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Du touriste résident au gestionnaire d’une maison d’hôte : des entrepreneurs autoproclamés

les oasis du Draa : différents cas de figures et différentes étapes

1.3. Du touriste résident au gestionnaire d’une maison d’hôte : des entrepreneurs autoproclamés

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Si au départ les nouveaux résidents font l’acquisition d’une simple résidence secondaire pour leurs propres besoins, ils finissent tous par décider de la convertir en maison d’hôtes ou une autre forme d’hébergement touristique. Et contrairement aux étrangers installés dans les

grandes villes (Marrakech ou Fès) et qui se contentent d’acheter une maison secondaire et de

faire des allers-retours entre les deux pays, les étrangers installés dans la région d’Ouarzazate peuvent se projeter dans des projets touristiques, même s’ils ne commencent pas à tout mettre en place tout de suite.

Donc, peu de gens sont arrivés avec un projet professionnel précis. Dans le cas contraire,

l’installation dans la région permet la concrétisation d’une idée longuement murie. Mais dans

plusieurs cas la première installation visait la possession d’une résidence secondaire destinée à une utilisation privée qui se transforme progressivement en structure d’hébergement

commercialisée. Ceci concerne à la fois les résidents avec une carte de séjour ou les « touristes » pendulaires.

La progression du projet et le passage à un stade professionnel loin de la petite maison initiale est relevé surtout chez ceux qui se sont installés depuis longtemps dans la région. Et là aussi le processus peut durer des années. Tel a été le cas pour cette Britannique artiste-peintre âgée

aujourd’hui de 72 ans et qui fréquentait le Maroc depuis les années 1990 avec son partenaire, lui aussi artiste. Mais ce n’est qu’en 2002, qu’elle a pu réaliser son rêve d’achat d’une maison

à Mhamid, suite à la disparition de son compagnon, puis de sa mère. Et il a fallu attendre 8

années plus tard pour qu’en 2010 la maison privée devienne une maison d’hôtes. Ou encore ce

français qui a dû commencer par une petite maison de quatre chambres puis a loué par la suite

une maison beaucoup plus grande lui permettant d’exercer l’activité sans problème de gestion

du surplus des arrivées.

« Ça s’est faite en plusieurs temps. J’avais déjà une maison donc ici et j’ai fait construire. On a construit une petite maison d’hôtes qui s’appelle dar Laurli que vous avez peut-être

vu. Cette maison a 4 chambres qu’on a exploitées. Au début on s’est dit on aura ça 4 chambres et on aura l’autre maison qui n’est pas loin du camping là et donc si on est

complet là on pourra avoir des chambres là-bas.»152

Il existe également un lien entre l’aspect évolutif de la conception du projet, et l’insuffisance du capital de départ qui ne permet pas la réalisation d’une étude de marché. Ce type de projet

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se construit avec une démarche intuitive où il y a beaucoup de spontanéité et d’improvisation,

ainsi qu’un côté risque peu pris en compte. On sait que la région est touristique et le risque

qu’une telle activité ne marche pas est peuprésent. Nous reprenons un extrait d’entretien mené

avec la fille des propriétaires, qui a repris la gestion de la maison suite au décès de son père.

Cette jeune française rapporte que ses parents n’ont fait aucune étude de marché, cependant ils savaient que l’activité touristique marchait très bien dans la région choisie pour l’implantation

du projet.

« Q : Avant de venir, est ce qu’ils font une étude de marché ? R : non pas du tout, pas

du tout, ils savaient qu’il y’avait un peu de tourisme ici et puis c’est vrai qu’à Agdez c’est entre M’hamid et Marrakech, les gens font souvent Marrakech Agdez M’hamid et aussi

inversement, alors on est beaucoup dans ce passage-là. Quand même cette année on a un

peu de monde qui venait de Merzougua, mais on est dans ce centre, c’était plus parce qu’ils avaient envie d’être pas loin des pistes pour faire le 4*4 de ci de ça, la recherche des minéraux, des fossiles après, ils ont acheté ici, les choses finissent d’être construites, y’avait pas encore eu de clients ici, voilà donc y’avait pas forcément de fonds de

commerce à acheter oui »153

Malgré l’envie de mener ces projets, la lenteur du processus de mise en place de ces derniers

revient principalement au manque de moyens de financement, car il s’agit d’un capital qui se forme progressivement au fur et à mesure qu’on développe l’activité. Nous avons donc conclu

que la possibilité de se lancer directement dans un projet ou de le mener graduellement est

d’abord liée au capital d’investissement.

« De toute façon, on n’avait pas le choix, on n’avait que notre argent; donc on s’est

débrouillé avec notre argent, parce que le système bancaire marocain !! Nous les

étrangers on a le droit de porter de l’argent, notre argent et c’est tout »154

« Comme c’est un capital qui s’est fait progressivement (…) je ne sais pas franchement quelque part ça n’a pas d’importance pour moi. Il y’a pas eu des subventions, des prêts bancaires. Double 0 rien de tout »155

Arrivés dans le sillage de ces anciens, ceux qui se sont installés depuis le milieu des années

2000, même lorsqu’ils visent au départ l’acquisition d’une résidence secondaire à usage privé ont toujours présent à l’esprit la possibilité de la transformer en maison d’hôtes. D’autres

153 Ibid., Note 28, p.121

154 Ibid., Note 18, p.75

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arrivent avec un projet clair prévoyant la cohabitation dès le départ des deux fonctions. Souvent

l’étude de faisabilité ou de marketing fait place à l’improvisation et au « feeling ».

« Non, on n’a pas fait une étude de marché, non pas du tout. Nous on ne fonctionne pas comme ça, on marche un peu au feeling. On est arrivé ici tout à fait par hasard. Au départ

c’était une maison pour nous et après lorsqu’on a décidé de faire le projet on s’est aperçu qu’on était bien placé, qu’on était à 5 km de Aït Benhadou, Telouet n’était pas loin, nous

on travaille beaucoup avec le feeling, en fait on est un peu particulier avec ma femme, on

n’a pas fait d’étude de marché mais je crois qu’on a un peu le flair,»156

Nous parlons ici de ceux qui ont fait le pas de transformer leur logement en petite entreprise

d’hébergement et/ou de restauration, et ceux qui sont venus avec l’idée de créer une entreprise

touristique sans avoir à mener une étude de marché. La deuxième catégorie des entrepreneurs est composée de porteurs de projets qui sont arrivés avec l’idée de créer une entreprise et ce

sont installés dès le début à cette fin ; Ils ne se lancent dans l’activité qu’après avoir mené une

étude de marché et ce avant même leurs installations dans la région.

« Oui on a fait une étude de cas, une étude de marché »157

« Ah oui quand même, oui oui on a étudié notre investissement, on n’est pas arrivé là

comme ça »158

Ces entrepreneurs sont très différents des entrepreneurs présentés dans la catégorie précédente.

En plus du fait qu’ils viennent avec un projet précis et bien cadré, on ressent des efforts déployés

au niveau de la commercialisation, on innove donc et on intègre de nouveaux concepts dans la conception du projet. Tel est le cas pour la jeune française qui détient un écolodge dans la région

d’Agdez :

« Nous, on a un label clef verte 2012, après voilà trophée tourisme responsable, etc.,

voilà il y’a des entités qui appuient ce qu’on dit, dans le sud c’est marqué Tombouktou. (…) nous bah voilà c’est un projet franco-marocain donc je pense c’est plus facile pour nous qu’un projet 100% marocain c’est difficile»159

On peut s’investir et être encore plus créatif, ce qui demande aussi la mobilisation de fonds très importants. Mais ceci se rencontre rarement dans les petites structures. Sur notre échantillon de 40 établissements, nous avons rencontré un seul exemple de maison de rêve qui est nommée

156 Ibid., Note 29, p.122

157 Ibid., Note 27, p.120

158 Ibid., Note 30, p.122

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ainsi. La disposition d’un gros fond d’investissement ne permet pas simplement l’exécution rapide des travaux de construction mais également l’introduction d’un concept unique que nous ne retrouvons nulle part, même dans les palaces. Le propriétaire de cette maison d’hôtes faisant partie de la catégorie relais et châteaux a laissé libre cours à son imagination et dispose

aujourd’hui d’un produit spécifique qui a été facilement réalisable grâce à la disponibilité des

fonds.

« Je vais vous parler de l'hôtel, c'est une kasbah du début 19ème (…), c'était en ruine il y'a

16 ans, et Monsieur Tessier qui a fait la maison des rêves, qui était à la base dans la cinégraphie théâtrale à Paris a adapté ça à l'hôtellerie. Donc, il a amené les architectes et les photographes ça été reconstruit entièrement avec les mêmes matériaux, paille… (…) C’est unique, le produit c'est la mise en scène, la cinégraphie, donc il y'a pas de

réception, c'est partout. Les clients ils ont jamais deux fois le même déjeuner ou diner, chaque déjeuner et diner a son thème, sa couleur, sa vaisselle et son menu propre (…) on

a une équipe déco, à l'intérieur de l'hôtel on a une voiture technique et on envoi la déco, les cuisiniers et les serveurs à l'extérieur du site également, c'est unique, ça a ouvert donc après deux ans de travaux. Avec un personnel skouri, qui a été formé par M. Tessier même si ça a pris du temps. On est partiellement en autosuffisance, c'est beaucoup de fruits et légumes : des tomates, des carottes, on a le jardinier, voilà. On est membre de Relais et Châteaux »160

Ceux qui arrivent récemment appartiennent principalement à cette catégorie. Le fait de venir avec un projet précis et planifié fait que ce dernier se réalise dans une période limitée en moyenne à 3 à 5 années maximum.

« Donc l'activité a commencé depuis 2000, de 1998 à 1999 c'était pour les papiers, le temps que les familles soient d'accord »161

« Le montage, en 2004, l’activité a commencé fin 2007, 2008. 2004 début du projet et puis 2008 l’activité commerciale, l’activité d’exploitation »162

Mais les exemples des projets grandioses comme celui affilié au réseau Châteaux et Relais sont

l’exception. La majorité des structures d’hébergement se caractérisent dans leurs montages d’un amateurisme certains. Ce qui n’exclue pas l’existence de cas d’un professionnalisme évident.

Conjugué aux incertitudes d’un marché du foncier relativement opaque, cet amateurisme assez

fréquent, se répercute sur le montage et le fonctionnement de ces projets ainsi que leurs évolutions.

160Français investisseur dans la région de Skoura qui continue à vivre en France

161 Espagnol de 56 ans, installé dans la région de skoura depuis 1999

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