• Aucun résultat trouvé

A. De la « vulgarisation scientifique »?

I) Le discours sur la « nouvelle économie » : un discours vulgarisateur ?

vulgarisateur ?

a) Le discours des auteurs sur leur pratique

Il n’est jamais explicitement question de « vulgarisation » ou de « popularisation » dans nos articles597, seules quelques expressions laissent poindre une volonté didactique : il faut

595

ROQUEPLO Philippe, Le partage du savoir : science, culture, vulgarisation, Paris : Seuil, 1974, 255 p. Collection science ouverte.

ou JURDANT Baudouin, Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, 271 p., Th. 3ème cycle : Psychologie : Strasbourg : 1973.

596

MALDIDIER Pascale, Les Revues de vulgarisation : contribution à une sociologie des cultures moyennes, Paris : Centre de sociologie européenne [et] Maison des sciences de l'homme, 1973, 168 p. .

ou BOLTANSKI Luc, MALDIDIER Pascale, La Vulgarisation scientifique et son public : une enquête sur "Science et vie", Paris : Centre de sociologie de l'éducation et de la culture, Maison des sciences de l'homme, 1977 176 p. .

597

Le verbe populariser ne revient qu’une seule fois et pour décrire la familiarité du grand public avec des termes, grâce au livre de Bill Gates (DE FILIPPIS Vittorio, LAMPRIERE Luc, MAURIAC Laurent, « Sept vertus capitales : les réseaux électroniques génèrent des règles neuves », Libération, 7 juin 1999).

« éclairer » un terme encore controversé, sortir des idées reçues598

, des « vieilles antiennes »599, participer à la « formidable leçon de choses de l’économie moderne »600, etc. Les auteurs ne prétendent pas prendre de la distance avec l’évènement. Il est plus question d’informer que de former : plutôt que d’apprendre il s’agit « d’apprendre que » pour reprendre une formule d’Olivier Reboul601. L’absence d’ambition pédagogique est clairement affichée quand un auteur admet comme une évidence que ses lecteurs ne comprennent rien à la « nouvelle économie » ou à l’économie en général : « Vous n'y comprenez rien, c'est normal » s’exclame Libération602.

Les auteurs des articles se contentent en fait de souligner les vertus pédagogiques de certains ouvrages consacrés à la « nouvelle économie » dont ils recommandent la lecture. Ainsi Le

Figaro conseille un livre qui n’est pas « réservé aux initiés »603, Libération insiste sur l’intérêt qu’y trouveront les lecteurs (« A lire, pour comprendre comment la nouvelle économie devient

la “nouvelle supercherie économique” »604). Le Monde vante les efforts effectués pour rendre la lecture compréhensible (« Au fil des chapitres, le lecteur est plongé dans un véritable cours

d'économie. Macro, micro... […] la méthode pédagogique est remarquable. Le langage utilisé est celui de tous les jours ; tout terme technique est prohibé à moins qu'il n'ait été clairement expliqué auparavant »605). La fonction didactique est donc à première vue réservée aux auteurs d’ouvrages. Les auteurs de notre corpus, eux, ne prétendent jamais faire œuvre pédagogique : écrire des articles sur la « nouvelle économie » est une pratique qui semble se suffire à elle-même sans autre justification que sa propre production. D’une part la « nouvelle économie » fascine : « l’'expression est comme un coup de tonnerre »606. D’autre part ses retombées sont importantes pour tous : « ce débat dépasse très largement le champ de

l'économiste. Il n'est même que très accessoirement un débat économique. L'enjeu est celui du devenir de notre civilisation »607.

598

JAY Olivier, « Le prix d'un talent : contrairement aux idées reçues, les sommes perçues par Philippe Jaffré auraient fait scandale aux États-Unis », La Croix, 14 octobre 1999, p. 26.

599

BLANCHARD Olivier, « Miracle américain et nuages boursiers », Libération, 6 avril 1999, p. 6, Rebonds.

600

LECADRE Renaud, « La crise asiatique met les taux au plus bas », Libération, 16 février 1999, p. 19, Économie.

601

p. . 39 in REBOUL Olivier, Qu'est-ce qu'apprendre ?, (3ème éd.), Paris : Presses universitaires de France, 1988, 206 p. ., Collection : L'Éducateur.

602

MAURIAC Laurent, « Quoi de neuf dans la nouvelle économie ? », Libération, 5 janvier 2001.

603

MARTIN Jacques-Olivier, « L'impact de la nouvelle économie », Le Figaro, 18 décembre 2000, p. 8, Livres.

604

Anonyme, « Les webzines contre les start-up », Libération, 19 février 2000, p. 23, Économie.

605

KAHN Annie, « L'économie, c'est formidable ! », Le Monde, 28 novembre 2000, p. 7, Les enjeux - Les initiatives.

606

NATHAN Hervé, « nouvelle économie : le dada des Anglo-Saxons », Libération, 22 novembre 1999.

607

Cette absence d’ambition pédagogique affichée distingue les textes que nous avons étudiés de la vulgarisation moderne, telle que la décrit Marie-Françoise Mortureux. Selon elle, les multiples déclarations d’intention qui émaillent le propos des vulgarisateurs sont une mise en scène énonciative « propre au discours de vulgarisation scientifique (par opposition au

discours didactique) »608. Elles proviennent d’un besoin de justifier socialement par la connaissance apportée au public un discours que ne légitime ni l’institution, ni la vérité. La vulgarisation scientifique reconnaît, en effet, qu’elle sélectionne et « simplifie » les connaissances exposées au détriment de la vérité. La vulgarisation qui porte sur la « nouvelle économie » semble, elle, dédaigner de telles mises en scènes. Ses auteurs semblent donc n’avoir pas besoin d’autres justifications à leur propos que l’intérêt intrinsèque de leur sujet.

Les auteurs de notre corpus, nous le verrons609, s’interrogent beaucoup sur les effets que produisent leurs articles sur le public et critiquent sans cesse leurs rapports à la vérité. Ils regrettent, par exemple, que la littérature sur la « nouvelle économie » fasse croire aux individus que les règles qui permettaient d’évaluer les agents sont périmées : « Au lieu

d’alarmer leurs actionnaires, les changements fréquents de stratégie des sociétés Internet sont jugés imaginatifs, habiles, et même révélateurs d’un génie sans précédent du management »610. Se préoccuper ouvertement de la manière dont les textes sont reçus est étranger à la vulgarisation des sciences exactes dans laquelle, nous dit Daniel Jacobi611, « la

pratique vulgarisatrice ne fait pas, ou très peu, l'objet d'une distanciation de la part des vulgarisateurs eux-mêmes ». Ils ne se soucient pas habituellement dans leurs articles

d’énoncer une pensée réflexive sur les effets de leur pratique. Sur ces deux derniers points donc, les auteurs de notre corpus se distinguent de ceux de la vulgarisation scientifique.

b) Un discours sur la science

Premier trait commun à toute la littérature de vulgarisation scientifique, nous dit Marie-

Françoise Mortureux : « ce sont des discours “seconds”, dont la production, le

608

MORTUREUX Marie-Françoise, La vulgarisation scientifique, parole médiane ou dédoublée, Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, / éd. par Jacobi Daniel, Schiele Bernard, (p. 118-148), op. cit. p. 129.

609

Voir chapitre 3, Un discours flou et surabondant, p. 227.

610

D. P.-Y., « Au royaume de l'improvisation : les firmes changent de stratégie comme de chemise », Le Figaro, 7 février, p. II, High Tech.

611

p. 13 in JACOBI Daniel, SCHIELE Bernard (éds.), Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, op. cit. p. 129.

fonctionnement et la légitimité renvoient à des discours “primaires” (dits parfois ésotériques), qui sont les publications par lesquelles les chercheurs exposent à leurs pairs les résultats de leurs travaux »612.

Notre corpus peut être considéré comme un discours de vulgarisation scientifique puisque les articles retenus font constamment référence à un discours primaire, scientifique, difficile, signalé par l’usage de termes techniques, scientifiques, par le recours aux « experts » et le rappel des « lois ».

(1) Les « marques » de la science

Les « experts » scientifiques sont désignés comme tels par les auteurs, leur avis sont formels, péremptoires, leurs conclusions indiscutables. On les reconnaît aux déterminants qui leur sont accolés : ce sont des « professeurs d’université », des « prix Nobel », des « auteurs d’ouvrages » reconnus, des « experts » de la question. Leurs interventions sont nombreuses : citations, entretiens, extraits d’ouvrages, etc. Leurs titres honorifiques toujours déclinés. La terminologie scientifique apparaît le plus souvent à travers l’usage répété des chiffres613 (pourcentages, ratios). Les lois, qui sont énoncées ou auxquelles on fait référence (loi des rendements décroissants, etc.) sont aussi les points-clefs, réels ou artificiels, de la démonstration. Elles relèvent ou non de la science économique, sont parfois purement techniques : « la deuxième loi fondatrice, dite de Metcalffe, du nom du créateur d'Ethernet,

pionnier d'Internet, stipule que "la valeur d'un réseau varie avec le carré de ses membres"»

ou « la première loi fondatrice, dite de Moore (du nom du président d'Intel), énonce que "la

puissance d'un microprocesseur double tous les dix-huit mois” »614

Les graphiques, très utilisés dans le domaine boursier (plus rares dans les autres sections), apparaissent principalement dans Le Monde et Le Figaro. Ils servent à manifester la

612

p. 118 in MORTUREUX Marie-Françoise, La vulgarisation scientifique, parole médiane ou dédoublée, Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, / éd. par Jacobi Daniel, Schiele Bernard, (p. 118-148), op. cit. p. 129.

613

Que les journaux remettent d’ailleurs en cause périodiquement : « Nous ne disposons pas à ce stade de données statistiques convaincantes quant à la réalité de cette nouvelle économie, aussi est-il plus prudent de commencer par décrire les phénomènes en cause » in COHEN Elie, « La net economy », La Croix, 21 juin 1999, p. 14, Chronique.

614

BETBEZE Jean-Paul, « La Mécanique de l’économie : les logiques fondatrices d'Internet », Le Monde, 17 octobre 2000, p. 6, Les enjeux - Les initiatives.

Signalons que le plus souvent les lois économiques mentionnées dans nos articles ont été édictées par des d’industriels et des chefs d’entreprise et non par des universitaires

scientificité du discours et à rassurer le lecteur sur le sérieux de la publication et des études invoquées.

Le lexique employé dans nos articles présente toutes les caractéristiques du vocabulaire technique spécialisé :

 Les termes anglais615

Ils abondent dans notre corpus comme dans la littérature économique professionnelle. Selon le public visé, l’effort de traduction est plus ou moins important. Une traduction totale est le signe qu’on s’adresse à un néophyte, la présence de vocables anglais, la preuve d’une certaine attente quant au niveau de celui à qui l’on parle. Dans La Croix ou L’Humanité, les termes anglais sont rares alors qu’ils sont omniprésents dans les pages financières ou économiques du cahier spécialisé du Figaro, preuve que le lecteur auquel il s’adresse est supposé déjà maîtriser ce langage technique.

 Les néologismes

« Une des manifestations les plus spectaculaires du fonctionnement et du changement dans un

champ scientifique est le renouvellement terminologique »616. Signes du discours de la science les néologismes abondent dans notre corpus617. Les auteurs marquent ainsi leur suivi attentif, d’une science qui progresse rapidement et qui exige une constante adaptation langagière. L’abandon et le remplacement progressif d’un certain nombre de variantes de l’expression « nouvelle économie » dans notre corpus, durant les deux années étudiées, en témoignent clairement.

 Le vocabulaire spécialisé.

Les auteurs ont recours au vocabulaire sophistiqué des économistes : indices, concepts théoriques, mécanismes, etc. La modification des structures économiques du pays est parfois évoquée618. Les variations spécifiques des indices sont présentées comme définissant la « nouvelle économie ». Dans celle-ci, en effet : « 1) les progrès de productivité liés aux

615

Sur l’usage important des termes anglais voir dans cette thèse chapitre 1, Une culture différente p. 109.

616

p. 38, 39 in JACOBI Daniel, SCHIELE Bernard (éds.), Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, op. cit. p. 129.

617

Voir Chapitre 1, Les groupes nominaux, p. 69.

618

DELATTRE Lucas, « A Florence, un sommet “progressiste” face à la Mondialisation », Le Monde, 22 novembre 1999, p. 2, Analyses.

ou CZARNES Renaud, « La nouvelle économie n'existe pas encore », La Croix, 12 avril 2000, p. 5, Dossier. ou MAUDUIT Laurent, « La société de marché au service de l'équité », Le Monde, 15 septembre 2000, p. 8.

technologies de l'informatique sont importants ; 2) l'inflation est faible et continue de baisser ; 3) les taux d'intérêt sont bas ; 4) les profits augmentent »619. Tous les auteurs ne

s’intéressent pas aux variations des mêmes indices : L’Humanité semble privilégier

l’inflation : « La baisse des prix qui constitue l'unique objet (ou presque) de la "nouvelle

économie" rencontre une autre aporie mais, cette fois, au détriment de notre environnement »620. Libération juge le taux de croissance déterminant : « La nouvelle

économie, c'est tout d'abord des prévisions de croissance, tous continents confondus, comme l'Histoire n'en a encore jamais montré, mais aussi une remise en cause inédite des organismes internationaux censés orchestrer cette croissance »621.

Le lexique employé renvoie aux théories diverses que les économistes élaborent ou aux résultats de calculs et d’hypothèses fondées sur une théorie économique particulière (« rente », « conjoncture », « salaires réels », « taux d’inflation », « croissance », etc.). Ces termes apparaissent souvent au détour d’une phrase « malgré une conjoncture exubérante et

un taux de chômage très bas, aucun signe inflationniste alarmant n'apparaît aux États- Unis »619.

Un discours de vulgarisation scientifique use ordinairement de la terminologie scientifique, non pour établir la scientificité, déjà évidente du discours primaire qu’il entend vulgariser, mais pour confirmer au lecteur sa proximité, sa ressemblance avec lui. Dans les articles de notre corpus, les auteurs affichent non seulement la scientificité de leur discours référent, mais aussi celle de leur propre démarche. L’arsenal des termes techniques est mobilisé à cette double fin. Ainsi dans un article de Libération en septembre 2000 sur le calcul du pouvoir d’achat, Nathalie Raulin622

donne son point de vue sur la controverse qui oppose Jacques Chirac et Lionel Jospin, et s’appuie sur un vocabulaire très spécialisé. « Selon une étude du

ministère de l'Emploi, le salaire mensuel de base (hors primes et autres avantages) n'a augmenté que de 0,4 % au deuxième trimestre 2000, soit une hausse de 1,6 % en rythme annuel. Quand Jacques Chirac s'exprime, l'inflation en glissement (de date à date) frise les 1,6 %, du fait de la flambée des prix du pétrole. […] Pour relativiser ce propos, il suffit toutefois de prendre un peu de recul. Selon l'Insee, le pouvoir d'achat du salaire mensuel a progressé de 1,2 % en 1998, puis de 1,3 % en 1999. Il marquerait certes le pas en 2000, les prévisionnistes du ministère de l'Economie tablant sur une hausse de 0,6 % seulement. Sur

619

DE FILIPPIS Vittorio, LAMPRIERE Luc, MAURIAC Laurent, « L'Amérique imagine l'expansion permanente », Libération, 7 juin 1999, p. 26, Économie.

620

ENGELHARD Philippe, « Et si l'on parvenait à un pacte d'humanité », L’Humanité, 3 décembre 1999, p. 26.

621

DUPUY Gérard, « Sauver le thermomètre », Libération, 17 avril 2000, p. 3, Événement.

622

trois ans, Jospin peut sans rougir soutenir que la progression du pouvoir d'achat individuel est en moyenne de 1 % », etc. L’abondant emploi de termes techniques (et de chiffres) permet

à cet auteur de suggérer la scientificité du cheminement intellectuel qui l’a poussée à prendre parti. Elle convainc ainsi de la rigueur de sa démarche, de la justesse de son propos (d’autant plus facilement que l’on n’a aucune connaissance économique).

A défaut de rendre compte véritablement de la science, toutes ces « marques » de la science donnent au lecteur peu averti l’illusion de le faire. Ces points d'articulation fonctionnent comme des marques de vraisemblance et sont des garanties de la fidélité du reflet (discours de vulgarisation) à la réalité (discours de la science)623.

(2) Le spectacle de la « science économique »

Les multiples références aux discours primaires qui jalonnent les articles des revues de vulgarisation scientifique doivent coller de près à l’actualité et trouver leur place dans le discours médiatique. La vulgarisation scientifique véhiculée par la presse vise autant à se donner comme évènement qu’à rendre compte des résultats de la recherche. Ainsi, « elle

raconte la vie (scientifique) des chercheurs autant qu’elle expose les résultats de leurs travaux ; et cet aspect “spectaculaire” la distingue du discours didactique qui ne poursuit pas le même but et n’assume pas cette fonction d’information »624. Tous les auteurs de notre corpus, journalistes ou autres, se plaisent dans cette optique de médiatisation à mettre en scène les agents et les institutions de l’économie, à faire entrevoir leurs mobiles et leurs règles de fonctionnement.

A la lecture des articles sur la « nouvelle économie », des visions contradictoires de la place de l’économiste dans la société se dégagent : ceux dont on nous parle, ont un rôle de

« commentateurs et [de] conseils » et sont « devenus des acteurs à part entière du débat public »625. Mais il leur appartient aussi d’être neutres626, curieux de façon désintéressée et leur

623

JURDANT Baudouin, « La science et son mythe », Éducation permanente, 1970, n°6, p. 65-76.

624

p. 142-145 in MORTUREUX Marie-Françoise, La vulgarisation scientifique, parole médiane ou dédoublée, Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, / éd. par Jacobi Daniel, Schiele Bernard, (p. 118-148), op. cit. p. 129.

625

CERCLE DES ÉCONOMISTES, « Une nouvelle science économique... pour une “nouvelle économie” ? », Le Monde, 6 juin 2000, p. 2, Le Monde Économie, Les enjeux – Les initiatives, Dossier : les jeunes économistes à l’honneur.

rationalité doit les pousser à fuir la « folie » des marchés. « Le rôle de l'économiste n'est pas

de caresser le bon peuple dans le sens du poil. Il est au contraire de dédaigner la facilité superstitieuse du progressisme satisfait et sa puérile attente d'un avenir toujours plus radieux ; il est, simplement, de dire la vérité, sa vérité. Il n'est pas de donner aux marchés financiers on ne sait quelles raisons de croire et d'espérer dont, dans leur aveuglement, ils pourraient être tentés de se bercer. L'économiste n'a rien à offrir aux marchés financiers en fait de consolation ou d'ivresse inutile. Son seul devoir est la lucidité. Il ne démontre rien : il démonte »627.

Les auteurs exposent les institutions de la recherche économique. Ils présentent les modes de validation des découvertes. Le Prix Nobel d’économie, évoqué à plusieurs reprises, souligne l’existence d’institutions internationales puissantes qui régulent et gèrent cette science qui « peine toujours à s'imposer parmi les sciences sociales ». Ce prix, nous dit on, récompense des « travaux bien précis, et non pas l'ensemble d'une œuvre », honore « des écoles de pensée

économique spécifiques » ou met en valeur les « “stars” de l'univers des économistes »628. Les auteurs s’intéressent à la « tradition économique en Europe continentale » qui se manifeste non par unespécificité des outils d'analyse, mais par une « sensibilité particulière à l'égard de

l'histoire, des facteurs institutionnels, des approches pluridisciplinaires »629. Ils signalent d’ailleurs que « les économistes français sont au niveau mondial, et cela tant sur le plan

théorique que pour les applications »625. Enfin ils concluent que « l'économie figure parmi les

disciplines qui s'intéressent à une très grande variété de thèmes et qui renouvellent de la manière la plus régulière les sujets abordés »629.

Les auteurs discourent sur la « recherche » économique, mais ils ne font pas la distinction entre les économistes qui appartiennent à un monde « parfois trop académique »630 ; « les

économistes, au FMI ou ailleurs »631 et ceux qui travaillent dans les banques : tous sont consacrés indifféremment « économistes ». Ils insistent sur le fait que la science économique est traversée par différents « courants » : « Les grands débats portaient sur les approches 626

« Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer. Ils le remplissent plus ou moins bien. Le rôle des économistes est de les aider, cas par cas. Peu d'idéologie dans tout cela » in BLANCHARD Olivier, « Défense de la science économique », Libération, 16 octobre 2000, p. 12, Rebonds, «Économiques».

627

TURRINI Régis, « L'Internet ou la foire aux vanités », Libération, 23 mars 2000, p. 5, Rebonds.

628

LAZARE Françoise, « Les courants qui ont marqué trente ans de prix Nobel d'économie », Le Monde, 17 octobre 2000, p. 6, Les enjeux - Les initiatives.

629

Anonyme, « Dossier : les jeunes économistes à l’honneur », Le Monde, 6 juin 2000, p. 2, Les enjeux - Les initiatives.

630

Anonyme, « Deuxième édition du “prix du meilleur jeune économiste de France” », Le Monde, 28 novembre 2000, p. 7, Les enjeux - Les initiatives.

631

radicalement opposées, tant sur le plan monétaire que sur le plan de l'économie réelle, des keynésiens et des néoclassiques, sans même évoquer l'interprétation des lois d'accumulation que proposaient les marxistes »632. Mais s’ils citent les différentes écoles de pensée : celle « de

la régulation » de Robert Boyer633, de « la Côte Ouest 634 ou celle de Chicago, les précisions ne concernent le plus souvent que les différences de localité : le débat d’idée est ramené à un combat « intervilles ». L’exposé des points qui opposent les économiste est réduit au minimum ou balayé : tel ou tel économiste est un fanatique de la concurrence pure et parfaite

ou ne « peuvent être taxés de communistes »635. Nous ne savons pas si des divergences

théoriques profondes (appartenance à une école ou à un courant particulier) sont à l’origine des différentes prises de positions. Le lecteur est seulement informé que « certains économistes »636 s’opposent à « d'autres économistes »637. Les auteurs regroupent le plus souvent les économistes sous la même étiquette, insistant davantage sur leur nombre et leur sérieux, que sur les divergences de vue et les querelles qui peuvent les opposer. Ils se bornent