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Conclusion du chapitre quatre

Chapitre 5. Les porteurs de projets étrangers dans le

1. Le vivre ensemble : lorsqu’on est confronté à l’altérité ?

1.1. Un face à face de différentes cultures

L’étude de Therrien sur les migrants français dans la ville de Marrakech démontre que la réalité du migrant une fois installé dans son nouvel espace ne rejoint pas toujours ses attentes et son imaginaire. Pire encore il peut se retrouver devant des situations contraignantes : « Les récits

recueillis montrent qu’une fois leur démarche migratoire en cours, les migrants français interviewés se retrouvent confrontés à une réalité tout autre que celle imaginée, une réalité

remplie d’ambivalence où ils se trouvent contraints » (Therrien, Pellegrini, 2015). Ce constat est valable aussi pour nos informateurs étrangers rencontrés dans la région d’étude. Et même si la majorité des répondants reconnait que, depuis leur arrivée, ils ne cessent de découvrir cette

culture de l’autre et de partager du nouveau avec la population locale, nous relevons ici et là

des aveux directs ou indirects de la difficulté d’adaptation et de mise en contact.

Selon nos répondants, les disparités apparaissent principalement au niveau de la culture et de la religion. En effet, si la situation antérieure, lorsqu’ils étaient touristes, était marquée par la

découverte de la richesse de la différence culturelle, une fois installés, la vie quotidienne fait remonter à la surface les écarts repérés par ces personnes après leur installation. Le changement intervient lorsque l’étranger bascule du statut de touriste vers celui de résident porteur de projet.

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En effet, à l’occasion d’un voyage, surtout touristique, le cerveau a un fonctionnement très

sélectif et se contente de repérer essentiellement ce qui est beau à voir et à entendre. Et si pour

les Français, l’un des facteurs justificatifs avancé est la langue française, les entretiens montrent

qu’en fait cette accessibilité linguistique ne se vérifie plus, une fois qu’on aborde l’état de leurs

relations avec les populations locales.

En fait, on a du mal à saisir la vraie raison du constat que font nos répondants à propos des

difficultés à communiquer en langue française avec les riverains. S’agit-il d’une simple

justification avancée pour expliquer le choix de leur isolement ? Ou bien une réelle mauvaise

surprise car lors de leurs premières fréquentations de la région, ils n’étaient en fait en contact qu’avec des professionnels du tourisme qui pratiquent, bien évidemment, la langue étrangère et

qui ne représentent qu’une partie de la population avec qui ils doivent maintenant vivre et qui

ne maitrise pas tellement la langue de Molière. À côté de la langue qui apparait dans les discours

comme un élément de différence, la religion en est aussi un. C’est surtout la différence de

religion qui crée des barrières au niveau de la communication et de l’approfondissement des relations. L’extrait d’entretien suivant illustre cela :

« Y’a toujours un peu de communication, c'est à dire, ça c'est plus superficiel parce qu'on ne peut pas rentrer dans, moi je ne parle pas la langue, c'est un peu compliqué par exemple avec Halima qui comprend maintenant le français mais qui parle pas du tout un mot de français. Mais comment dire malgré tout la religion, enfin la religion n'est pas la même que la nôtre, on ne peut pas approfondir certaines choses comme quand on est en

Europe, comme moi avec une copine européenne(…) nous on est au bled c'est très

différent, c'est vraiment le bled, ce n'est pas Marrakech c'est deux mondes »94

« Oui, oui, bien sûr, bien sûr qu’il y’en a au niveau religieux, de la culture » 95

Ces barrières peuvent être imaginaires et irréelles puisque beaucoup de répondants insistent sur

la tolérance qu’ils ressentent et qu’ils apprécient.

« C’est toujours, on est content qu’il y’a une différence et de la tolérance c’est surtout ça

le plus important, voilà, comme ici à Agdez, comme quoi moi je ne suis pas voilée, je ne

suis pas pratiquante, je ne crois pas en Dieu mais tout le monde est tolérant, voilà, il y’a

94 Ibid., Note 62, p.134

95Français de 57 ans, propriétaire d’une maison d’hôtes 2ème catégorie à Tamedakht-Ouarzazate depuis 2008.

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tolérance entre les chrétiens et entre pays, ce qui est fort agréable, c’est ça peut être aussi qu’on cherche en venant au Maroc » 96

Le problème de manque de communication revient chez beaucoup de nos répondants qui parfois le lient au différentiel culturel. L'extrait d'entretien suivant avec un français qui a vécu plus de 15 ans dans la région illustre cette argumentation. La qualification du territoire comme "beldi" par cet informateur suggère une réflexion à propos des changements qui s'opèrent chez l'individu entre l'avant et l'après installation. Il est fort probable que la nature "beldi" de la destination qui apparait ici comme péjorative, avait sûrement un sens positif en termes d'attractivité lorsqu'il la visitait comme touriste.

« à Tamdakht il y’a plus personne qui parle français, ici c’est très beldi, on ne peut pas trop communiquer, ici ‘labass, çava, ça va, ça va’ mais tu peux pas aller plus loin, il y’en

a très peu qui parlent français » 97

On aurait pu penser que la nature rurale de la région choisie pour l’installation, est à l’origine des difficultés de contact avec l’autre, contrairement à la ville qui peut être plus cosmopolite et

plus ouverte. Or, même en ville où le problème de la langue pourrait être moins aigu, il semblerait que le contact n’est pas si facile, l’isolement étant volontaire comme l’ont montré

Therrien et Pellegtini (2015) qui écrivent à propos des Français de Marrakech : « Vivre « Parmi les Marocain-es » correspond plutôt à une stratégie de mise à distance dans la proximité. On cherche à être physiquement entourés de « vrais » Marocain-es - la médina étant représentée

comme le lieu par excellence de l’authenticité, - on peut y établir un rapport cordial et respectueux avec le voisinage, mais sans créer des relations de proximité (l’apprentissage de la langue arabe n’est d’ailleurs pas au programme) ». (Therrien, Pellegrini, 2015). Dans les oasis du Draa, étudiées ici, on a aussi relevé parmi nos interlocuteurs de telles stratégies « de mise à distance dans la proximité » vis-à-vis des populations locales. On met en avant le cadre

purement marocain, la richesse de l’authenticité des oasis et de l’habitat en terre et sa culture, mais en même temps une distance est bien observée dans les contacts et l’interaction avec les

populations. Et comme en ville, l’apprentissage des langues arabe ou amazigh n’est pas

programmé.

Un autre argument de justification de l’isolement parfois avancé renvoie aux différences culturelles, et à l’absence d’intérêts communs. Ce discours peut parfois être fortement marqué

96 Ibid., Note 28, p. 121

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par un sentiment de supériorité, dû à l’impossibilité de communiquer avec une « culture traditionnelle » et à « l’absence de centres d’intérêts communs ».

« Forcément oui, oui, oui, c’est très difficile d’avoir des contacts avec les gens. Enfin si,

on va parler, et tout ça, mais ça s’arrête là. Ça fait 10 ans que je suis là, il y’a Roselyne, mais les femmes je les connais pas. C’est très, très, difficile, je vais être reçue dans une famille, je vais voir mais je n’ai pas d’amies femmes ici marocaines, que des Européennes, alors qu’en France j’ai des amies marocaines parce que, je ne sais pas, ici

c’est, la culture est différente aussi qu’à Casa ou à…, mon amie elle est de Safi, donc c’est différent, ici c’est vraiment la culture traditionnelle, c’est pas une critique, je dis bien, il faut pas le prendre mal, c’est vrai que je sors pas beaucoup aussi» 98

« …la population locale d’Agdez, ça dépend des gens, comme vous, moi, j’ai un tas d’amis marocains avec qui on discute on parle de tout, enfin même des sujets de préoccupation, ici les gens sont comme ça, ils sont gentils on a de bonnes relations mais

on n’a pas les mêmes centres d’intérêt. Tu lui parle de la dernière exposition de Soulage

à Beaubourg ou à Paris et bien ; ce n’est pas une critique c’est l’état de fait, c’est comme

ça. Donc je me sens quand même différent» 99

Néanmoins, on peut être étonné que des problèmes liés à la question des différences culturelles

ou à l’interculturalité soient évoqués par ces répondants. N’ont-ils pas choisi volontairement et

sans contrainte de s’installer comme des étrangers dans un milieu différent ? Cet acte volontaire ne supposait-il pas une connaissance préalable des spécificités culturelles et linguistiques de la région et de ses habitants ?

Il reste qu’une grande majorité de ces résidents étrangers tout en reconnaissant et en percevant

des différences ou indifférences culturelles, reconnaissent la richesse des échanges tout en

restant ouverts sur l’autre et sa culture, malgré la différence culturelle et le problème de la langue.

« Forcément qu’on est différent. Voilà, on vient ici avec une certaine culture. Maintenant

c’est pas du tout incompatible ou on va dire un peu, on s’entend bien, les deux cultures peuvent très bien s’entendre,y’a des différences forcément mais qui sont pas gênantes ou

quoi, après je ne sais pas. Déjà moi j’ai le problème de la langue, enfin moi je ne parle pas très bien arabe donc il y’a cette difficulté là mais bon. Après c’est ma faute aussi, il

faudra que je fasse des cours» 100

98 Ibid., Note 35, p. 124

99 Ibid., Note 18, p. 75

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Et s’il y a des difficultés à s’imprégner de la culture du pays où on se trouve, il semblerait que les plus jeunes parmi nos informateurs ont une capacité pour s’adapter à chaque fois à la culture

de leur espace de vie actuel. On est Français quand on est en France et Marocain quand on est au Maroc.

« La différence culturelle ? Forcément oui parce que, c’est plus facile d’accès ici, je dirai. Les gens sont plus ouverts que ça peut être en France ; Ici c’est plus la collectivité qui

prime qu’en France où c’est l’individualisme qui prime. Bon voilà la sensation clan dans

le village, etc. (…) Je suis comme eux ou quoi, ce n’est pas européenne. En fait ça

m’agace quand on dit ah c’est la touriste voilà ! En berbère quand ils commencent à parler ‘Elroumia’, ça reste comme ça mais bon, après en connaissant les coutumes du

village au fur et à mesure. Je suis proche de la culture de la France aussi quand je suis en France. Je vais à la culture française ; quand je suis ici je vais à la culture d’ici. Il y’a pas un plus que l’autre il faut savoir où on est, il faut venir et accepter la culture et pas

venir en obligeant sa culture »101

Ainsi et malgré les différentes perceptions des différences culturelles, l’ensemble des

répondants décrivent cette différence culturelle comme « enrichissante ». Il s’agit d’une « leçon de vie » pour laquelle ils éprouvent un respect. En fait notre objectif ici, n'est pas de démontrer l'existence de deux cultures différentes et qui se font face à face dans le même espace, ce qui est l'évidence même, mais d'essayer de saisir la perception de la culture hôte par le nouveau résident et ce, à travers sa propre culture selon un effet miroir très connu.

En outre, des répondants se positionnent dans une position défensive en critiquant la culture de

l’autre perçue comme « culture traditionnelle ». Ainsi, vivre dans un milieu étranger nécessite parfois de se replier sur sa propre culture comme « zone de confort », et « l’acculturation »102

aussi passionnante soit-elle, devient parfois pesante, lorsqu’il s’agit de quitter sa « zone de confort ».Cependant, certains de nos sujets évoluent de façon confortable dans un dualisme culturel volontaire, dans une cohabitation des deux cultures, celle du pays d'accueil et celle qu'ils ont importé avec eux.

« De toute manière on est tous différents et à la fois on est tous des humains, les deux, donc non, je ne suis pas différente, je suis une femme comme plein de femmes mais avec un parcours différent puisque je suis européenne et que ma vie, bon elle a été ce qu’elle était, elle m’a amené ici, différente non. » 103

101 Ibid., Note 27, p.120

102L’acculturation selon DE GOSTER (1982) est définie comme « l’interpénétration culturelle de deux sociétés

nettement distinctes suite à leur rencontre ».

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Cet extrait essaie de relativiser et de nuancer la définition de la différence en se référant à une définition humaine et en niant cette qualification de « différent culturellement ». En même temps celui qui suit montre qu'on peut avouer ne pas être différent et s'enfermer, malgré cela,

au sein d’une communauté, qui partage le même registre culturel, sans s'ouvrir sur la culture de la société d’accueil.

« Différente par rapport en France ? Non ! Je ne me sens pas différente ; non ça ne me dérange pas, mais il faut dire quand même que je ne vis pas vraiment la culture marocaine en fait, je vis ici, je travaille beaucoup avec les touristes, les gens que je côtoie le plus ce sont des touristes, donc voilà» 104

La question de la perception des différences culturelles nous amène directement aux efforts

déployés pour s’intégrer dans cette société hôte.