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L’idée de quitter le pays d’origine : fuir un environnement et une vie peu satisfaisants

nord-sud ?

Carte 10- Localisation des projets touristiques hors hôtellerie à M’hamid Lghazlane

2. Le désir d’un arrière -pays : les diverses motivations d’installation

2.1. L’idée de quitter le pays d’origine : fuir un environnement et une vie peu satisfaisants

Quitter son pays d’origine n’est sûrement pas chose aisée. Mais à travers les cas étudiés, cet

acte se justifie par une insatisfaction vis-à-vis de la vie avant la migration et/ou l’avènement de

quelques évènements qui perturbent cette vie. En fait, les deux concepts de « Lifestyle migration » et de « Amenity migration », nous permettent de comprendre et de donner du sens

au phénomène d’installation dans la région de ces migrants pas comme les autres. En effet, ce qui fait la spécificité de ces porteurs de projets (tout comme les lifestyle et amenity migrants),

c’est le fait qu’ils s’écartent du modèle des migrants traditionnels. Ces derniers sont à la quête d’un emploi dans un nouveau pays, alors que les porteurs de projets étrangers sont à la recherche

d’un meilleur style de vie qu’ils ont trouvé dans cet arrière-pays à l’occasion de leurs premières

visites en tant que touristes.

Ainsi, l’attractivité des milieux ruraux pour de futurs résidents, venant de loin, est liée à leur caractère touristique comme cela a déjà été relevé dans les processus de repeuplement de zones

dépeuplées d’Europe : « Le phénomène de repeuplement des espaces ruraux a d’ailleurs d'abord

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(Viard, 2000). Or, le Pays d’Ouarzazate tel que nous l’avions défini figure parmi les

destinations les plus attractives du Maroc grâce à la combinaison du mythe du désert et de

l’ambiance oasienne, le toutconjugué à la fascination qu’éprouvent les touristes européens pour

les majestueuse kasbahs et les mystérieux ksour.

Ensuite c’est la ruralité en elle-même qui fait partie du cadre recherché par ces migrants. Le recours spécialement à une région rurale peut être motivé par « La représentation d'un pays aimé, d'un lieu d'enfance, de convivialité, l'image d'une campagne idyllique, le rejet de la ville source de tous les maux…» (Talandier, 2011). Mais avant d’être attiré par une nouvelle

destination pour la vie, il faut qu’il y ait aussi besoin de quitter le lieu où on a vécu toujours. Ici d’autres facteurs interviennent : « …mais aussi l'attachement à la ville et à ses facilités ; ou encore les changements dans la sphère privée et professionnelle : séparation, rencontre, rapprochement familial, héritage, ou mutation professionnelle, licenciement, chômage »

(idem). Donc, le départ du pays d’origine et l’installation dans un autre environnement, s’ils s’expliquent par l’attractivité de l’image d’une campagne conviviale et idyllique, peuvent aussi être dus aux circonstances de la vie, surtout lorsqu’il y’a des événements malheureux qui poussent la personne à se réfugier ailleurs. A ce propos parmi nos répondants, figurent des personnes qui ont décidé de quitter le pays d’origine principalement suite à des circonstances,

comme le décès du conjoint, un divorce ou tout simplement des problèmes personnels.

Et comme le mentionne Benson et O’Reilly (2009), la migration dans ce cas est un moyen d’échapper au piège, faire un nouveau départ à la recherche d’une nouvelle vie ou encore un nouveau commencement “Migration is thus often described using language like ‘getting out of the trap’, ‘making a freshstart’, ‘a new beginning’ (e.g. Helset et al. 2005 ; Karisto 2005 ;

SalváTomás 2005)”. Et nous retrouvons effectivement dans les discours des personnes

questionnées des expressions qui explicitent ce besoin de couper avec le passé et de construire

un nouveau futur. Pour ce faire, la migration ou le changement de lieu de vie s’avère comme un moyen permettant ce nouveau commencement. L’un des nouveaux résidents du village d’Agdez, installé depuis une dizaine d’année, a choisi de quitter son pays, la France, à la suite de son divorce et son nouveau mariage :

« Donc, c’était il y’a 12, 13 ans. C’est compliqué, c’est les circonstances de la vie personnelle qui ont fait que, en fait j’ai divorcé, je me suis remarié avec Fanie… » 47

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Ce changement de lieu suite aux ruptures dans la vie personnelle est très présent dans notre échantillon et concerne aussi des personnes en situation de divorce ou qui se sont remariées avec un conjoint originaire du village où elles décident de s’installer. En plus de la séparation, la disparition d’un être cher peut être aussi à l’origine de la décision de changer son lieu de vie habituel. De ce fait ces porteurs de projets sont à la recherche d’une nouvelle activité dans un

nouveau territoire afin de combler le vide qu’ils ressentent après l’avènement de ces événements. Benson et O’Reilly (2009) expliquent que, dans ce cas, la migration devient un

moyen qui permet de surmonter le traumatisme causé par des événements du passé et de reprendre le contrôle de leur vie: «This might be redundancy, a change in working status (e.g. retirement), or a bereavement, each of which is experienced as traumatic in someway. Migration is presented as a way of overcoming the trauma of these events, of taking control of their lives,

or as releasing them from ties and enabling them to live lives more ‘true’ to themselves». La vie imaginée après la migration se présente comme l'antithèse de la vie avant la migration surtout sur un plan plus personnel.

“…Accident, yeah I was, my partner died in 2002, we have been together 43 years not married, but together, living together like married”48

Considérons dans ce cas l’exemple de cette ex-enseignante française de 72 ans qui, tout en liant sa décision de quitter la France pour s’installer dans la région de M’hamid en 2010 au décès de son mari, ajoute aussi le fait qu’elle se sentait rejetée de son espace de vie en France

« l’Ardèche». Suite à ces circonstances, le futur migrant est prêt à s’implanter dans un nouveau

territoire qui lui plaît, surtout s’il le visite dans un moment de faiblesse et de recherche d’un

nouveau chez soi.

« A l’époque, c’était après le décès de mon mari, voilà, j’avais besoin de faire quelque chose, je ne savais pas quoi et puis où j’habitais en France ça trainait déjà depuis 2 ans ; et puis pour des raisons un peu curieuses, j’ai fait de la randonnée dans le désert donc en partant d’ici, j’ai vu cette maison et j’ai dit bon, ils ne veulent pas de moi en Ardèche.

Je voulais faire une petite maison d’hôtes, un peu pour m’occuper, c’est ça qui m’a

motivé »49

Quitter son pays d’origine peut être également lié au besoin de se sentir utile en exerçant une nouvelle activité (ici l’activité touristique). Le choix de cette activité est facilité par la simplicité

du montage du projet depuis l’apparition de l’idée jusqu’à la gestion de la maison d’hôtes qui

48Anglaise de 72 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Ouladdriss-M’hamid depuis 2010.

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ne nécessite ni expérience ni formation. On justifie donc sa présence par le besoin de « faire quelque chose » et de donner un sens à sa vie.

« Alors, c’était une période de ma vie qui était difficile suite à la mort de ma mère et au

moment où mes enfants partaient de la maison. Donc, je me suis retrouvée toute seule à

la maison et j’avais besoin de faire quelque chose ou quoi. Donc, j’étais venue plusieurs

fois au Maroc et voilà j’ai décidé d’investir ici »50

Toujours dans le même registre, il y’a le cas d’une autre porteuse de projet de nationalité française, âgée de 68 ans et qui, au lieu de s’installer sur place, décide de « penduler » entre la France et Agdez où elle se sent bien et prend de la distance par rapport à sa vie. Dans la suite

de l’entretien, on apprend que la mort de son mari a aussi participé dans cette quête de soi. En

effet, elle ressent plus de liberté par rapport au choix de la mobilité comme mode de vie.

« Absolument pas de motivation particulière, les concours de vie, les circonstances …

voilà ! C’est les circonstances de ma vie qui ont fait, l’occasion m’a été donnée pour prendre du large par rapport à ma vie et que donc j’ai fait le choix, pas toujours

facilement mais je l’ai fait. J’étais absolument pas motivée par une question financière ou pour une question d’impôt, la preuve je ne suis pas résidente »51

En considérant les diverses situations, on relève donc des différences dans les circonstances et

les contextes qui poussent ces personnes à venir s’installer dans le pays d’Ouarzazate. Ces différences recoupent les tranches d’âge de nos répondants et on peut sur cette base distinguer

trois catégories. La première catégorie correspond à ces séniors retraités dépassant la soixante

et pour qui la mobilité a été un moyen d’échapper à un mauvais accident de la vie.

La deuxième, bien que plus jeune que la précédente, s’approche de l’âge de la retraite (entre 50

et 60 ans) et arrivée à ce stade décide de changer de vie. Comme le note Therrien (2012), « la possibilité d'avoir une expérience offrant un changement de situation sans sentir un manque est la raison principale pour laquelle les français sont attirés par le Maroc ». Ici, les expressions

« Changement de vie »52ou « on a décidé de changer complètement de vie et de venir s’installer

ici »53reviennent souvent dans les discours de ces personnes.

La troisième catégorie, nettement plus jeune (entre 30 et 45 ans), vient s’installer dans la région par ce qu’elle repère dans le Pays d’Ouarzazate une opportunité. C’est le cas d’un couple mixte

50Ibid., Note 35, p.125

51Ibid., Note 39, p.125

52Français de 60 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Oulad Driss-M’hamid depuis 2008. (Date d’installation : 2004)

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franco-marocain dont le mari est descendant d’une famille caïdale, propriétaire d’une ancienne Kasbah, utilisée aujourd’hui comme structure d’hébergement touristique avec des espaces

dédiés aux camping-caristes. Ce couple qui a vécu quelques années en France décide de rentrer

à Agdez pour développer l’activité d’hébergement déjà existante dans le village depuis les années 1990. Le projet de transformer la kasbah déjà existante et appartenant aux parents de

l’époux marocain, en structure d’hébergement représente une opportunité permettant de fuir le stress d’une grande métropole (Paris), de retrouver ses origines pour le mari et de découvrir une

culture et un mode de vie qui intéresse l’épouse complètement intégrée dans ce nouveau milieu.

« C’est simplement des problèmes, enfin des problèmes, comment elle s’appelle : l’opportunité c'est-à-dire que y’avait déjà quelque chose qui existait ici, on a dit on va

essayer de développer, on a la structure » 54.

« Pourquoi je suis venue ici ? Parce que ça faisait longtemps que je voulais faire une activité dans le tourisme voilà ! J’avaischerché un peu en France et puis lors d’un voyage au Maroc, il y’a eu une opportunité, la rencontre de Nacer, l’opportunité du terrain et puis après, c’est parti. » 55

D’autres n’hésitent pas à l’emploi de l’expression forte d’ « avoir marre » de l’ancienne

situation et la présence dans le nouvel environnement est justifiée par le désir de saisir une nouvelle opportunité pour mieux vivre. Ces personnes ont le profil de jeunes cadres travaillant dans le tourisme, le secteur bancaire ou autres activités similaires dans leur pays d’origine qui décident un jour de tout laisser derrière eux et de venir s’installer dans une région rurale sud

-marocaine. Ceci revient en premier lieu au rejet de conditions de travail très stressantes qu’on

laisse derrière soi pour exercer une activité dans un milieu rural avec une opportunité de travail facile et très prometteur.

« …donc on va dire, en septembre on s’est posé la question qu’est-ce qu’on fait, on continu ou on arrête et puis j’ai dit moi j’en ai marre, je vais essayer de trouver quelque chose, une petite maison d’hôtes mais n’importe où et je suis tombée par hasard sur un riad à louer » 56

« Parce que y’en avait marre tout simplement » 57

54Ibid., Note 41, p.125

55Couple mixte dont la femme est une française de 48 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à

Agdez depuis 2007. (Date d’installation :2003)

56Ibid., Note 45, p.127

57 Couple mixte dont le mari est un français de 40 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Ouladdriss-M’hamid depuis 2011. (Date d’installation au Maroc : 2003)

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Ainsi, l’idée de quitter le pays d’origine, pour s’installer dans un nouvel espace et rebâtir une

nouvelle vie résulte principalement de trois facteurs : les circonstances de vie, le désir de

changer sa vie ou l’opportunité qui se présente dans le pays hôte. Finalement, , alors que les retraités sont à la recherche d’un cadre leur permettant d’échapper à une vie quotidienne mal vécue, les plus jeunes sont à la quête d’une nouvelle vie toute fraiche, moins stressante et qui

permet de profiter d’une meilleure qualité de vie.

Cependant l’idée de s’installer dans cet arrière-pays peut être appuyée par d’autres facteurs et

des motivations diverses que nous allons présenter ci-dessous.

2.2. Diverses motivations pour une installation dans un arrière-pays : à la quête d’une