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B. De la vulgarisation d’une « science sociale » ?

I) Les traits communs de notre corpus avec la vulgarisation des sciences économiques

sciences économiques.

a) Le désir de scientificité des auteurs sur la « nouvelle économie »

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L’Eurobaromètre 55,2 de 1991 indique que les Français sont plus nombreux à juger l’astrologie « plutôt scientifique » (48, 6%) que l’économie (30, 9%).

749

p. 7-9 in LANDIER Hubert, L’initiation économique des adultes, Paris : Tema, 1975, p. 237, Tema Formation.

750

p. 26 in L’information économique et l’opinion publique, Paris : Ed. Etape, 1961, 63 p., Document “Jeune Patron”.

751

LE GRIGNOU Brigitte, « Dossier avant-propos », Quaderni, Hiver 1991-1992, n°16, p. 55-61

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Des études récentes montrent ainsi que dans les revues de vulgarisation des sciences, on trouve un nombre très important d’articles qui traitent des sciences humaines ou politiques Voir Germana Fernandes Barata sur la répartition dans les périodiques scientifiques brésiliens des articles consacrés à la politique ou à l’économique et la grande importance des sciences sociales et de la politique BARATA Germana Fernandes, CUNHA Rodrigo Bastos, VOGT Carlos (State University of Campina), « Diagnosis of the science news of a Brazilian electronic magazine on public understanding of science » présentation donnée à la conférence Public Communication of Science and Technology (PCST-8) à Barcelone, 3-6 juin 2004

Les auteurs de notre corpus, économistes ou journalistes, attirent l’attention sur le caractère scientifique de la discipline dont ils traitent. Ce n’est pas le cas dans la littérature de vulgarisation des sciences « exactes » qui n’a pas de doutes sur la scientificité de ce dont elle parle. Cette caractéristique des articles traitant de la « nouvelle économie » est-elle vraiment neuve ou est-elle commune à tous les écrits vulgarisant les rudiments et les conclusions de la science économique ?

(1) Un besoin pour les économistes

L’affirmation du caractère scientifique de la discipline est un passage obligé de la vulgarisation des sciences économiques puisque que la discipline aspire au statut de science. Le rêve d’une « méthode scientifique » y est, en effet, historiquement récurrent ; son projet épistémologique a été conçu sur le modèle des sciences physiques et les mathématiques sont jugées indispensables à la formulation de « lois économiques naturelles ».

Le désir de scientificité reste fort parce que le caractère scientifique de la discipline est toujours contesté par ceux qui dénoncent son incapacité à expérimenter753, ses difficultés à établir des lois et à les vérifier, l’absence de paradigme unifiant, etc.754. « L’économiste est

[…] sans doute d’autant plus à la recherche des signes extérieurs de scientificité qu’il est dépendant socialement »755. La science économique a en effet obtenu tardivement une autonomie partielle756 et cela uniquement en s’appuyant sur sa scientificité. « L’émancipation

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D’autres « sciences » sont affligées du même mal, mais n’en souffrent pas. C’est le cas de la géophysique, l’astronomie. Il est difficile d’expérimenter sur les nappes géologiques et les mouvements des astres. Ces sciences progressent, en effet, par déductions successives. Elles étudient les conséquences logiques de ce qui devrait arriver en supposant données certaines configurations de l’état du monde (conditions initiales) et certaines lois d’évolutions. Si ce qui a été prévu advient, les hypothèses de départ sont conservées jusqu’à ce qu’un nouveau test ne vienne les infirmer.

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Difficultés que de nombreux chercheurs, comme Durkheim ont jugées en leur temps insurmontables puisque les objets de la discipline ne sont que des « idolas » ; la science économique ne peut être une science qui s’occupe des réalités : elle n’est qu’un discours idéologique créé de manière artificielle par les scientifiques. L’économie est une morale qui veut déterminer, non ce qui est, mais ce qui doit être : « Les lois proprement dites y sont peu nombreuses ; même celles qu’on a l’habitude d’appeler ainsi ne méritent généralement pas cette qualification et ne sont que des maximes d’action, des préceptes pratiques déguisés. […] les vraies lois de la nature […] expriment les rapports suivant lesquels les faits s’enchaînent réellement, non la manière dont il est bon qu’ils enchaînent » chap. 2 p. 15 et p. 24 in DURKHEIM Emile, Les règles de la méthode sociologique, (13e éd.), Paris : PUF, 1956, 149 p., Bibliothèque de philosophie contemporaine.

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p. 4 in LEBARON Frédéric, « La dénégation du pouvoir. Le champ des économistes français au milieu des années 1990 », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, septembre 1997, n°119, p. 3-26.

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La première chaire d’enseignement de l’économie politique a été créée en 1820 au Conservatoire des Arts et Métiers (et confiée à JB Say). L’économie n’est devenue une discipline auxiliaire enseignée en faculté de droit qu’après le décret du 26 mars 1877. Mais il a fallu attendre 1957 pour que les facultés de droit deviennent « de

du domaine économique demandait qu’il soit considéré comme l’arène dans laquelle des lois naturelles étaient à l’œuvre, de sorte que l’intervention humaine n’y pouvait être que nuisible […] Cela était indispensable pour protéger le domaine contre l’intervention du politicien et du moraliste »757. Comme cette autonomie reste encore aujourd’hui relative, ainsi que le révèlent les fluctuations dans les procédures de recrutement universitaire et administratif en fonction des changements politiques758, le désir de scientificité des économistes reste inchangé. Par ailleurs, « brandi à la face des profanes et des mécréants, le signe doit

impressionner au dehors autant qu’il a vocation à rassurer au-dedans »759. L’attachement à marquer le caractère scientifique de l’économie tient au fait que les économistes doivent assurer leur statut à l’intérieur même de leur discipline. La « scientificité » de leur sujet détermine, en effet, les places respectives attribuées à chacun. L’économétrie, par exemple, est plus cotée de nos jours que l’histoire de la pensée économique760, à la Bourse des valeurs de cette science.

L’insistance des économistes à vouloir exposer la scientificité de leur discipline, son fondement solide et sûr, est donc bien compréhensible. Cette incantation est centrale lors de la vulgarisation. Elle tient lieu de validation des résultats exposés et permet de les présenter comme indépendants des hypothèses qui les fondent, comme dégagés de toute connotation sociale ou politique. Cela assure aux économistes qui vulgarisent un statut d’expert aux yeux des profanes. L’usage d’équations avec constantes et variables permet en cas de besoin d’expliquer a posteriori les ratés de ses prédictions761.

(2) Les journalistes à la recherche de l’honorabilité

droit et de sciences économiques », 1959 pour que la licence de sciences économiques soit créée (Voir sur cette question CLERC Denis, « Apprendre l’économie », L’économie politique, 1er trimestre 2001, N°9, p. 55, Sciences économiques : un enseignement en crise, Paris : scop-Alternatives économiques.

ou LE VAN LEMESLE Lucette, « L’économie politique à la conquête d’une légitimité 1896-1937 », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1983, n°47/48, p. 113-117).

757

p. 201 in DUMONT Louis, Homo Aequalis 1 : Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris : Gallimard, 1976, 270 p., Bibliothèque des sciences humaines

758

Par exemple, lors de la nomination du directeur du jury d’Agrégation de science économique en 2004….

759

p. 32 in LORDON Frédéric, « Le désir de “faire science” », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, septembre 1997, n°119, p. 27-35.

760

p. 13 in LEBARON Frédéric, « La dénégation du pouvoir. Le champ des économistes français au milieu des années 1990 », op. cit. p. 162.

761

Evans montre comment les prédictions des économistes anglais quant à l’adoption de l’Euro sont toujours justes dès lors que l’on accuse facilement les conditions initiales ou l’imprécision des variables et non le fond de la théorie qui est à l’origine du modèle (voir EVANS Robert, « Economic Forecasts : What seperates the pundits from the public ? » Texte de l’intervention pour the Demarcation Socialised Conference, August 2000).

Les journalistes, eux aussi, mettent volontiers l’accent sur le caractère « scientifique » des résultats qu’ils présentent.

La mauvaise réputation du journalisme économique est aussi établie chez les lecteurs que chez les journalistes eux-mêmes762 du fait des nombreux scandales qu’a connus la presse financière du 19ème763. Le journalisme économique, tel que nous le connaissons aujourd’hui, revendique, en réaction, un engagement moral, politique764, une déontologie professionnelle. Ses auteurs affirment que l’information qu’ils donnent est scientifique et donc insoupçonnable. Ils s’offrent ainsi un crédit de premier ordre. Se réclamer de la Science est plus valorisant et moins risqué que de parler d’un sujet moins spécialisé. Ce traitement de l’économie satisfait par ailleurs un désir de scientificité identique chez le lecteur, aussi attiré par le sensationnel ou l’émotion qu’il est fatigué de l’incertitude. C’est donc une tradition largement établie que de surligner dans la littérature économique grand public le caractère scientifique de la discipline.

(3) Les questions sur le caractère scientifique de l’économie

Les auteurs d’ouvrages économiques font rarement l’impasse sur la question du statut épistémologique de leur discipline (est-ce une science humaine, au même titre que la

sociologie, l’histoire ou une science « physico-mathématique » énonçant des lois

universelles ?765). La réponse est le plus souvent catégorique766 : les sciences économiques ne sont pas différentes des sciences de la matière, elles sont simplement en retard et « en passe

de fournir une moisson dont l’importance pour l’homme dépassera bientôt celle des sciences physiques. [En] matière économique et sociale, l’humanité se trouve encore à une époque

762

Le journalisme politique est en haut du champ des journalistes alors que les journalistes économiques sont mal considérés dans la profession. Voir RIUTORD Philippe, « Le journalisme au service de l’économie », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, mars 2000, n°131 – 132, p. 41 - 55.

763

Relevés par Balzac, Dumas, etc.

764

LORDON Frédéric, « Le désir de “faire science” », op. cit. p. 162.

765

Voir par exemple : BREMOND Janine, Mieux comprendre l’économie, Paris : Liris, 1991, 247 p.

ou CLERC Denis, Déchiffrer l’économie, 14e édition, Paris : Éd. La Découverte & Syros, 2001, 433 p., Collection Alternatives économiques.

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Les mises en cause de l’intérieur sont rares : « Toute mise en cause en cette matière hautement sensible est inévitablement exposée à des réactions explosives où se mêlent à la fois la haine du briseur de rêve épistémologique, les représailles contre l’offense faite à des engagements identitaires, mais aussi la sanction d’une traîtrise qui révèle les insuffisances intimes et par la même sape les conditions de l’efficacité sociale d’un discours économiste se donnant pour parole savante dans le débat public » p. 31 in LORDON Frédéric, « Le désir de “faire science” », op. cit. p. 162.

On note cependant quelques exceptions remarquables comme Edmond Malinvaud qui publie en 1996 un article intitulé : Pourquoi les économistes ne font-ils pas de découvertes, Revue d’économie politique, 1996, vol. 106, n°6.

comparable à celle de Galilée pour la physique et de Lavoisier pour la chimie […] Le retard des sciences économiques et sociales sur les sciences de la matière est l’une des causes des malheurs actuels de l’humanité »767.

Notre corpus s’interroge fréquemment sur la façon dont s’élabore la connaissance économique. S’il se rapproche ainsi des manuels économiques, il se distingue par là de la presse économique qui n’a guère l’habitude de se poser la question. Lorsqu’ils doivent y répondre, les auteurs des articles sur la « nouvelle économie » sont beaucoup moins affirmatifs que ceux des ouvrages économiques et cela même s’ils exhibent le savoir économique comme l’égal de celui que produit la science physique. En témoignent les articles sur l’enseignement des sciences économiques et la mathématisation excessive de la discipline.

b) Un ton professoral

Le discours autour de la « nouvelle économie », nous l’avons vu, se rapproche du discours des manuels scolaires ou universitaires dans la manière qu’il a de présenter une leçon. Ce trait est commun à toute la vulgarisation économique.

Une grande partie de cette vulgarisation est écrite sous forme de manuels. Le plus souvent rédigés par des enseignants, ces ouvrages, destinés à des étudiants, sont structurés comme des cours. Et quand les auteurs ne sont pas universitaires, ils s’adjugent grâce à cette forme littéraire une plus grande légitimité, un plus grand crédit.

Par ailleurs, quand la vulgarisation utilise un support médiatique, les auteurs d’articles développent plus volontiers les applications que la théorie. En outre ils évoquent les erreurs de prédiction plutôt que les performances explicatives des modèles. Cette présentation peu flatteuse de la discipline les conduit à insister sur l’aspect définitif et construit des connaissances.

c) L’intervention de l’industriel

L’entrepreneur, le chef d’entreprise apparaissent constamment dans la vulgarisation économique en général comme dans notre corpus. Paradoxalement toutefois, la place qu’ils occupent dans le processus de l’information économique est assez peu étudiée. « La réflexion

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sur le journalisme consacrée à l’entreprise demeure le parent pauvre de la recherche sociologique sur les médias ; il existe peu d’enquêtes sur les relations qu’entretiennent les entreprises et les milieux d’affaires avec les journalistes, et sur la nature des rapports entre les rédacteurs et leurs sources dans la pratique quotidienne »768. Cependant quelques constantes reviennent quand on étude les rapports entre entrepreneurs et médiateurs. On les retrouve dans notre corpus : les entrepreneurs ont la même conception de ce que doit être l’information économique et ont toujours les mêmes comptes à régler avec les journalistes. Les chefs d’entreprise se disent traditionnellement mécontents de l’information fournie à leurs compatriotes, se considérant comme aussi compétents et mieux armés que les universitaires ou les journalistes pour définir et diffuser des informations en ce domaine. J-M. Messier exprime, dans notre corpus, sa conviction d’être, en tant qu’entrepreneur, plus qualifié pour parler d’économie au grand public que les « économistes » trop théoriques : « J'avais envie de

le dire ! Et d'une façon vécue, pas théorique »769. Il s’estime aussi plus objectif que les hommes politiques, trop avides de plaire : « En tant que chef d'entreprise, je dois des comptes,

je dois être à l'écoute de l'opinion, cela fait partie de mes fonctions […] Mais je n'ai pas, à la différence d'un homme politique, à rechercher à tout prix le soutien de l'opinion. Je ne suis pas en campagne électorale ! »769.

Le mode de traitement de l’information économique par les journalistes, leurs analyses sont également contestées par les industriels dans notre corpus comme elles le sont habituellement dans la littérature économique. Dans celle-ci les entrepreneurs déplorent en effet souvent la « médiatisation » de l’information. La presse donnerait la préférence au scandale, au sensationnel plutôt qu’au suivi méthodique et laborieux des dossiers. Les chefs d’entreprise, comme Francis Bouygues, François Pinault, mais aussi Bernard Tapie, Vincent Bolloré et Michel-Edouard Leclerc sont « starisés » au détriment d’explications de fond sur les mécanismes de l’entreprise : « En privilégiant l’homme et son image, nombre de journalistes

ont fait l’économie d’un travail de compréhension et de pédagogie pour expliquer au public que l’entreprise n’est pas le fait d’un seul homme, si talentueux soit-il, mais d’une organisation vivante, faite de compétences multiples. La conséquence d’une telle personnalisation a été une fragilisation de l’entreprise »770. Ces critiques sur l’excessive

médiatisation de patrons de start-up sont fréquentes dans notre corpus : « les

768

DE KERORGUEN Yan, « Entre cynisme et civisme », Les médias et l’entreprise, / éd. par Kessler Philippe, Paitra Jacques, De Kerorguen Yan, Paris : CFPJ, 1996, 206 p., collection Médias et société.

769

DELANGLADE Sabine, « Internet, avenir de la musique », L’Express, 14 septembre 2000, p. 166, L’Express Économie, Actualité, Interview.

770

KESSLER Philippe, « Les raisons de la méfiance » Les médias et l’entreprise, / éd. par Kessler Philippe, Paitra Jacques, De Kerorguen Yan, op. cit. p. 165.

“entrepreneuses” se sont lancées, il y a à peine un an. Très médiatisées, elles passent à la télévision, à la radio, dans les journaux. L'impression (sic) laisse supposer qu'elles sont des milliers. Ce sont toujours les mêmes noms qui circulent […] Autant de figures en trompe- l'oeil masquant une forêt d'hommes »771.

Les entrepreneurs persévèrent également, dans notre corpus, dans leurs habituelles récriminations sur l’incompétence de journalistes qui seraient dans l’ignorance des obligations, des devoirs et des soucis quotidiens des dirigeants d’entreprises et feraient souvent une analyse « préhistorique »772 de la réalité économique. Ils considèrent qu’il revient au chef d’entreprise (et à ses services de communication) de faire comprendre les enjeux de l’entreprise et de son fonctionnement. Ils veulent « donner au “lecteur consommateur

citoyen” des repères pour comprendre le monde qui l’entoure »770. Dans les articles sur la « nouvelle économie », cette mission reste présente : « Je crois que les chefs d'entreprise

doivent se faire entendre plus qu'ils ne le font. Regardez toutes ces peurs, ces inquiétudes qui montent chez les consommateurs et les salariés face aux nouvelles technologies, à la “nouvelle économie” […]: De façon générale, je crois que les patrons ont aujourd'hui le devoir de s'exprimer »769. Mais l’accent est mis davantage sur la nécessité de rectifier les

erreurs d’appréciation du public, de « corriger » sa perception fausse des mécanismes économiques.

Comme il est habituel, les industriels dans notre corpus considèrent que l’information économique ne doit pas perturber les rapports de travail, les choix des agents économiques ou la perception qu’ils ont de leur environnement. Elle ne doit pas influer sur leur moral, leur confiance et sur leur niveau de consommation. La presse économique a malheureusement trop tendance à décrire « plus volontiers les villages abandonnés, la fuite des commerçants, que les

localités qui revivent les régions qui se développent. Nostalgie, aveuglement ou nécessité du drame pour créer l’évènement ? Et pourtant, la plupart des Français ont besoin de dévoilement, d’éclairage de l’avenir, de précisions sur les réalités du présent »773 regrette Jacques Paitra. Un article du Figaro, dans notre corpus, donne un bon exemple de cette rhétorique : la présidente d’une entreprise de « télé service » déplore l’ « acharnement

médiatique » des journalistes qui fustigent les conditions faites aux travailleurs de son

entreprise. Selon elle, ces journalistes sont poussés par la pusillanimité et une méconnaissance

771

DAUMAS Cécile, « Les cybermecs ne font pas dans la dentelle », Libération, 6 mars 2000, p. 2-3, Événement.

772

LEMOINE Philippe, « Qu'est réellement la nouvelle économie ? », Le Monde, 4 juillet 2000, p. 7, Le Monde Économie, Les enjeux-les initiatives, Tribunes.

773

p. 72 in PAITRA Jacques, « L’alliance pour le changement », Les médias et l’entreprise, / éd. par Kessler Philippe, Paitra Jacques, De Kerorguen Yan, op. cit. p. 165.

regrettable du métier de chef d’entreprise : « Qui parle des risques des chefs d'entreprise, des

innombrables difficultés des entreprises de main-d'oeuvre, méprisées et montrées du doigt, qu'il s'agisse de l'intérim du BTP ou du télémarketing, qualifiés de“marchands d'hommes” ? »774 regrette-t-elle. Ils travestissent, selon elle, une réalité « incontournable »774 et ce faisant disqualifient ce qui sera sans doute l’« usine de demain »774, dévalorisant injustement des hommes et leurs métiers : « Les salariés, dévalorisés, finissent par être

convaincus par les médias qu'ils exercent un “non-métier” […] Ces entreprises sont des entreprises d'insertion et d'intégration sociale, il est plus que temps d'y penser avant de tirer dessus à boulet rouge ! »774.

Les entrepreneurs voient habituellement dans l’information économique un danger potentiel pour l’entreprise. Ils estiment nécessaire de la garder sous contrôle pour préserver certains secrets, se garder de rumeurs infondées, etc. « Un seul article, une seule information, juste ou

erronée, peut troubler le développement d’une raison sociale solidement établie… D’où l’extrême sensibilité manifestée par les dirigeants à l’égard des journalistes souvent abusés par leurs sources ou plus simplement ignorants de la réalité concrète de l’entreprise »770. Le conflit avec les journalistes semble inévitable lorsque le « devoir social d’informer » se heurte à l’obligation économique de limiter la transparence. Les journalistes affectent de déplorer la « langue de bois » des chefs d’entreprise et sont enclins à assimiler toutes leurs paroles à une stratégie de communication. Par exemple, quand ils analysent les ouvrages de Jean-Marie Messier ou de Jean Jacques Arnault. Les entrepreneurs fidèles à leurs habitudes se plaignent, dans notre corpus, de ne pouvoir museler les médias, attachés à la liberté de la presse et résolus à la défendre : J.-M. Messier et A. Minc jugent en choeur « dans la société

transparente où nous vivons, tenter de manipuler des journalistes serait suicidaire […] Aujourd'hui, un journaliste qui n'est pas libre n'a à s'en prendre qu'à lui-même : c'est dans sa tête ! S'il n'est pas indépendant, c'est parce qu'il ne veut pas prendre les