre initial, lorsqu’elles le traversent, pour exciter une autre puissance, grâce aux potentiels du préindividuel. La transduction fait vibrer les relations ensemble de manière éphémère, le

21 Voir http://samauinger.de/timeline/resonance/. Chris Salter discute longuement des méthodes de prises de son par Auinger et son collectif O+A dans son livre récent, Alien Agency. (2015, p. 70-71)

temps d’une fréquence, turbulence, amplitude par effleurement. Car la transduction activée « consiste à suivre l’être dans sa genèse, à accomplir la genèse de la pensée en même temps que s’accomplit la genèse de l’objet ». (Simondon, 2005a, p. 34) Dans la thèse, l’ontogenèse est la démarche artistique qui s’accomplit, la pensée en lien avec la pratique, la relation multiple avec les genèses de technologies et de résidus. Leurs différences se conjuguent ensemble.

Le MFA des nanosciences et sa manière de visualiser les échantillons ont transduit en moi le désir de travailler différemment avec les matérialités, qui demeurent une source de fascination perpétuelle. C’est le MFA qui m’a amenée à travailler avec le stylet combiné à la tablette graphique, pour générer la composition électromagnétique de l’image vidéo en direct, pour la performance audiovisuelle. Il s’agit d’une manière de faire réticuler la force vibratile des matérialités, incluant celles déchues. Les risques de la performance et de l’installation électronique, la mise en péril de mes habitudes, tout cela est une cocréation avec les matérialités délaissées.

Au Chapitre 2, la situation de haute médiatisation des problèmes d’ordre environnemental diffusés par les médias de masse a été abordée. L’approche de la création avec les arts médiatiques favorise une nouvelle puissance ontogénétique, qui émerge entre technologies et résidus. Dans la démarche d’Ælab, la transduction se déploie par l’action énergétique, l’énergie du stylet, un transducteur électromagnétique. Ce qui passe entre les parties rejoint l’immanence concomitante de l’être, la « plus-qu’unité ». Muriel Combes précise son apport :

[…] l’être est d’emblée et constitutivement puissance de mutation. […] parce que l’être contient du potentiel, parce que tout ce qui est existe avec une réserve de devenir […] En ce sens, l’être est comme en excès sur lui-même. […] L’être préindividuel se trouve dès lors présenté comme un système qui, ni stable ni instable, requiert pour être pensé le recours à la notion de métastabilité. (Combes, 1999, p. 10-11)

La plus-qu’unité dont parle Combes est précisément ce qui vient d’ailleurs et se propage ailleurs, dans les effets de la réticulation des individuations momentanées. Celles qui recèlent, grâce à la métastabilité, des potentiels qui participeront aux nouvelles tensions émergentes, les nouveaux devenirs. Mais son emploi du mot « système » ici est confondant, car ce qui est

attendu d'un système est souvent une finalité soumise aux boucles de rétroaction et de régulation de la première cybernétique. Massumi apporte des précisions sur l’approche de Simondon. Elle est différente, car elle se constitue comme un système ouvert, et non pas un système fermé sur lui-même. « The process is not susceptible to any stable formalization because it is continually giving rise to new operational solidarities that did not exist before, and therefore exceed all prior formalization. » (Massumi, 2009, p. 43) Le processus d’individuation n’est pas l’équilibre ou la stabilité. Le processus est métastable, constamment en train de générer de nouvelles relations imprévisibles, car elles se produisent dans un milieu sous tension. Cette approche est différente de la première cybernétique, période pendant laquelle Simondon rédigeait ses premiers écrits sur l’information et la communication.

Dans la problématique de la thèse, les matières résiduelles ont été une unité, un individué, un stabilisé. Si le mot unité est employé, ce n’est pas une référence à une pureté qui rejette la différence. Il y a eu agencement donnant une prise de forme incidemment stable qui ne s’étend plus de la même façon, ni à la même vitesse. Lorsque fragmentés, défaits, les résidus peuvent s’ouvrir à de nouvelles mutations, et ce, même à l’étape qui est considérée comme l’élimination « ultime » du lieu d’enfouissement. Le surplein, le point le plus haut de l’arête, l’ubiquité de la consommation/production capitaliste effrénée, et le bas fond, le creux de l’amoncèlement indifférencié du lieu d’enfouissement technique de déchets – ces disparations excitent un potentiel préindividuel.

Explicitons ce qui fait du surplein des déchets un excès de potentialité. Les déchets sont potentialisés par la nouvelle relation ; autrement dit, les déchets eux-mêmes ne sont pas préindividuels – ce qui est préindividuel est la disparation relationnelle dans laquelle ils entrent. C'est dans leur rapport à la démarche artistique technologique que les déchets accèdent au préindividuel, l'individuation que l'art produit avec eux. Le préindividuel est un « futur antérieur », car le potentiel vient du futur et s’actualise ou s’accomplit dans une situation particulière.

Les procédés des résidus sont ainsi engagés dans de nouveaux sprires, en relation avec de nouveaux processus venant des nouvelles technologies, et celles de la création artistique. Le stylet, la vidéo, les membranes, le son et les matières résiduelles s’agencent ensemble, dans leurs différences. Lorsque les résidus rencontrent la production artistique technologique, les arts médiatiques le soulignent, tout comme le trait souligné du perse _ _ plan, un processus s’active entre eux. Ce qui est rejeté entre dans une relation amplifiée et amplifiante, paradoxale avec les technologies. Les énergies des technologies participent de cette mutation, une communication entre disparations.

Le perse _ _ plan continue alors à s’ouvrir avec la transduction des espaces et moments entre agencements. Après le passage de la « fente » à « l’intervalle », l’intervalle maintenant se dédouble. Massumi éclaire les prises de formes et les « entre-espaces » qui se créent simultanément :

It is only because relation is virtual that there is any freedom or creativity in the world. If formations were in actual causal connection, how they effectively connect would be completely determined. They might interact, but they would not creatively relate. There would be no gap in the chain of connection for anything new to emerge from and pass contagiously across. There’d be no margin of creative indeterminacy. No wriggle room. (Massumi, 2011, p. 64)

Ces micro mouvements changent un espace et génèrent une nouvelle circulation, une nouvelle créativité permettant au potentiel de s’actualiser.

Les disparations et transductions particulières de FM, troisième œuvre de la pentalogie, seront discutées un peu plus loin, en lien avec les opérations du lieu d’enfouissement technique de déchets (LET) de Lachenaie. Ayant souligné les spécificités de la transduction simondonienne, je poursuis maintenant avec les particularités du concept de la traduction.