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Carte 10- Localisation des projets touristiques hors hôtellerie à M’hamid Lghazlane

2. Le désir d’un arrière -pays : les diverses motivations d’installation

2.3. Choix du projet lié au choix de la destination

Si les porteurs de projets étrangers sont à la recherche d’une meilleure qualité de vie, le choix

du lieu d’installation et du projet conditionne le fait de retrouver ou non cette qualité de vie recherchée. Cependant, le lien entre le choix de la destination (le Pays d’Ouarzazate) et le projet

à mener dans cette région est bien présent, la majorité des projets menés dans cette région

s’intègre dans l’industrie touristique qui se développe de plus en plus laissant moins de place à

la petite agriculture solidaire. Donc, le choix de la région d’installation permettant de retrouver

une qualité de vie meilleure tout en mobilisant des ressources locales, mérite une réflexion sereine.

Choix du lieu d’installation

Certains de ces porteurs de projets cherchent à profiter du cadre et de la qualité de vie en migrant vers un nouvel espace tout en gardant la même fonction exercée avant. L’objectif de cette décision étant de changer le cadre du travail perçu comme stressant dans le pays d’origine et moins prometteur qu’une nouvelle carrière dans une petite région rurale et touristique au Maroc.

Ceci ne concerne que les profils qui travaillaient dans le tourisme ou la restauration dans leurs

pays d’origine.

« Parce qu’on m’avait proposé quelque chose à Ouarzazate, la direction d’un restaurant,

donc je suis venu pour la direction de ce restaurant et puis après au bout de quelques

années, j’ai décidé d’acheter ici et monter ici, et Orélie m’a rejoint plus tard »67

« On avait un restaurant en France, qu’on a vendu et puis on s’est dit pourquoi ne pas venir ici et faire un projet, on a vendu le restaurant qu’on a créé et géré pendant 18 ans »68

En plus de l’appréciation du paysage et de la culture locale, l’installation au Maroc peut être

accentuée par le fait que le pays était encore novice sur le plan touristique, au moment de

l’arrivée des premiers porteurs de projets. Les arrière-pays marocains en général n’ont connu un développement touristique qu’à partir du moment où des porteurs de projets marocains et

67 Ibid., Note 34, p.123

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étrangers ont mobilisé l’activité localement. Donc le Maroc fait un bon compromis par rapport à d’autres pays de l’Europe.

« Je ne suis pas venu au Maroc, mais ça s’appelle, parce que j’ai découvert le Maroc, j’ai beaucoup apprécié le paysage, les gens, et puis j’ai décidé de rester là. Comme en

Espagne ou au Portugal, je trouvais que le terrain de jeu entre guillemet de mon activité

se prêtait à se développer donc j’ai fait ce choix »69

Les choix de la région et du projet sont imbriqués et liés par des inspirations stratégiques. Ces

deux choix justifient bien aussi le choix de l’installation et la résidence continue ou discontinue

dans le pays d’Ouarzazate. Nous avons relevé plusieurs points qui expliquent premièrement le

choix du lieu.

Le fait de viser le Maroc comme pays d’investissement dans le secteur du tourisme rend la décision du choix de la région d’ « implantation » très difficile. Le pays dispose d’une mosaïque de paysages et de cultures très variée d’une région à l’autre. Mais le choix d’une région du

Maroc est aussi lié à la proximité géographique et linguistique ; le Maroc est à quelques heures

d’avion et le français y est pratiqué de façon courante à côté de l’arabe et d’autres langues que

les jeunes surtout des régions touristiques, apprennent en pratiquant à force de rencontrer et de travailler avec des touristes.

« C’est un bon compromis parce qu’ici c’est francophone »70

« Ce qui nous a incité à venir ici c’est que ce n’est pas loin, on est à 2h30 d’avion, on habite dans le sud de la France donc c’est la proximité et puis il y’a pas l’obstacle de la

langue ici, la plupart des gens parlent français donc ça facilite les choses »71

La mise en comparaison entre la région d’Ouarzazate et les grandes villes touristiques, Marrakech et Agadir par exemple, met en avant le Pays d’Ouarzazate comme territoire

beaucoup plus arrangeant pour un investissement en petite structure d’hébergement touristique. On parle d’un terrain quasi-vierge et où des projets de maisons d’hôtes bien structurés ne commencent à voir le jour qu’à la même période de l’arrivée de ces porteurs de projets étrangers. A l’image de ce français de 67 ans qui se considère comme étant le pionnier et le

premier à mettre en place une maison d’hôtes dans la palmeraie d’Agdez ; le choix a été basé

69 Ibid., Note 32, p.123

70Ibid., Note 27, p.120

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sur sa conviction d’être le premier à faire quelque chose dans cette région au lieu d’être précédé

par beaucoup de gens à Marrakech qui est labélisée grande ville touristique.

« …j’ai dit qu’un jour je ferai quelque chose au Maroc et puis finalement je l’ai fait ici. Parce que je connaissais quand même du monde, j’avais déjà acheté une maison ici, je l’ai revendu aprèset en plus parce que j’étais le seul à créer quelque chose ici, on a été les premiers à créer une maison d’hôte, je préférais être le premier ici que le 700 ème à Marrakech. Deuxièmement, il y’avait une bonne qualité de vie ici même si maintenant on

trouve que c’est un peu lourd et ensuite parce que stratégiquement pour le tourisme, c’est hyper bien placé parce que c’est situé à mi-chemin entre Marrakech et le désert que ce

soit M’hamid ou Merzougua et Agadir. Au départ ça faisait déjà un point d’étape et les

agences ont été ravies qu’on s’est installé, parce qu’ils en avaient assez d’envoyer directement les clients de Marrakech à M’hamid dans la journée ou quoi »72

Et il s’agit encore une fois de profiter de la bonne qualité de vie et de fuir le stress d’une grande ville :

« À Marrakech il y’a beaucoup de stress, beaucoup de bruit ; On sent une ville qui est

beaucoup agressive alors qu’ici c’est calme et puis la beauté de la région. Tu sais

vraiment on est aux portes du désert et on est dans l’Atlas, on dirait un carrefour ; on peut partir en promenade, on peut faire des treks, on peut faire du 4*4, on peut faire plein plein de projets » 73

Aussi, le changement de l’image de la région d’Ouarzazate considérée avant comme région

étape, attire vers elle de nouvelles personnes désireuses de profiter des promesses qu’elle offre comme destination touristique rurale en émergence. C’est le cas de cette jeune qui est saisie par la stabilité et l’authenticité durable de la région par rapport à d’autres pays voisins.

« Déjà la Lybie au niveau politique c’était quand même, voilà, la Tunisie elle est saturée

au niveau du tourisme et puis ça était mal géré avec tous ces hôtels. Le Maroc a su garder son aspect authentique et surtout le sud je pense, avant que ça change totalement, il va

falloir quand même beaucoup d’années, il y’aura toujours cette authenticité-là »74

En quelque sorte, nous assistons dans ce processus de création de projets et d’installation à un

effet domino75qui commence par le choix du lieu suite à une ou plusieurs visites en tant que touriste et se termine par le montage du projet lié au choix de la région. Si les personnes qui

72 Ibid., Note 18, p.75

73Idem

74 Ibid., Note 28, p.121

75L'effet domino est l’effet en chaine réalisé à l’instar d’un changement mineur qui entraine linéairement d’autres changements

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continuent à pratiquer leur activité de base hésitent entre différentes destinations, d’autres décident de s’installer dans la région et le projet vient pour appuyer cette décision.

« Je me suis arrêté là un jour parce que j’allais au désert et qu’il faisait nuit et j’avais vu dans le guide du routard qu’il y’avait kasbah Ellouze, je crois que vous avez déjà visité. J’ai demandé à quelqu’un ‘tu peux m’amener là-bas’ il a dit oui. La directrice de l’époque s’est disputé avec le patron mais elle a monté une petite maison d’hôte ici, et donc après moi j’allais dans cette maison d’hôte et c’est comme ça qu’au bout de 3 ans elle m’a dit il y’a une maison qui se vend à côté et je l’ai acheté. Depuis, j’ai acheté 35, j’ai acheté tout le village pourquoi ?je ne sais pas ; A l’origine je voulais être architecte donc j’ai fait de l’architecture et puis en fin je suis expert-comptable et ce n’est pas ce

que je voulais… »76

En plus du choix du projet suite au choix de la région, ce cas révèle une envie cachée de réaliser un rêve de jeunesse ; le projet porté par cet expert-comptable français est un vrai havre de beauté où il manifeste son dévouement clair pour l’architecture, appuyé par le fait de faire appel à un designer.

Une fois le lieu choisi ou en même temps que le choix du lieu, intervient également le choix du projet.

Choix du projet

L’idée du choix d’un projet touristique diffère d’une personne à l’autre et ceci revient aux

diverses motivations ou circonstances de l’installation dans la région. Nous pouvons dire qu’il y a autant de motivations et de justifications du choix que d’individus interviewés. Mais nous

allons, toutefois, essayer de les catégoriser en deux grands ensembles.

La première catégorie décide de réaliser un projet de vie en couple ou en famille. Il s’agit des

couples mariés, mixtes ou totalement étrangers, qui décident de mener une vie au Maroc, le projet lui-même n’ayant pas été la finalité, mais plutôt un moyen permettant de vivre ensemble

avec le conjoint autour d’un projet et d’avoir une activité professionnelle qui accorde un statut

dans le pays hôte et de mieux vivre ensemble.

« Ça s’est fait au fil du temps, en fait pourquoi on a choisi ce projet c’est qu’à l’origine j’habitais moi et ma femme ici et nous invitions des amis à boire un thé, à manger un couscous à la maison, les Marocains vous savez l’hospitalité et puis nos invités nous ont

dit mais pourquoi vous ne faites pas une chambre ou deux, on serait mieux chez vous qu’à

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l’hôtel, de ça il y’a vingt ans et c’était très basique rien à voir avec le luxe et le confort qu’on pouvait avoir. Donc, on a fait une première chambre pour nos clients-amis, puis une deuxième, une troisième ; après on a acheté une autre petite maison, après encore

une autre petite maison plus loin et petit à petit le projet s’est développé.On n’a jamais imaginé moi et Zineb d’avoir un projet comme ça au complet, jamais, jamais, parce qu’on est des gens simples on n’a pas beaucoup de moyens, ».77

La vie en famille et l’extension d’un projet déjà existant peuvent être à l’origine de ces

déplacements. Dans un article sur le fonctionnement du système migratoire dans la ville de Fès, une attention particulière a été accordée aux Européens qui s’installent dans la ville suite à l’installation d’un membre de la famille: “For others, the decision to move has been dictated

by the need to reconstruct the family network following one family member’s migration to Fes.

The multiple attractions of the city are interpreted differently and put into images.” (Berriane et al, 2013).

Dans notre cas, vue qu’il s’agit d’un espace rural qui offre moins de prestations qu’une grande

ville et est donc moins convainquant comme espace de vie pour des personnes étrangères autres que les porteurs de projets, on ne retrouve pas des personnes avec des liens parentaux ascendants, descendants ou latéraux. Cependant, on trouve rarement des étrangers qui

s’installent dans cet arrière-pays pour y vivre sans aucune activité. C’est surtout les villes

comme Fès, Casablanca, Marrakech, Agadir ou Tanger qui attirent ce type de couples. Ici, on retrouve surtout des familles composées du couple et des enfants pour qui le projet a été, soit

un moyen d’être ensemble, soit une activité complémentaire. Nous présentons deux exemples

des cas précités :

« En fait c'est simple, moi j'ai rencontré ma femme qui travaille au Maroc, elle était au club méditerranée, moi je bossais en France et puis c'était au moment de ma vie où je voulais changer de vie. Et elle ne se voyait pas entrer en Europe donc on a commencé. Comme elle avait l'expérience de club Med et qu’elle avait beaucoup travaillé dans le

sud, elle était responsable des excursions, donc on s'est dit bah on s'installe au Maroc. Et puis on a commencé à créer une agence de voyage et donc après, qui dit agence de voyage, on loue des 4*4, logement et tout, on organise des circuits et on s'est dit, pourquoi ne pas se développer. Donc on a investi dans deux transports touristiques et après donc la maison d'hôtes » 78

« Au tout début, en fait, moi j'ai fait plusieurs Rallye de 4*4 parce qu'à la base je fais les 4*4. J'ai un groupe qui est allé faire le sud et donc on a fait les randonnées de 4*4 pendant 77 Ibid., Note 32, p.123

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4 ans ici, tous les ans. Et puis on avait envie de s'installer définitivement, c'est à dire que, moi j'organise des circuits, je fais du guidage touristique, j'apprends aux clients à naviguer dans le désert avec des road book, avec des GPS donc, comme des road book de course si tu veux. Et donc l'idée, c'est à la base mon ex-femme qui voulait faire une kasbah, on a dit bon moi je fais mon activité et puis toi tu fais ta kasbah. Donc on s'installe ici à 3 ans et voilà, donc ça a très bien marché pendant deux ans et l'année dernière les soucis ont commencé avec nous ; donc moi je suis séparé de mon ex-femme mais on travaille bien ensemble, ce n’est pas un problème mais les soucis ont commencé avec eux, bon résultat elle est partie, mon ex-femme est remontée en France, les enfants vont remonter en France aussi » 79

Même les personnes vivant seules décident au départ d’acheter une maison pour y vivre et la

convertisse par la suite en maison d’hôtes :

« Normalement elle est venue, elle ne comptait pas faire ce projet au départ (…),

normalement elle voulait cette maison pour elle-même, pour y passer les vacances (…) et

puis on lui a proposé cette idée de tourisme et elle en a fait une maison d’hôtes » 80

Quant à la deuxième catégorie elle se distingue par l’importance accordée aux relations

humaines. Les personnes qui en font partie justifient le choix du projet par son côté convivial et humain, la maison d’hôtes créant une proximité entre le propriétaire et les hôtes et la relation qui s’instaure revêtant un caractère familial. On apprécie la petite capacité de la structure qui

permet d’être très proches des hébergés :

« Mais c’est vrai que la maison d’hôte c’est différent de l’hôtel c’est beaucoup plus convivial, on est plus proche du client ici, c’est pas qu’on donne les clefs des chambres, c’est pas un numéro, on est là avec les clients, on les renseigne qu’est-ce qu’ils vont faire

demain, on est avec eux ou quoi,; bon moi je mange pas avec eux, chacun mange

individuellement, mais c’est le style de la maison d’hôte, on est près des gens »81

On apprécie également le partage de ce qu’on a récemment découvert comme culture et

spécificités du territoire. Le projet devient un moyen de faire vivre et de pérenniser la première image que ces porteurs de projets ont retenue lors des séjours touristiques et qui les a convaincus

de s’installer dans cette région.

« Ça correspond bien à notre mode de vie et ce qu’on voulait ; quelque chose de nature ; en même temps accueillir les gens et pouvoir leur montrer, leur faire découvrir la culture

79Français de 58, propriétaire d’une maison d’hôtes 2 ème catégorie à Skoura depuis 2013

80Suisse de 50 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Agdez depuis 2007.

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berbère. En fait, et puis voilà faire partager ce qu’on aime ici et puis mettre en valeur les choses typiques»82

Sur la base des entretiens réalisés, nous avons passé en revue plusieurs motivations qui se

trouvent à l’origine de l’installation de ces porteurs de projets étrangers dans l’arrière-pays

d’Ouarzazate et qui sont en rapport avec la vie antérieure dans le pays d’origine, en rapport

avec soi-même et en rapport avec l’espace d’accueil. Cependant, nous avons remarqué lors des

entretiens le quasi-silence quant aux aspects économiques comme motivation d’installation. On

parle plutôt d’opportunité, choix stratégique... et on n’évoque guère les retours en termes de

bénéfices et de revenus comme motivations. Néanmoins, le coup de foudre pour la région, le

désir d’y rester le plus de temps et l’intérêt porté aux spécificités locales (culture, population locale et produit de terroir) sont tous des éléments partagés avec les touristes. Ces derniers, tombés sous le charme de la région, décident de venir et y revenir: « (there is) a difference between the tourist who, struck by the charms of the city, its mystery and its people, decides to

settle there, and the investor who evaluates the city’s attractiveness in terms of its advantages

as a location for profitable investment. » (Berriane et al, 2013).

Donc, l’installation dans la région et la réalisation d’un projet, qui est à vocation économique, relève bien aussi d’une motivation économique à travers les revenus réalisés par le biais de cette

activité que nous évaluerons dans plus loin83.

3. Vie relationnelle avec le pays d’origine

Chacun de ces porteurs de projets étrangers a laissé des membres de sa famille et des amis dans

le pays d’origine avec qui il reste en contact depuis sa nouvelle région de résidence.

Aujourd’hui, le lien avec le pays d’origine peut être garanti, même à distance, par le biais du

téléphone et de l’Internet, grâce aux progrès spectaculaires dans les domaines des technologies et de la communication ainsi que le transport grâce à l’open sky qui a permis le développement

des vols low-cost vers le Maroc. Le développement des nouvelles technologies et notamment de la téléphonie mobile a modifié le lien que les migrants entretiennent avec leurs familles restées au pays (S. Larchanché-kimet al, 2005). Pour nos porteurs de projets étrangers, nous relevons deux catégories : une première qui garde un lien permanent avec le pays d’origine, et

une seconde qui garde un lien irrégulier ou continu à vivre dans le pays d’origine et adopte un

mode de mobilité pendulaire.

82 Ibid., Note 27, p.120

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