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Cette partie du Chapitre 4 combine les moments-charnières de transductions, les agencements de matérialités, les amplifications de la pratique artistique. Ce sont les changements et modifications qui se sont manifestés au cours du processus de conceptualisation et de réalisation de l’œuvre MA. Le comment des diverses composantes qui créent l’œuvre – comment les composantes des œuvres antérieures s’y retrouvent étendues ou détournées – tout en accordant une attention particulière aux changements ayant produit une transduction au sein et à l’extérieur de la démarche générale avec les matières résiduelles. Cette œuvre se concentre à nouveau sur les opérations du lieu d’enfouissement technique de déchets (LET) à Lachenaie, situé à 45 km au nord-est de Montréal.

Le dédoublement des explorations des œuvres antérieures se poursuit. Les interférences venant des tulles noirs, ainsi que les fragmentations et fentes entre écrans et surfaces réfléchissantes s’intensifient avec les mouvements d’ondulation, de diffraction, de découpe et de fente opérés par la membrane virevoltante (la space blanket), la vidéo, les citations de Simondon. Les zones physiques de l’installation voient une reprise de l’agencement des systèmes sonores qui se complètent dans l’expérience physique des visiteurs qui se déplacent dans et avec l’œuvre. Le potentiel du préindividuel s’étale à nouveau au travers de l’action des résidus sur la pratique artistique, et ensuite dans la sensation, au travers de l’œuvre et de sa rencontre avec les publics. Le dessin en est une dimension éthico-esthétique (Guattari).

Un présumé hiatus31

Après FM (2011), trois années se sont écoulées avant la production de MA. La nouvelle œuvre

31 Une absence de trois ans s’explique par les postes et mandats administratifs qui m’ont été confiés, qui se sont

superposés et succédés pendant ces années : adjointe à la direction de l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM (2010-2012), directrice d’Hexagram-UQAM (2011-2013) et codirectrice d’Hexagram-Réseau (2012- 2015). Ces responsabilités ont été l’occasion de prises de forme particulières pour la recherche-création ancrées dans le partage, la collaboration entre collègues et étudiants réunis dans un regroupement interdisciplinaire et interuniversitaire, montréalais et international. Durant cette même période, un segment de EM et de FM s’est détaché. La plateforme avec les transducteurs audio, ceinturée par une enveloppe dense de couvertures noires, est devenue l’installation audio tactile Dark Room (2012). Elle a circulé dans des expositions collectives de la commissaire Nina Czegledy à Toronto (2012) et à New York (2013).

comprend une installation, des performances ponctuelles, une projection nocturne visible de l’extérieur et un après-midi de visionnement de films présenté par le commissaire allemand Florian Wüst.

Un actant de l’espace intersidéral

L’étude des opérations des résidus avec la pratique artistique a continué de s’accroître, quoique plus lentement. Et… il y a eu, par hasard, l’arrivée d’un actant inédit, trouvé lors d’une escale à l’aéroport de Houston au Texas en septembre 2012.

Figure 41. La boîte de la space blanket.

Source : http://thespacecollective.com/products/space-memorabilia/nasa-space-survival-blanket Le site Web de la NASA confirme que la space blanket est dérivée des techniques de protection solaire des astronautes et des équipements utilisées sur toutes les missions spatiales. Elle est entrée dans la vie quotidienne32. La membrane de mylar aux couleurs or et argent est arrivée pliée dans une boîte de carton avec l’image d’un astronaute33. Le matériau est composé d’un dépôt d'aluminium vaporisé sur un plastique souple appelé xylène. Mince, flexible, résilient, il se caractérise par des propriétés thermiques réfléchissantes.

La membrane de mylar a relancé le perse _ _ plan et a transporté la pratique d’Ælab au milieu d’une toute nouvelle exploration du lieu d’enfouissement technique de déchets, ce qui bouge au milieu entre Terre et Ciel, dans son « airspace », un terme logistique se rapportant à la

capacité maximale d’enfouissement dans un lieu d’enfouissement technique de déchets. (Bélanger, 2006, p. 133) Le perse _ _ plan change en perse _ / plan. A présent, l’accumulation quotidienne de déchets est mesurée par GPS. La space blanket, sa singularité, son in-formation, engendre une discussion sur l’installation performative. Une technicité supplémentaire s’opère dans la pratique artistique technologique. La space blanket dédouble les tulles et les miroirs des œuvres précédentes. La projection des matérialités se transforme par son action multiple.

Le stylet dessine une ligne vibratile sans dessein, (le disegno du 3e ordre, la diagrammatique) ; à partir d’un milieu, rayonne ailleurs la portée de l’art technologique et des résidus ; l’apport transversal de la tra-trans-duction, c’est-à-dire des actants et individus techniques qui œuvrent au travers la pratique artistique. La pratique se singularise et se multiplie par les forces combinées pour circuler par la sensation. La diagrammatique pointe ainsi un agir sans le déterminer, un agir embryonnaire, ouvert aux changements qui le transformeront.

Des flux en hauteur, la traversée, le débordement : les premiers schémas à penser

Une série de schémas a été produite pour donner un aperçu du projet, de l’activation du concept avec le lieu d’exposition. Il s’agit ici d’un rapprochement entre deux disegnos : le 1er ordre, parce que le plan des architectes donnent des indications claires sur ce qui est construit, et le 3e ordre, qui projette l’œuvre dans l’avenir, en lien avec l’architecture existante, sans nécessairement savoir comment l’œuvre se déroulera de manière concrète. La visualisation du plan architectural avec ses plages de couleur est un processus de travail, une façon pragmatique et spéculative de dialoguer avec le lieu et ses caractéristiques.

Août 2012

Cheryl Sim, dans son rôle de commissaire du Centre Phi à cette époque, invite Ælab à penser à un projet pour le tout nouvel édifice rénové et dédié aux arts. Acquisition immobilière par la mécène montréalaise Phoebe Greenberg, l’édifice abrite depuis 2012 un centre culturel accueillant conférences, concerts, projections de films et expositions. Les architectes d’Atelier

in situ, également responsables de la rénovation de la Fonderie Darling, sont les maitres d’œuvre du Centre Phi. L’édifice obtient la certification LEED OR. Grâce à son toit blanc et vert, ses infrastructures en réduction d’eau, l’isolation haute performance et la redirection énergétique (chaleur, climatisation et ventilation) au travers des espaces, de même que le fait d’avoir gardé un pourcentage élevé de murs, plafonds, briques et poutres, le bâtiment de 1871 s’actualise dans le respect des préoccupations environnementales contemporaines34.

Août 2012

Nous sommes enchantés de pouvoir proposer un nouveau projet sitôt après Forces et milieux (octobre 2011). La première proposition se voulait un condensé fort entre le bâti et les nouveaux espaces, nous permettant de continuer à réfléchir à ce qui se produit entre technologies médiatiques et matières résiduelles. Similaire à notre expérience de longue durée à la Fonderie Darling pour le projet EM (printemps 2011), nous souhaitions activer divers endroits du Centre Phi en résidence et en mode d’exposition, par une attention à ce qui « reste », et qui est à nouveau transformé. Résidus devenus lumières, ombres, sonorités et mouvements. La première proposition inclut l’édifice centennaire, non pas en tant que sujet historique comme tel, mais plutôt comme actant au déploiement conjoint de la proposition. Continuer à actualiser le patrimoine architectural du bâtiment et son orientation écoénergétique, en le recombinant avec les matérialités déchues. Un défi.

Août 2012

La première proposition inclut un schéma avec les zones à activer, à l’intérieur et à l’extérieur de l’édifice. Il est pertinent de voir comment le lieu confère ses forces au déploiement de l’expérience artistique : verticalité, lumière et connectivité entre les espaces par la fenestration, agencement de milieux qui s’étendent, diagonales et visibilité de loin, de la rue.