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Lors des visites au LET par Ælab, les opérations sont documentées par un déplacement à pied et deviennent de nouvelles expériences de proximité et de traversée des lieux, reprises par la suite en installation performative, par une exploration des emplacements des écrans de projection, des haut-parleurs, des matérialités. Les strates et procédés du LET se répercutent dans la création de l’œuvre. Des expériences étranges et improbables activent une autre résonance, entre attrait et dégoût, qui déborde de la situation initiale qui en resterait dans une catégorisation prédéterminée. La force de catalyse de la transduction devient efficiente lorsqu’elle est amenée dans la sensation.

Figure 25. Schéma de Forces et milieux.

De gauche à droite : en jaune, la « chambre noire » avec plateforme et transducteurs, entourée de couvertures noires et épaisses en fibre de coton. Les lignes blanches verticales sont

l’emplacement des tulles ; la ligne rose verticale donne la position des deux écrans de rétroprojection. Les autres éléments : projecteurs vidéo (carrés rose et vert pale), lumières

DEL (carré rouge) et varilite (carré vert), haut-parleurs (rectangles et lignes horizontales bleus). Schéma : Nancy Bussières et Gisèle Trudel, octobre 2011.

Dans FM, l’étagement du LET bascule sur le côté, les strates s’ouvrent en intervalles, tout comme l’expérimentation des strates de l’atmosphère dans EM. Les tulles des deux œuvres génèrent des interférences entre lumières, mouvements de l’air et projections. FM poursuit plus spécifiquement l’expérimentation de la fente du perScapere.

Il y a quatre projections. Deux à chaque extrémité pointaient vers le « centre », deux séquences d’images en noir et blanc rappelant le « premier » Lachenaie, celui de 1968. Cette partie de LET est bucolique. Son « passé », pour ainsi dire, renvoie au présent. Ensuite, il y a deux écrans de rétroprojection placés à la verticale au centre de l’installation, avec un espace entre eux, sur lesquels un seul flux vidéo est présenté. Mais ce flux est troué par l’intervalle physique entre les deux écrans. Par cette trouée, le flux vidéo peut atteindre les tulles. Toutes les séquences vidéo proviennent de l’ensemble des activités du LET, elles sont fragmentées et recomposées par les tulles, les intervalles et les fentes. Les strates fermées du LET deviennent des intervalles. Dans la noirceur et les projections fragmentées, pulsées, les visiteurs circulent, avec l’air, la lumière et le son.

Figure 26. FM. Les écrans verticaux de projection.

À gauche : Mise en espace des deux écrans de projection. Photo : Gisèle Trudel. À droite, avec la projection vidéo passe au travers de la fente. Le perScapere se rythme aux

centres. Photo : Catherine Béliveau.

Au « centre », entre les deux écrans à la verticale et aussi entre les tulles, les projections s’accumulent. Les tulles créent des interférences moirées. La fragmentation des flux vidéo au travers des tulles engendre des pulsations sur toutes les surfaces combinées. EM explore

l’éclatement du nuancier de couleurs venant des strates de l’atmosphère. Les strates horizontales du lieu d’enfouissement basculent sur le côté, pour les ouvrir à la circulation. Comme EM, FM est un espace multiple, mouvementé, fragmenté, mystérieux.

Figure 27. FM. Vues de la mise en espace. Photos : Gisèle Trudel.

Dans EM, les systèmes sonores se succédaient dans l’espace physique de la Fonderie, mais à l’Agora du Cœur des sciences de l’UQAM, les équipements ont été placés les uns dans les autres, comme des poupées russes. Les sons se contaminaient de façon inattendue dans EM, mais dans FM, les systèmes audio donnaient une nouvelle expérience par leur imbrication. La « chambre noire » de EM avec la plateforme et les transducteurs est très appréciée des visiteurs. Cette chambre est plus calme et cernée, rehaussée par les forces telluriques du programme sonore dans le corps. Elle offre un contrepoint à l’autre partie de l’installation composée d’une multitude de fragments en mouvement, un visuel presque excessif.

Avec FM, c’est la première fois que Ælab performe dans une installation, ce qui signale aussi plusieurs changements au cheminement artistique dans la pentalogie. C’est une manière de composer de nouveau avec les performances de LSCDC échelonnées sur huit ans et

période extrêmement courte. Stéphane Claude et moi étions présents sur place pendant les deux jours. En mode installation, nous parlions avec les gens, on circulait dans l’Agora. En mode performance, on se déplaçait derrière les ordinateurs. Les visiteurs pouvaient bouger, s’approcher de nous. On était sur le côté, et non pas à l’arrière, comme dans LSCDC. Dans FM, on a élaboré un autre type de proximité avec les visiteurs, en refusant la frontalité des performances musicales. L’installation roulait et ensuite, en performance, elle roulait différemment, en recomposition avec le stylet, les lumières varilite, les citations de Simondon et les musiques, chaque fois pendant une vingtaine de minutes. L’on reprenait les performances de quatre à cinq fois pendant les heures d’ouverture au public. L’installation et les performances se nourrissaient.

Avec le programmeur informaticien Jim Bell, les lumières rotatives ont été jumelées à l’action du stylet pour la première fois, grâce à la création de nouveaux modules entre divers logiciels. Dans FM, la ligne dessinée se multiplie en trois et devient plus frétillante. Les trois lignes se désaxent l’une par rapport à l’autre, elles sont l’entrelacement énergique, transductif des « trois écologies » de Guattari, soit les subjectivations, les collectivités et les environnements, qui seront discutés au Chapitre 4. Cette ligne triple sera aussi au cœur des performances de l’installation performative Milieux associés (2014) analysée dans le prochain chapitre. Cette installation performative sera réalisée trois années plus tard et poursuivra à nouveau l’enquête artistique sur les opérations du lieu d’enfouissement technique de déchets à Lachenaie.

De détours et de disparations

La transduction et la traduction sont concernées par ce qui est « performé », la disparation ou le détour change le cours de l’action. L’installation performative FM a transduit des parties venant de l’installation EM et de LSCDC. FM a étendu les expérimentations avec les eaux usées, et la pollution atmosphérique, et même une connectivité avec le projet antérieur, DATA (2003-2008), sur les puissances de l’image micro et nano, par l’action du stylet et de sa pointe. Le LET tient compte lui aussi du traitement des eaux usées (explorée dans LSCDC) et des gaz à effet de serre (explorée dans EM), ainsi que de la production d’électricité et maintenant de biométhane. FM recoupe et regroupe les préoccupations des œuvres antérieures de la

pentalogie. Les tulles, la fragmentation, les intervalles, la chambre « noire » et le perScapere se répondent dans EM et FM, ces actants entrent en relation avec les disparations du LET.

Sous l’avènement d’une singularité/actant/disparation, les agencements se produisent aux seuils des situations qui s’associent pour générer une nouvelle structuration sans structure au préalable (Simondon), et un nouveau but se découvre (Latour). Mais ici, la matière résiduelle n’est pas en attente du dessein (disegno du 1er ordre), la matière est l’échange énergétique où la figure et le fond se fondent dans une vibration émergente incessante, le disegno du 3e ordre, le dessin actualisant le fragment. La pointe du stylet produit une énergie en résonance avec les résidus et les propulse dans la sensation. La séparation entre nature et culture héritée de la première modernité est dépassée par le disegno du 3e ordre, un « détour », une coconstruction les mobilise. L’installation performative d’Ælab produit un aplanissement vibratile. Le perse _ _ plan participe d’une diagrammatique spéculative qui continue à s’individuer, car « [i]l ne s’agit pas d’expliquer l’individu à partir de son milieu associé, mais d’expliquer les deux à partir d’une réalité préindividuelle ». (Barthélémy, 2016) Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de façon universelle pour que la structuration se produise, il n’y a que la virtualité du préindividuel qui se trouve actualisée, amplifiée, dans cette situation-là ou celle-ci, en train de s’accroître, pour jouer sur un écart lui-même flexible et mobile, pouvant rétrécir, s’agrandir, s’étendre au delà de lui-même. Le perse _ _ plan est traversé de disparations, provoqué par les actants.

En conclusion

Au lieu d’enfouissement technique de déchets (LET), les résidus sont supposément au stade ultime de leur élimination. Ils engendrent une nouvelle relation avec les technologies médiatiques. Les choses délaissées et les technologies se touchent dans une expérience, au centre du perse _ _ plan. L’action des actants et des disparations se rencontrent : tulles, espaces entre, lumières rotatives, haut-parleurs, musiques, le passé, le futur, au milieu de la fente et des intervalles de l’installation performative.

De la rencontre analogique entre transduction et traduction, une pensée et une action se coconstruisent, nature et culture (se) travaillent ensemble. La traduction actualise des possibles, car certains buts sont nommés avant le déplacement, et la transduction actualise des potentialités, inconnues d’avance : la traduction entre disciplines conduit à un nouveau but partagé, la transduction permet aux disparitions de rentrer en communication. Latour dénonce le compromis moderniste et Simondon, l’hylémorphisme fatigué.

Dans la fente centrale du milieu (associé), quelque chose se coconstruit, de façon paradoxale, tout comme le perse _ _ plan est un plan, toutefois ni fixe, ni plat, ni décidé d’avance. Car il n’y a rien à atteindre, seulement un plan qui s’ouvre par et sur l’expérience de différences. Le perse _ _ plan se construit à la fois d’écarts, de trouées et de prises de forme ponctuelles avec les résidus qui continuent à le composer, à le transformer.