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nord-sud ?

Carte 10- Localisation des projets touristiques hors hôtellerie à M’hamid Lghazlane

1.1. Trajectoire post et après installation

La fréquence du phénomène de la mobilité des personnes en provenance des grandes

métropoles européennes vers des campagnes ou des zones rurales où elles s’installent a poussé

de nombreux chercheurs, issus surtout du monde anglo-saxon, à s’intéresser à ces groupes de personnes « privilégiées ». Dans les arrière-pays marocains, le phénomène est encore plus

récent que dans d’autres régions (Espagne, France, Amérique du sud..). Comme précisé par les

deux sociologues qui ont élaboré le concept de « Lifestyle migration » (O’Reilly, Benson,

2009), il s’agit d’une forme de migration internationale qui est pratiquée principalement par des

personnes relativement aisées : « the belief that they can find a betterway of life elsewhere ». Cette Lifestyle migrationne peut être comprise qu’en examinant la vie des migrants avant la migration tout en tenant compte des particularités de leur vie après la migration. C’est dans cette logique que nous nous sommes intéressés aux trajectoires de vie de l’échantillon

interviewé pour relever différentes trajectoires parcourues, soit programmées de façon

préalable, soit dues au hasard, soit relevant des péripéties de l’aventure. A côté des personnes

arrivées suite à ces trajectoires sous-tendues par un imaginaire25 cherchant un voyage idyllique

et qui s'installent dans la région, existe une autre catégorie qui échappe à cette logique d’analyse et qui est composée des personnes qui s’installent dans les arrière-pays suite à un projet de vie comme le mariage mixte.

25« Les imaginaires et les rêves se retrouvent alors littéralement supplantés par la combinaison des motivations. » (A. Charbonnier, 2017)

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Trajectoire de vie d’un touriste

La crise économique, le retour à la nature, la recherche d’une meilleure qualité de vie entre autres sont autant d’éléments motivant le départ vers de nouvelles destinations à la recherche d’une nouvelle vie. Mais, la question du départ, de la mobilité d’un lieu habituel vers un nouvel

espace où on change le mode de vie qu’on a longtemps adopté semble apparaître beaucoup plus

complexe à analyser en nous limitant aux seules motivations individuelles. Le parcours de vie, les conditions du travail, la vie familiale et les incidents qui se greffent autour peuvent être des

catalyseurs du départ et c’est dans cette optique que nous avons essayé d’avoir une sorte de récit de vie en posant des questions autour de l’avant installation. La première question se rapporte à la trajectoire de vie. Pour ce faire nous puisons dans le passé des porteurs de projets

étrangers afin d’en tirer le lien établi avec le territoire en nous basant sur les premières visites

du Maroc et de la région dans un premier temps et l’identification d’autres lieux de passage en dehors du pays d’accueil.

- Une installation qui rappelle les voyages en famille ou entre amis

La majorité des répondants affirme que leurs premières visites au Maroc remontent à l’âge de l’enfance ou à leur jeune âge lorsqu’ils sont venus la première fois accompagnés, soit de leurs

parents, soit de leurs amis. La nouvelle installation peut renvoyer à des souvenirs du passé qui

rappellent à ces nouveaux installés la fascination qu’ils avaient pour ce pays et qui se traduisait

par le rêve d’y passer le plus de temps. En effet, il s’agit encore de revenir sur la question de l’imaginaire touristique26 mais en se focalisant sur une tranche d’âge (enfance, adolescence)

que nous pensons être plus créative et imaginaire que celle d’après. L’âge que ces nouveaux

installés avaient lors de leurs premières visites influent forcément sur la perception du pays et

de sa culture. Le lien au territoire est plus lié aux sentiments de joie et d’amusement que

véhiculent les souvenirs et échappe à toute influence d’une attractivité apparue à l’âge adulte. Nous lions l’âge de la première visite au choix d’installation en nous basant sur la notion de l’imaginaire qui« désigne tout ce qui dans une conscience ne relève ni de la perception réaliste de ce qui est, ni de la conception intellectuelle opérant sous le contrôle du jugement et du raisonnement » (Wunenburger, 2003). Il occupe « la partie de la traduction non reproductrice, non simplement transposée en image de l'esprit, mais créatrice, poétique au sens étymologique » (Le Goff, 1999). A ce sujet, nous évoquons le cas d’une jeune française qui a décidé de se marier et de s’installer dans la région d’Agdez qu’elle a déjà visité durant son

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enfance et son jeune âge. Ses visites répétées avec les parents lui ont permis de développer un

certain imaginaire lié à l’Afrique tout en bâtissant un fort lien entre la région et la culture

africaine.

« … à Tamenougalte, moi je suis venue déjà quand j’étais petite avec mes parents,

beaucoup à Marrakech après on était venu jusqu’à Ouarzazate, je pouvais avoir 10 ou 12 ans. On a fait les studios, visité Ouarzazate mais il y’avait pas grand-chose à l’époque il y’avait les clubs Med et il y’avait Dimitri.Sinon la route du Tichka n’était encore pas faite. Après, Agadir, tout ça aussi, j’ai fait avec mes parents quand j’étais plus jeune et puis voilà. Après, c’est l’opportunité qui est découverte dans ces régions là en fait c’est

plus africain, je trouve la région du Maroc, elle est plus nature, on se rapproche du

Sahara et les dernières Oasis, c’est la vie, c’est les derniers endroits où il y’a de l’eau, il y’a quelque chose en plus. Moi j’aime beaucoup, j’ai toujours été attirée par l’Afrique donc en plus ici c’est un bon compromis comme quoi pas trop loin de la civilisation à Ouarzazate, et en même temps pas trop loin du désert et voilà mon amour de la nature, donc on a besoin de la nature.»27

Pour la majorité des entretiens, la notion de l’imaginaire n’a pas été directement avancée par

les interviewés. C’est une notion sous-jacente dans le discours de ces derniers et qui est soit

révélée par l’expression des sentiments construits durant les premières visites du pays et de la région où on décide de s’installer, soit aux souvenirs et l’attente que provoque ce pendule entre

le pays d’origine et le pays de destination. Aurore Bonniot (2016) cite dans sa thèse sur

« Imaginaire des lieux et attractivité des territoires » et en se référant à plusieurs auteurs que : « L’imaginaire est immatériel, intangible, c’est un principe (Bachelard, 1943). Cornélius Castoriadis voit dans l’imaginaire une « création incessante et essentiellement indéterminée », dont la réalité et la rationalité sont des œuvres (Castoriadis, 1975 : 7-8). De par sa nature intangible, et parce que c’est une création en perpétuelle recomposition

(Le Goff, 1991 ; Wunenburger, 2003 ; Augustin et al., 2011), l’imaginaire est

difficilement assimilable à une ressource, qui plus est territoriale. » (Aurore Bonniot, 2016)

Si l’imaginaire est difficilement assimilable à une ressource, la recomposition de l’imaginaire

peut être due à la question de la maturité et aux différentes nouvelles circonstances qui font évoluer cet imaginaire. Le choix de ceux qui, pour la première fois, ont visité le Maroc à leur

27 Couple mixte dont l’épouse est une française de 36 ans, propriétaire d’un écolodge à Tamenougalte- Agdez

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jeune âge semble être plus pragmatique. On tombe amoureux du pays mais le choix s’oriente

vers des régions plus prometteuses, où il peut y avoir des touristes.

« On a voyagé avec mon ami, il y’a quatre ans pendant quatre mois au Maroc. Au nord,

on a fait 6000 kms, donc on s’est bien promené, le nord du Maroc est très beau aussi, mais là, le temps est quand même un peu clément et il y’a plus de touristes».28

Ceci n’enlève en rien le sentiment d’amour qui lie ces personnes aux territoires perçus

actuellement comme de nouveaux territoires de vie, mais renvoie à l’idée que l’imaginaire développé durant un certain âge cache cette envie d’installation. Dans un sens cet imaginaire

représente en lui-même une motivation principale de l’installation, en marge des motivations

citées clairement par ces personnes. L’imaginaire est lié d’abord au tourisme «l’imaginaire

touristique dont la spécificité réside dans son élaboration au sein de la sphère touristique » (Gravari-Barbas et Graburn, 2016 ; Nédélec, 2016). Il est lié également au spatial et au social à

travers l’imaginaire géographique qui constitue « un moyen d’interroger le réel en le confrontant à d’autres possibles, en proposant des modèles de son fonctionnement et de sa

signification et, quand il est mis au service de l’action, un moyen d’agir sur le réel pour le faire

ressembler à la fiction » (Debarbieux, 1995).

Nous ferons, par la suite, appel à ces deux notions des imaginaires touristiques et géographiques

qui relèvent de la géographie sociale afin d’expliquer comment ces imaginaires qui sont des

facteurs intangibles participent au processus de l’arrivée et de l’installation des porteurs de

projets étrangers. Finalement, ces imaginaires ne représentent pas directement une finalité mais

c’est ce qui participe à la stimulation du départ et de l’installation dans un nouvel espace qu’on

croit connaitre très bien à partir des représentations enracinées dans la mémoire.

- Les habitués du Maroc

La deuxième catégorie que nous avons rencontrée dans notre terrain de recherche est beaucoup

plus attachée au Maroc comme destination éphémère, il s’agit des habitués du Maroc. Nous utilisons l’expression « habitué du Maroc » pour des touristes qui restent fidèles à cette

destination pendant des années. C’est le cas de ces ex-touristes qui avaient pris l’habitude de passer leurs vacances au Maroc avant de décider de s’installer dans la région d’Ouarzazate pour

y gérer des structures d’hébergement.

28Française de 29 ans, gère une maison d’hôtes 2ème catégorie à Skoura suite à la mort de son père qui a débuté

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Nous retenons pour exemple ces trois cas qui ont visité le Maroc régulièrement selon des durées allant de 3 à 30 ans :

« Nos lieux de passage au Maroc : Marrakech, Ouarzazate, Essaouira mais en vacances.

On est venus 15 jours avec les enfants 3 fois de suite, 3 ans on venait, on n’a pas de

racines ici mais on a eu le coup de foudre pour le Maroc »29

« On vient régulièrement, on peut dire encore mieux maintenant, oui ! On connaissait le

Maroc, on l’a fait déjà plusieurs fois, plusieurs endroits différents, on vient depuis 25

ans »30

« … A peu près tout le Maroc, sauf la partie Sahara là à Dakhla et tout ça je ne connais pas. Sinon à peu près tout le Maroc, plus particulièrement ici, la région ça fait 30 ans que je viens ; on a fait un petit peu toutes les pistes, les villages… »31

L’attachement qui se construit au fil des années et l’habitude de voir et revoir le pays permettent non seulement la connaissance de l’autre et de sa culture, mais intègre aussi une banalité de

l’espace et de ses composantes. On assiste donc à un passage de l’exceptionnel au banal, mais

pas dans un sens péjoratif ; en effet c’est une banalité qui mène à l’habituel. Dans ce cas le tourisme comme activité n’est pas uniquement une forme de voyage mais aussi un mobilisateur d’un nouveau regard :

« Vidé de l'impératif du déplacement géographique, il [le tourisme] devient un seul (?) processus de reconfiguration des temps et des espaces de la quotidienneté réalisée à travers un exercice de transformation du regard. Il est, pour reprendre le terme de Michel Foucault, une sorte de "technique de soi" qui permet de se réapproprier le territoire et de l'habiter de façon positive. ». Ainsi le tourisme ne serait plus qu’un « exercice de l'enchantement » (Vergopoulos, 2013).

Ceci mène à une redéfinition des limites entre le voyage comme activité de loisir et de récréation, la vie quotidienne que mènent ces ex-touristes et l’environnement extérieur composé

de tous les éléments rencontrés durant ou en dehors du voyage. Ceci se manifeste à travers « L’imaginaire de coupure entre la bulle récréative et l’environnement extérieur » (Bourdeau, 2006).

29Français de 68 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Tamedakht-Ouarzazate depuis 2002.

30Couple français de plus de 60 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Ouarzazate depuis 2010.

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Trajectoire en tant que migrant international

A côté de cette première catégorie dont les membres ont transité par le statut de touriste au Maroc avant leur conversion en petits investisseurs dans le secteur du tourisme, il y a une autre qui regroupe deux sous-catégories : l’une venue au Maroc directement pour travailler dans le secteur du tourisme sans avoir à passer par le statut de touriste et l’autre ayant circulé dans différents pays avant de décider de s’installer au Maroc.

Pour la première sous-catégorie, on est en présence d’une continuité de l’activité initiale avec juste un changement du pays. C’est le cas d’un guide français qui a essayé de s’installer d’abord

en Algérie, mais vu les difficultés rencontrées sur place, a décidé de venir s’installer au Maroc pour la facilité du terrain, des modalités d’installation et même de l’investissement.

« On va dire oui, j’ai fait une étape en Algérie dans le désert de l’Algérie parce que j’étais intéressé par les déserts, mais c’était trop compliqué donc j’ai laissé tomber et j’ai préféré le Maroc, c’était justement plus facile comme terrain de travail. » 32

C’est également le cas de Juan, photographe espagnol qui, après être venu plusieurs fois pour

réaliser des reportages de photographie, a aussi choisi de s’installer dans la région d’Ouarzazate est de mettre en place trois maisons d’hôtes.

« … non, non, je venais comme photographe et j’organisais beaucoup les activités sportives au Maroc […] moi, j’ai fait les photos pour l’office du tourisme, dans les foires

internationales du tourisme pour « Ouarzazate film commission », tous les photos sont à

moi, donc je connais le Maroc par cœur, je prends la voiture, les cartes topographiques. Quand j’ai trouvé ce petit lieu ici, pour moi c’était pareil au paradis, c’est près de l’aéroport, Ouarzazate »33.

Ou encore, ce restaurateur français, qui après avoir quitté la France, décide de s’installer à

Marrakech puis à Ouarzazate.

« Moi ! Je viens de la France et je suis arrivé en 1995, j’ai ouvert un restaurant à

Marrakech en association et en 1999 pour des motifs, pas de mésentente mais de double

direction, j’ai décidé de quitter Marrakech et de venir à Ouarzazate »34.

32Français de 67 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Amezrou-Ouarzazate depuis 1994. (Date

d’installation 1979)

33 Couple mixte dont le mari est espagnol de 60 ans, propriétaire de deux maisons d’hôtes 2ème catégorie à Agdez et à Ktaoua- Zagora depuis 2008.

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Les trois cas de figure ne concernent que des personnes pour qui le Maroc est une destination

de travail avec moins d’attachement sentimental envers la destination. On est concrètement à la recherche d’un lieu permettant la continuité de l’activité professionnelle avec plus d’aisance.

La deuxième sous-catégorie rassemble un ensemble d’acteurs qui ont eu une expérience touristique multiple dans différents pays avant le choix de s’installer dans l’arrière-pays

d’Ouarzazate.

« J’ai beaucoup visité l’Europe, je suis allée en Amérique. En fait, je n’ai pas beaucoup

voyagé, à part l’Europe et bon j’ai jamais pensé à faire quelque chose dans ma vie ou quoi j’avais mes enfants voilà, j’avais jamais pensé que je ferai quelque chose après, c’est la vie qui a fait que bon je me retrouve ici. »35

« Oui, j’ai visité d’autres pays, j’ai visité les Etats Unis, l’Amérique du Sud, l’Afrique […] non mais ça m’intéresse pas ces pays, mais je ne voulais pas faire ça non plus, ce n’était pas un objectif »36

Tous les cas présentés, correspondent en fait à la définition retenue par l'UNESCO du migrant international, soit « toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel elle n’estpas née et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays ». Ceci dit cette même définition distingue plusieurs catégories telles que les migrants de travail, les

migrants environnementaux, les migrants clandestins, les demandeurs d’asile, etc. ; Il va de soi que nos acteurs en question, tout en étant des migrants internationaux ne correspondent à aucune de ces catégories, sauf, peut-être, celle du migrant de travail. .

C’est avec prudence donc que nous empruntons cette définition. Par ailleurs, et à des fins

statistiques, les Nations Unies proposent de distinguer « un migrant à long terme », qui

s’installe dans un pays autre que son pays de résidence habituelle pour une période d’au moins

douze mois, d’ « un migrant temporaire ». En nous basant sur cette définition, nos porteurs de projets de nationalité étrangère sont bien des migrants à long terme, même si dans leurs mobilités transnationales, ils quittent régulièrement le pays, comme on le verra plus bas.