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La migration nord-sud : conceptualisation du renversement des flux de migration

étrangers dans un arrière-pays du sud

1. A la quête d’une nouvelle vie : une multiplicité de formes de mobilité vers les arrière-pays

1.3. La migration nord-sud : conceptualisation du renversement des flux de migration

Le renversement des flux des campagnes vers les villes en Europe, s’accompagne d’un

renversement des flux migratoires du nord vers le sud à l’échelle du monde. Le Maroc représente l’une des destinations sud méditerranéennes dotées des qualités précitées et

recherchées par ces nouveaux migrants venus au départ comme touristes « The Europeans first come as tourists but during their increasingly frequent visits, they become aware of what they perceive as a better quality of life available to them in Morocco » (Berriane et al., 2013)22. Avant, nous étudions la migration sud-nord pratiquée par des personnes en quête de plus de moyens financiers, leurs permettant de mieux vivre et même de faire des transferts à leurs

proches dans les pays du sud. Aujourd’hui, nous assistons à une inversion des flux et nous avons

face à nous des flux qui partent dans le sens opposé, du nord vers le sud. Cette inversion de flux

n’est pas le résultat du hasard mais le résultat du développement de nouveaux phénomènes

sociétaux, tels ceux que nous avons évoqué précédemment.

La mondialisation, la globalisation, l’hyper consommation, sont tous des facteurs accélérateurs

d’une vie moderne mais stressante, ce qui, en plus des contraintes sociales affrontées, est

derrière le départ des personnes définies comme « migrants » de leurs pays vers de nouvelles destinations: le Pays d’Ouarzazate pour notre cas. En revanche, le phénomène n’a pas

22 Mohamed Berriane, Mohammed Aderghal, Mhamed Idrissi Janati&Johara Berriane (2013) Immigration to Fes: The Meaning of the New Dynamics of the Euro-African Migratory System, Journal of Intercultural Studies, 34:5, 486-502, DOI: 10.1080/07256868.2013.827825

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commencé au Maroc dans les zones rurales mais dans les villes. Les villes de Marrakech et de Fès (Berriane et al., 2013 et 2016) ont été les premières à recevoir un nombre important

d’étrangers, surtout des Français souhaitant s’y installer de façon permanente ou saisonnières ;

souvent, l’installation est appuyée par diverses motivations.

La ville de Fès, par exemple, a été un carrefour à la fois de retour, de départ et d’installation de

trois catégories de migrants: il s’agit premièrement des émigrants marocains de retour à leur ville natale, des subsahariens faisant du Maroc et de la ville de Fès un pont vers l’Europe et des occidentaux prenant la décision de s’installer dans cette ville: « Fes now stands at the meeting point of three types of migration: the emigration and return of Moroccans; a significant flow of migrants originating in Sub-Saharan Africa; and increasing numbers of Westerners. » (Berriane et al., 2013).

La ville de Marrakech à son tour a connu l’arrivée des « Quest migrants », comme ils ont été définis par Catherine Therrien et Chloée Pellegrini (2015). Les deux auteurs mentionnent que

les quest migrants participent au champ d’étude sur les migrations de mode de vie tout en

apportant un éclairage au champ des « lifestyle migrants ». En effet, la différence entre les deux catégories est liée aux attentes de chacune, alors que les « lifestyle migrants » sont à la

recherche d’un meilleur niveau de vie, les « quest migrants » tentent de mieux vivre en essayant

de retrouver une sérénité d’esprit :

« L’amélioration de leur qualité de vie avec leur quête de bien-être et contrairement à la majorité des autres lifestyle migrants français rencontrés qui sont à la recherche d’un

meilleur niveau de vie, un nouveau mode de vie ou un changement d’image exotique. En

comparant leurs trajectoires avec celles des voyageurs on a remarqué que leur mode de vie nomade est dû à une quête personnelle, non pas pour vivre mais pour se sentir mieux, enracinée dans une sorte de « else whereness / l’ailleurs » où ils peuvent vivre en conformité avec leur appel intérieur (leur quête) et essentiellement exister différemment. » (Therrien, Pellegrini, 2015)

Ces modes de migration créent une polémique autour de ce qu’ils peuvent représenter comme

privilèges à ses adhérents. Plusieurs recherches débattent sur la question de la dimension du « privilège » si elle peut être associée à la migration en prenant en compte les catégories sociales auxquelles appartiennent ces migrants. Le Bigot (2017) reprend dans sa thèse23 que « Janoschka et Haas (2014, p.5) reconnaissent les critiques portées à la référence aux « privilèges ». Selon elle, la plupart des « lifestyle migrants » ne sont pas des élites, fuient dans de nombreux cas des

23 Penser les rapports aux lieux dans les mobilités privilégiées : étude croisée des backpakers en Thailande et des hivernants au Maroc (LeBigot, 2017).

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contraintes sociales, et dans le cas des destinations européennes, il serait erroné de parler de « privilège » ».

Le privilège en question est lié à la période historique ou actuelle des migrants prise en compte, si on reprend leurs anciennes expériences et leur niveau de vie auparavant on est limité quant à leur qualification comme migrants privilégiés. Cependant, leur installation dans les nouvelles

destinations leur permet d’acquérir un nouveau statut permettant, à la fois, de mieux vivre et de s’approprier ce nouveau statut de migrant privilégié souvent lié au lieu de provenance. En effet, « il y a un grand nombre de personnes qui échappent aux conditions de pauvreté en vivant une vie privilégiée dans le Sud. » (Matthew Hayes, Rocio Perez-Ganan, 2016).

S. Croucher (2012) explique que le privilège associé à l’image de ces migrants est lié à leur

appartenance aux pays qui possèdent un grand pouvoir économique, politique et culturel. Cette

image n’est pas seulement soulevée par la population hôte mais est aussi intériorisée dans l’esprit de ces migrants qui se voient « privilégiés ».

« It is privilege that derives not only from their individual economic and social status

(particularly in relation to members of the ‘host’ society), but also from their membership

in countries of origin that tend to possess greater economic, political, and cultural power in the international system than do the countries where many privileged migrants are settling » (Croucher, 2012)

Privilégiés ou non, ces migrants à destination de l’arrière-pays marocain ne viennent pas pour pratiquer simplement du tourisme mais pour mener un projet leur permettant de vivre aisément au Maroc. « Deux types de situations sont donc à distinguer : celle des régions de tourisme de

masse, où l’activité plus ancienne se caractérise par une internationalisation du marché depuis

les années soixante et celle des régions émergentes où se construisent les nouveaux lieux touristiques. Le phénomène migratoire est plus frappant dans ce second cas mais il n’en

demeure pas moins une réalité sur tous les marchés « dans les lieux où l’activité est mieux

structurée, des déplacements saisonniers sont devenus des migrations définitives — faisant du tourisme une activité peuplante — tandis que d’autres migrations temporaires alimentent le

marché. » (Dehoorne, 2002).

Cette installation liée à l’élaboration d’une activité économique nous pousse à approfondir notre réflexion autour du projet lui-même et du statut que se donnent ces nouveaux arrivés.

Nombreuses sont les questions à aborder dans ce cadre et qui méritent d’être traitées sous

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2. Les porteurs de projets étrangers dans le pays d’Ouarzazate : des

« Lifestyle », « Quest » ou « Privileged » migration ?

Il est difficile d’étudier les dynamiques territoriales et sociétales qui se développent dans un lieu sans pouvoir cadrer les éléments qui sont à leurs origines. L’arrière-pays d’Ouarzazate a connu une mobilisation territoriale grâce au cinéma d’un côté, qui participe à tracer un imaginaire favorable chez les gens vis-à-vis de la région, et grâce au tourisme de l’autre côté. Dans la mesure où nous nous intéressons aux éléments sources de modification qu’a connue ce

territoire, la présence des nouveaux acteurs, leurs profils et le cadre dans lequel est monté leurs projets intéressent cette étude.

La question de l’intérêt porté à la ruralité et la similitude de notre groupe de recherche aux nouveaux habitants ainsi que les diverses motivations qu’ils partagent avec les migrants relevant des cadres théoriques cités dans la section précédente, nous mènent à une réflexion sur

les résultats empiriques d’une migration récréative. En d’autres termes, nous cherchons à

comprendre le cadre et la nature des projets mis en place surtout que nous nous trouvons

aujourd’hui face à de nouvelles formes d’entreprises accompagnées de nouvelles tendances et

pratiques.